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Téléchargement sur Internet : "parlons-en franchement !"

Publie le mercredi 20 avril 2005 par Open-Publishing
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de Eric Nunès

Téléchargement de musique et de films sur Internet : parlons-en franchement !", a proposé, lundi 18 avril, le ministre de la culture et de la communication, Renaud Donnedieu de Vabres. Un pari risqué, moins d’une semaine après que la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI) a annoncé qu’elle avait lancé de nouvelles poursuites en justice contre 963 personnes, dans onze pays, pour partage illégal de fichiers sur Internet.

Afin de faire face à plus d’une centaine de lycéens et d’étudiants, réunis dans une salle du Centre Pompidou, à Paris, le ministre s’est entouré d’une demi-douzaine de professionnels de la culture et des réseaux. Parmi eux, le réalisateur Jean-Pierre Jeunet, le producteur de disques Vincent Frèrebeau, le président de la Fnac, Denis Olivennes, et le directeur de Free, Michaël Boukobza.

Animé par Valérie Bénaïm, le débat commence timidement. "Pourquoi téléchargez-vous de la musique sur Internet ?", lance l’animatrice.

"A 20 euros le CD, lorsqu’on est étudiant...le prix est rédhibitoire", répond une étudiante.

"Avec l’amortissement du coût de la production, du marketing...C’est juste", assure, pour sa part, Vincent Frèrebeau, désolé d’être le premier à devoir défendre sa chapelle. "Néanmoins Internet donne la possibilité d’acheter à l’unité. Mais on ne pourra jamais rivaliser contre la gratuité." "Le prix est à revoir", souligne également Denis Olivennes, les tarifs des CD devraient baisser. L’auditoire reste muet.

"C’EST LA VOCATION D’INTERNET DE FAIRE PARTAGER LA CULTURE"

"Est-ce qu’Internet donne accès à une plus grande diversité ?", relance Renaud Donnedieu de Vabres. "Non", assure le patron de la Fnac, à qui la question n’était pas adressée.

"Si", répond la jeune assemblée. "Je cherche sur le Réseau la musique de ceux qui n’ont pas d’autres moyens de se faire découvrir. Beaucoup d’artistes créent de chez eux, Internet est leur vecteur de diffusion", explique une étudiante. "Il y a énormément de musique sur les systèmes P2P (peer to peer, NDLR) que l’on trouve nulle part ailleurs, surenchérit un jeune homme. Des morceaux de vieilles maisons de production qui ont cessé d’exister, des White labels (pressages destinés aux professionnels)...C’est la vocation d’Internet de faire partager la culture."

Au mot "culture", c’est au tour de Jean-Pierre Jeunet de réagir. "Il existe un concept moral." Télécharger, "c’est comme laisser les portes de la Fnac une nuit ouverte et sans gardes, elle se ferait dévaliser en une nuit ", souligne le réalisateur d’Un long dimanche de fiançailles, assimilant le téléchargement d’un fichier à un vol.

Des solutions économiques alternatives sont évoquées. La taxe sur les supports numériques ? Une goutte d’eau par rapport à la réalité économique de l’entreprise, explique Vincent Frèrebeau.

Une taxe sur les abonnements Internet ou sur l’utilisation de la bande passante ? "Cela ne serait pas une bonne solution pour le développement d’Internet", estime Mickaël Boukobza. Une alternative qui ne plaît pas d’avantage au patron de la Fnac : "Comment ferait-on pour savoir qui consomme quoi ?, interroge-t-il. Et puis cela serait une taxe injuste, on taxerait des gens qui ne consomment pas forcément."

"Comme la redevance télé !", lance une voix dans l’assistance.

"LA GRATUITÉ"

"Le vrai problème, c’est celui de la gratuité", estime M. Donnedieu de Vabres.
"Il faut faire comprendre que la gratuité absolue ne peut avoir lieu", répète-t-il pour tenter de convaincre son auditoire. Tous les maux ne viennent pas seulement de la gratuité des échanges, reconnaît le ministre, qui souligne également que l’offre payante doit être "décloisonnée", faisant référence à la stratégie de formats fermés d’Apple et, jusqu’à récemment, Sony.

"L’industrie du disque ne craint-elle pas que les échanges sur Internet donnent la possibilité aux artistes, à moyen terme, de s’autoproduire ?", questionne un étudiant.

"C’est un leurre total. Sans un investissement, le travail d’une équipe, l’artiste n’existe pas", assène Vincent Frèrebeau.

"L’artiste existera toujours, avec ou sans vous", coupe une jeune femme. Le débat bat son plein.

"Internet, les téléchargements pourraient être un moteur pour le spectacle vivant qui remplacerait la galette de plastique", poursuit un autre.

"Les tournées de mes artistes ne fonctionnent que grâce au soutien financier de la production, estime Vincent Frèrebeau. Sans ce support, les concerts seront de plus en plus rares." "C’est une utopie sympathique", achève le président de la Fnac, goguenard.

"Nous défendons une valeur : que les artistes puissent vivre de leur travail. Le vrai problème, c’est la gratuité", répète encore le ministre de la culture. "On est en train de mettre en place un système d’information des internautes, poursuit-il, en cas de récidive viendra la suspension de l’abonnement, voire la résiliation. Le tout-répressif n’est pas la politique du gouvernement." Un grondement monte dans la salle.
"C’EST ILLÉGAL DE VOLER"

Un jeune homme se lève, visiblement exaspéré par la dernière tirade du ministre. "Je m’appelle Aziz Ridouan, je représente l’Associations des audionautes (ADA), nous venons en aide aux victimes de la répression musicale, commence le lycéen de 16 ans. Nous traitons les cas de vingt-cinq arrestations. Des gardes à vue dont certaines étaient accompagnées de fouille allant jusqu’au toucher rectal ! Pour le téléchargement de musique !"

"La CNIL a autorisé la collecte d’adresses IP afin de faciliter les actions judiciaires des représentants des industries... On est dans le tout-répressif", poursuit un autre étudiant.

"Vous savez que c’est illégal de voler. Je ne vois pas en quoi vous pouvez trouver que c’est attentatoire de se faire prendre", gronde Denis Olivennes.

"Ça commence à être chaud", lâche discrètement une journaliste. Un point de vue que partage Valérie Bénaïm, qui profite d’un flottement pour clore le débat avant qu’il ne dégénère.

Les représentants des industries du film et du disque campent sur leurs positions. En face, les internautes demeurent témoins et acteurs d’une mutation qu’ils estiment irréversible vis-à-vis des biens numériques culturels.

Seul Renaud Donnedieu de Vabres retiendra peut-être que les jeunes internautes sont également des personnes informées, conscientes de la politique répressive du gouvernement depuis l’été 2004.

http://www.lemonde.fr/web/article/0...

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