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Un lieu ouvert, à gauche

Publie le vendredi 31 décembre 2004 par Open-Publishing


de ALBERTO ASOR ROSA

Il manifesto (cohérent avec sa tradition, qui n’est pas que celle du commentaire
journalistique, mais aussi celle de la présence politique) a bien fait de convoquer
l’assemblée du 15 janvier prochain à Rome pour discuter les problèmes nombreux
et complexes de la gauche. D’autres auraient pu le faire. Mais personne avec
la totale absence d’instrumentalisations et de possibles déformations qu’assure
Il manifesto. Une fois convoquée, il s’agit maintenant de la réaliser. Je me
permettrai d’ajouter quelques considérations à celles que j’ai déjà faites quand
on ne parlait de l’assemblée que comme d’une proposition. Je suis d’accord avec
tous ceux qui ont dit : parlons de gauche, plutôt que de gauche radicale ou alternative
(aussi parce qu’il apparaît de plus en plus douteux qu’il y en ait une autre).
Juste : ce ne sera pas nous qui poserons des conditions discriminantes et préjudicielles.
Fausto Bertinotti a trouvé la meilleure formule : que l’assemblée soit la plus
ouverte possible. Ceci dit : il me semble que le nombre et la qualité des adhésions
ont déjà fixé un parcours. Je considère très importante l’adhésion de Pecoraro
Scanio au nom des Verts : en effet, je suis convaincu qu’ou bien la gauche de
l’avenir sera rouge verte (non rouge et verte : rouge verte) ou qu’elle ne sera
pas. En outre : tout le monde s’est dit d’accord pour que la base initiale et
fondatrice du discours soit politico culturelle et non politique et encore moins
d’organisation. Pas un contenant mais des contenus : très bien.

Mais en même temps nous devons heureusement constater que nous n’en sommes pas à l’année zéro et que le sens commun du peuple de la gauche a progressé et se présente plus unitaire que celui des organisations mêmes qui le représentent. Il ne s’agit pas d’inventer un point de départ, qui d’ailleurs ne peut qu’être celui qui a émergé des luttes sociales, politiques et citoyennes de la dernière décennie. Il s’agit plutôt de le faire fructifier, en lui assurant un minimum de représentativité et de continuité (sans lesquelles il court le risque de se disperser par épuisement). Mais je reviendrai sur cela dans mes conclusions.

Au cours d’un débat qui dure depuis juillet dernier une table des matières a clairement émergé. Des voix très différentes les unes des autres ont contribué à la dresser : de Rossanda à Diliberto, de Chiarante à Dino Greco, de Salvi à Nerozzi, de Rinaldini à Occhetto, de Cannavo’ à Cremaschi, de Paul Ginsborg à Paolo Beni, président de l’Arci. Plutôt que de superpositions il s’est agi donc de convergences : comme si la diversité, justement, des expériences et des compétences n’empêchait pas un mouvement centripète plutôt que centrifuge (et c’est une belle nouveauté par rapport à la très mauvaise tradition de la gauche, spécialement de la gauche radicale).

La table des matières est vite énoncée : la globalisation en tant que système actuel de pouvoir capitaliste à l’échelle mondiale ; le conflit capital/travail et la lutte pour la revalorisation du travail dans le contexte historique actuel ; la résistance à l’option libérale déferlante et la défense des acquis sociaux et économiques des classes laborieuses ; le choix de la guerre en tant que produit politique constitutionnellement organique à un tel système ; le rapport démocratie-droits, la séparation des pouvoirs, la défense des libertés individuelles dans le très mauvais déploiement actuel des quatre points précédents.

Une table des matières n’est pas une culture politique : elle n’est que l’agenda, le sommaire, l’index, par lesquels essayer de la chercher. Là aussi, cependant : vous semble-t-il peu important que la "table" précède et ne suive pas le début du débat ?

Deuxième point : en tant que reflet et produit d’un cycle de luttes et non de pures et simples élucubrations intellectuelles, cette table des matières reproduit et en partie enregistre mécaniquement la phase actuelle du conflit, et à mon avis cela n’est pas mal non plus. On dirait (c’est une hypothèse, et on doit la mettre en discussion) que l’enchevêtrement des thèmes représente un progrès dans le vieux rapport entre tradition culturelle communiste marxiste et tradition culturelle (disons le d’un façon très générale) libérale démocrate, entre politique du développement à tout prix (seulement dans une partie du monde) et politique du rééquilibrage et de la conservation (dans le monde entier) entre socialisme et écologisme, entre identité individuelle (même sexuelle, même de genre) et identité collective et, pour le dire un peu emphatiquement, entre individu singulier et communauté).

Il serait erroné de conclure hâtivement que cet ensemble de croisements et de convergences constituent la "nouvelle synthèse", que nous sommes en train de chercher. Toutefois on ne peut pas ne pas remarquer que de tels croisements et de telles convergences sont le produit non artificiel d’une série de problèmes réels, lesquels nous imposent leur nature complexe et contradictoire, parce que nous, en y réfléchissant, nous mettons en conditions de leur donner une réponse.
Pour passer de la table des matières à la culture politique et de la culture politique à la politique tout court, l’assemblée du 15 janvier suffira-t-elle ? Evidemment non. Au contraire, on se tromperait à trop en attendre. Mais aussi à se contenter de trop peu. S’il s’agit d’un "processus", cela n’en représente évidemment que le début. Mais, pour que ce soit un début efficace, je vois deux conditions.

Tout d’abord, l’évènement en soi-même. Avant tout, nous devons démontrer que nous sommes là. Le démontrer aux autres : mais surtout à nous-mêmes. Voila pourquoi la rencontre du 15 janvier doit être une rencontre de masse et non un séminaire d’états-majors, même au risque de rendre plus difficile dans un premier temps l’élaboration des idées. En particulier : c’est une occasion pour les mouvements exprimés par la société civile pour démontrer qu’ils comptent politiquement, avant que commence la longue saison des congrès des partis et des consultations électorales. En ce cas le nombre, la masse sera la première donnée politico culturelle à exhiber et à mettre en jeu.

Deuxièmement : s’il s’agit d’un véritable processus, il faut lui assurer de la continuité et la continuité n’est jamais faite seulement de spontanéité. Comme je l’ai dit dans une interview à Liberazione et comme je l’ai redit dans une assemblée bondée à Florence promue par le Laboratoire pour la démocratie, je repropose que l’assemblée du 15 janvier donne vie à une Chambre de consultation permanente : une sorte de parlement de la gauche qui est à gauche de la gauche modérée ; constitué par les représentants des différents groupes qui choisissent d’y participer. Pour utiliser une image, un organisme pluriel et bicéphale : c’est-à-dire fait d’organismes de nature et de qualité différentes - de partis, de syndicats, de mouvements, d’associations, de groupes etc. - et paritaire, par exemple, à moitié représentatif des forces organisées et à moitié de la société civile, à moitié d’hommes et à moitié de femmes ; trente-quarante composants aidés par un groupe d’experts qui se rendent disponibles à prêter leurs compétences au processus ainsi établi. Et, naturellement, toujours ouvert à d’autres acquis.

Dans toute entreprise il y a un élément rationnel et un élément fantastique. Il n’y a pas de doute qu’en politique l’élément rationnel prévaut. Mais une politique sans un élément fantastique devient une pure chicane du pouvoir, un partage du gâteau. Ici l’élément rationnel est celui que j’ai cherché d’argumenter dans mes articles dans Il manifesto, dans d’autres journaux et ailleurs. Et voila l’élément fantastique : j’aimerais énormément que les forces intellectuelles, politiques et populaires, qui sont à la gauche de la gauche modérée, fassent preuve d’un sérieux et d’une clairvoyance, dont la gauche modérée s’est avérée complètement dépourvue (et de cette incapacité surprenante de raisonner et d’ "être sérieux" nous tous sommes en train de payer les frais). Il est vrai qu’aujourd’hui nous ne sommes pas à mesure de penser à quelque chose de plus unitaire et organique que la Chambre de consultation. Mais rien ne nous interdit de travailler dès aujourd’hui pour un objectif plus consistant. En serons-nous capables ?

 http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

Traduit de l’italien par Karl & Rosa de Bellaciao