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Une tâche historique

Publie le vendredi 23 juin 2006 par Open-Publishing

Nous avons donc décidé de nous engager en faveur d’un « candidat unitaire de la gauche antilibérale ». Ce qui n’est guère étonnant en regard de ce que défend Politis semaine après semaine depuis maintenant plus de dix-huit ans. Ce qui s’inscrit surtout dans la logique de la campagne que nous avons menée voici un an contre le projet de Constitution européenne. À l’époque, souvenez-vous, nous avions parlé d’une véritable « insurrection démocratique ». Et la démocratie, en effet, avait été au coeur de notre argumentaire. Parce qu’il nous paraissait inconcevable qu’une doctrine économique ­ en l’occurrence, le libéralisme ­ fût gravée dans une constitution, s’imposant aux citoyens sans qu’ils puissent plus en délibérer. C’est le même ressort qui nous fait agir aujourd’hui. La résistance au libéralisme n’est certes pas interdite par notre Constitution, mais disons qu’elle est au minimum malaisée dans le paysage politique actuel. Bien entendu, il y a le PCF et la LCR, voire le MRC de Jean-Pierre Chevènement, ou les Alternatifs. Mais, sans faire injure aux militants de ces organisations, c’est à nos yeux une « offre politique » qui ne correspond pas à l’attente d’un électorat qui potentiellement les dépasse de beaucoup. Il suffit pour s’en convaincre de revenir un an en arrière. Les analyses d’après-référendum européen avaient révélé deux réalités convergentes : 49 % des partisans du « non » se déclaraient proches du PC, du PS ou des Verts ; et 63 % des proches de la gauche parlementaire avaient voté « non » (1). Autrement dit, le « non » de gauche était nettement majoritaire, mais il avait dû souvent s’exprimer dans la dissidence de deux des trois partis de l’ancienne gauche plurielle. De très nombreux socialistes et de nombreux Verts avaient pris des libertés avec les consignes de leurs dirigeants. Mais un référendum n’est pas une élection présidentielle ni une législative.

Dans ces dernier cas, les logiques d’appareil reprennent le dessus. Et ces logiques conditionnent aussi un réflexe bien compréhensible d’adhérents ou de militants qui finissent par voter pour leur propre parti même si son candidat n’est guère enthousiasmant. Il y a peu de chances pour qu’un électeur socialiste, qui avait laissé parler ses convictions en votant « non » au référendum, opte à la présidentielle pour le candidat de la LCR, ou même du PCF. Plus fâcheux encore : la masse de ceux qui ne voteront pas parce qu’ils ne se reconnaissent dans aucune étiquette. C’est ce que les politologues appellent la « crise de représentation ». Ce sentiment d’être orphelin en politique. D’être bâillonné faute d’une offre qui corresponde à vos idées. L’adaptation de la social-démocratie au libéralisme ambiant (lire à ce sujet notre la social-démocratie au libéralisme ambiant (lire à ce sujet notre entretien avec Jean-Luc Mélenchon) est un facteur important de cette crise. Mais il y a un autre argument encore en faveur de cette candidature unitaire d’un front antilibéral. L’émiettement. La balkanisation, plus sensible de ce côté-ci de l’échiquier politique, et qui condamne tous les candidats à la marginalisation. Cela fait déjà beaucoup de bonnes raisons.

Mais ce n’est pas tout. Car l’essentiel réside dans la situation elle-même. Plus que jamais, le fond de l’air est libéral. Plus que jamais, les principaux partis politiques, les grands médias présentent le libéralisme comme s’il était le dernier mot de l’histoire. Depuis la chute du mur de Berlin, l’ultralibéralisme apparaît bien comme le crime posthume du stalinisme. Il se présente comme la réponse trop évidente et trop universelle au « socialisme réel ». La politique serait binaire : le Goulag ou le CAC 40. Par un dévoiement des mots, le « libéralisme » s’identifie à la liberté individuelle, alors qu’il n’est qu’une autre forme de totalitarisme. Et que, comble d’ironie, il produit une concentration des pouvoirs qui n’a rien de démocratique. Voir à cet égard les débats actuels sur les fusions-concentrations dans le secteur de l’énergie. La démocratie, cette fois, est dans le camp opposé. Celui qui revendique le droit de choisir une véritable alternative, une société disposant de services publics, respectant l’environnement, répartissant mieux les richesses, et défendant des valeurs sociales et humaines... Tous ces objectifs sont clairement affichés dans un appel « pour un rassemblement antilibéral de gauche et des candidatures communes » (voir pages suivantes), qui regroupe déjà des signataires qui ont l’avantage de dépasser les clivages habituels au sein de la gauche.

Mais, bien sûr, on n’évitera pas la question : qui ? Puisqu’il est question d’une « candidature unitaire », il va bien falloir que celle-ci se trouve un visage, un regard, une couleur, un accent... On sait déjà que José Bové est disponible pour cette tâche aussi grisante que redoutable. Nous n’en sommes pas encore tout à fait là. Même si l’homme à la pipe incarne bien toutes ces valeurs que nous défendons. D’autres noms peuvent aussi surgir. L’essentiel aujourd’hui est ailleurs. Il s’agit de faire redémarrer une dynamique semblable à celle qui avait tout emporté sur son passage il y a un an : le scepticisme des uns et la mauvaise foi des autres. Il s’agit de dessiner les contours d’une gauche antilibérale. Car l’ambition va bien au-delà des échéances de 2007.

(1) Nous faisons ici référence à un sondage Ipsos-Le Figaro d’après-scrutin, le 29 mai 2005.

Denis Sieffert