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Village martyr, victime du "Mur"

Publie le samedi 17 mai 2003 par Open-Publishing

Mas’ha

Village martyr, victime du "Mur"

A quelques centaines de mètres en surplomb du village de Mas’ha, un drapeau palestinien émerge des branches noueuses d’un olivier. Il marque l’entrée du "camp de la coalition contre le mur de l’apartheid" : quelques tentes de toiles délavées, posées depuis le 5 avril au sommet de la petite colline, au milieu desquelles des banderoles, des photos et des cartes improvisent une exposition sur le mur et ses conséquences sur le paysage et les populations.
Installé là par une poignée de militants palestiniens, israéliens et internationaux, pour protester contre le passage du mur construit du nord au sud de la Cisjordanie par Israël pour "se protéger des infiltrations terroristes", le campement est devenu au fil des semaines un îlot de terre sèche, balayé par le vent. Peu soucieux de la présence vingt-quatre heures sur vingt-quatre d’une dizaine de pacifistes, les bulldozers israéliens, protégés par des gardes privés et les patrouilles régulières de l’armée, ont méthodiquement préparé le terrain.
Huit cents oliviers ont été déracinés ; sur plusieurs centaines de mètres de long et une vingtaine de large, la terre a été arasée, préfigurant le tracé du mur. Une tranchée de deux mètres de profondeur a été creusée dans la rocaille, isolant le camp du reste du village. Militants et villageois passent encore, au prix de quelques acrobaties. "Dans quelques jours, ce sera pire ; ils -les Israéliens- ont promis d’installer des rouleaux de fil de fer barbelé", assure Jonathan, un des pacifistes israéliens, qui a déjà passé près de trois semaines sur place.
Mas’ha est l’un des premiers villages palestiniens de cette région, le gouvernorat de Salfit, à subir le désastre du mur de séparation que le gouvernement d’Ariel Sharon a décidé d’édifier en juin 2002, pour s’isoler des territoires palestiniens. Selon les plans actuels, présentés en mars aux villageois, 95 % de leurs terres vont se retrouver à l’ouest du mur. Les habitations et les 2 500 habitants du village resteront, eux, à l’est, coupés de leur principale source de revenus : l’agriculture. Les autorités israéliennes ont promis d’aménager des points de passage dans le mur, pour permettre aux paysans d’accéder à leurs champs. La plupart sont sceptiques, d’autant que les destructions liées aux travaux préparatoires ont déjà privé de nombreuses familles de leurs terres.

Mas’ha était un village prospère de 7 000 habitants ...

PAS DE TERRE DISPONIBLE
Nazih Chalabi a perdu 12 des 12,5 hectares que sa famille possédait depuis des générations. Comme d’autres, il a tenté de récupérer des oliviers déracinés pour les replanter, mais, "côté est", il n’y a plus guère de terre disponible et il a dû renoncer. Par le biais d’un trafic encore opaque, certains arbres "abandonnés" se retrouvent parfois en Israël.
"Notre vie va devenir encore plus misérable et, lorsque nous aurons fini nos réserves de farine et d’huile d’olive, il ne me restera plus qu’à aller mendier à l’entrée de la mosquée", s’inquiète M. Chalabi, père de neuf enfants, qui, avant l’Intifada, travaillait dans des exploitations agricoles en Israël, laissant aux femmes de la famille le soin de récolter ses olives. A l’époque, Mas’ha était un village prospère de 7 000 habitants, animé par un marché hebdomadaire fréquenté par de nombreux Israéliens. Isolé par des blocs de pierres à chacune de ses entrées dès les premiers jours de l’Intifada, le village a été contraint de se recentrer sur des activités agricoles artisanales. Le passage du mur sur ses terres sonne le glas de ce moyen de subsistance.
Mais la catastrophe économique et sociale que le mur est en passe de provoquer n’explique pas à elle seule l’indignation qu’il suscite chez les villageois et les militants. Situé à six kilomètres à l’est de la Ligne verte (la frontière qui séparait jusqu’en 1967 Israël de la Cisjordanie), Mas’ha aurait dû rester hors des méandres de la "clôture de sécurité", ainsi que les autorités israéliennes qualifient le mur. Pourtant, sous la contrainte des colons israéliens installés en Cisjordanie, le tracé du mur avalisé par le gouvernement de M. Sharon a peu à peu épousé les contours des colonies proches des villages palestiniens.
Mas’ha, cerné par les implantations israéliennes d’Elkana et d’Ets Ephraïm, fait les frais de cette politique, qui vise à conserver du "bon" côté du mur le maximum de citoyens israéliens. Dans un entretien publié, le 13 mai, par le quotidien de droite Jerusalem Post, le premier ministre israélien est même allé plus loin. Il a confirmé que le "mur antikamikaze" s’enfoncerait de quelque 20 kilomètres en territoire palestinien, pour intégrer notamment la colonie d’Ariel, la plus peuplée de Cisjordanie.
"Mas’ha n’a jamais été impliqué dans aucun acte de terrorisme, assure de son côté Rizeq Abou Nasser, l’un des responsables de l’organisation palestinienne Comité de défense de la terre, présent sur place en permanence. Pour les Israéliens, l’objectif évident du mur est de voler de la terre aux Palestiniens et de provoquer un transfert de population plus à l’est." "C’est le moyen subtil qu’a trouvé -Ariel- Sharon pour priver les Palestiniens de leurs moyens d’existence et les forcer à partir", renchérit Jonathan. La jeune association International Women’s Peace Service (IWPS), dont la dizaine de membres assurent un relais permanent dans le camp, craint, elle, que le "mur de l’apartheid" pose "les frontières de la future entité palestinienne".
Redoutant aussi cette politique du fait accompli, Mahmoud Abbas (alias Abou Mazen), le premier ministre palestinien, n’a pas manqué de demander l’arrêt de la construction du mur, lors des discussions sur la mise en œuvre de la "feuille de route", qu’il a eues avec le secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, le 11 mai. Ce dernier n’y a pas fait allusion. Quant au document diplomatique, censé mener à la création d’un Etat palestinien en 2005, il ne dit pas un mot du sort réservé à ce mur-frontière.

Stéphanie Le Bars