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Une bagarre minable

Publie le samedi 27 mars 2004 par Open-Publishing

de Rossana Rossanda

Par un coup de maître, une centaine de soi-disant antagonistes et autant de dirigeants Ds ont réussi à exclure de la scène médiatique un million ou deux de personnes qui samedi ont défilé à Rome contre la guerre. Les uns et les autres étaient gênés par l’évènement, qu’ils n’avaient ni organisé, ni animé. En était protagoniste cette société civile, si souvent évoquée à tort et à travers, qui depuis quelques années se concentre et s’organise en groupes, en associations et en élaborations différentes, se convoque à de grands rendez-vous sur des questions décisives et réunit autour d’elle une opinion très vaste, qui en a marre d’être manipulée, qui descend dans la rue.

Que disait-elle la manifestation de samedi, inattendue pour l’affluence chaleureuse, préoccupée, communicante ? Elle disait, un an après le début de la guerre en Irak, que celle-ci avait été un désastre, qu’elle avait des issues funestes, qu’elle avait multiplié le terrorisme et que l’Italie devait s’en dissocier sans équivoques, en livrant la gestion des dégâts à l’ONU, à laquelle il va de soi qu’on pourrait donner de l’aide.

La manifestation a été ressentie comme intolérable par le centre-droit, qui l’a accusée de tout, y compris d’avoir la nostalgie de Saddam, par le centre-gauche qui depuis la guerre du Kosovo joue à la Blair avec des interventions et des occupations armées, et à cause du désir d’être protagonistes de quelques jeunes et moins jeunes qui ne représentent personne mais qui essayent de percer pour chasser ceux qu’ils considèrent indignes d’y participer.

Ni les uns ni les autres n’avaient imaginé la grande pelote qui s’est déroulée à partir de midi pendant des heures et des heures jusqu’à remplir et à vider plusieurs fois le Circus Maximus et qui ignorait tranquillement comment vers cinq heures, c’est-à-dire quand la manifestation était en route depuis un bon moment, la direction Ds, retranchée dans son siège de via Nazionale (les militants ds avaient rejoint de leur initiative les manifestants), décidait de se faufiler dans le cortège en y restant très peu, peut-être pour ne pas se fatiguer ou peut-être pour ne pas se compromettre trop.

Mais, au bas de la porte, la direction DS avait trouvé une centaines de gardiens de la révolution autoproclamés qui l’attendaient pour la couvrir de hurlements.
Que s’est-il passé entre la classe politique arrivée et celle qui en a l’ambition ? Les images livrent à l’histoire quelques poussées et quelques cris, un Fassino au visage vert, une courte bousculade et une seule image propre, celle des jeunes ds qui avancent, les bras pacifiquement levés.
Le secrétaire se défilait, vexé et protégé par la police à travers une rue latérale.


Les vaillants antagonistes continuaient à pousser les ds restés pendant cinq
minutes, qui auraient été engloutis par l’oubli si le secrétariat Ds n’avait
diffusé un communiqué dramatique qui dénonçait "l’agression fasciste" - excusez-moi du peu - et l’attribuait, selon la tradition, à un complot d’alliés et d’élus
non reconnaissants. Misérable.

Ont suivi la jubilation de la droite, un déluge de télégrammes de solidarité à Fassino
de la part de An (Alleanza nazionale, postfascistes : NdT), des journaux télévisés
enfièvrés, Gad Lerner (directeur du journal télé de La7, une télévision privée :
NdT) qui conjurait Luigi Ciotti (Social forum) de se dissocier de Zanotelli (Social
forum) et d’abjurer Strada (chirurgien fondateur de Emergency : NdT) et des âneries
du même genre. En l’espace d’une heure, un ou deux millions de personnes avaient
disparu à l’heure des journaux télévisés et de la composition des premières pages
des journaux.

Beau travail. Est-ce grave pour le mouvement de la paix ? Non. Il ne s’en était
même pas aperçu. Mais c’ est grave pour la presse parlée et écrite, qui en sort
dépourvue de fiabilité à cause de l’écart entre ce qui est arrivé et ce qu’elle
diffuse, à cause de la soumission manifeste aux locataires du Palais du pouvoir, à cause
de son manque de crédibilité en tant qu’observateur politique. Et c’ est grave
pour la gauche. Pour la gauche radicale, pour laquelle il n’est pas bon de se
voir attribuer une poignée d’extrémisme primaire, mais surtout pour la gauche
qui se voudrait gauche de gouvernement et qui reste de plus en plus prise dans
ses lâchetés, incapable de tenir une ligne d’opposition mais désireuse de cacher
derrière des agressions présumées son envie de se ranger avec Blair. Jour après
jour, sa capacité de représentativité chute. En Espagne, il y avait le modeste
Zapatero qui était en mesure de recueillir la protestation d’une majorité du
pays, chez nous il n’y en a même pas un.

traduit de l’italien par karl et rosa

27.03.2004
Collectif Bellaciao