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parcours d’un homme meurtrier et psychotique

Publie le mardi 3 mars 2009 par Open-Publishing
2 commentaires

la société est à l’image de celle dont elle traite ses fous.

le système d’aliénation des malades est le même que le système d’aliénation des personnels.

Voie vers la privatisation de la folie.

A chacun d’imaginer la suite.

Joël Gaillard : Le parcours meurtrier d’un psychotique
Libération Mardi 3 mars 2009

" La fugue médiatisée, fin décembre, d’un patient hospitalisé à Marseille et auteur d’un meurtre en 2004, a mis au jour les difficultés d’une médecine psychiatrique confrontée à la douleur des victimes.

Un « dangereux schizophrène » s’est échappé. Pendant six jours, fin décembre, la fugue de Joël Gaillard, 39 ans, a provoqué une chasse à l’homme aux confins de la psychose. Il a été arrêté, le 1er janvier à Aix-en-Provence, et remis à l’hôpital psychiatrique Edouard-Toulouse de Marseille. Soulagement apparent : cet homme a tué, il fait peur.

Pourtant, avant sa fugue, l’hôpital l’estimait stabilisé. Il devait sortir légalement pour Noël, juste une journée. Mais le préfet a annulé au dernier moment l’autorisation, provoquant la fugue du 26 décembre. Alors que le président Sarkozy a, début décembre, annoncé qu’il fallait durcir les règles de l’hospitalisation d’office, l’histoire de Joël Gaillard dessine en creux toute la difficulté de soigner des personnes déclarées irresponsables. Elle interroge sur les responsabilités en cas de fugue et d’actes criminels : l’Etat a été condamné lorsque Joël Gaillard a tué, en 2004, après avoir refusé de réintégrer l’hôpital.

Hospitalisations, sorties, assassinat

Sa maladie se serait déclarée à la mort de son père, quand il avait 28 ans. Jusque-là, Joël Gaillard était chauffeur de bus. En janvier 2000, sa sœur le trouve à son domicile, dissimulé sous les couvertures, se sentant « épié, surveillé… on lui voulait du mal… On parlait à son sujet, à la télévision », selon une expertise psychiatrique de 2001. Convaincu que sa petite amie le trompe avec un copain, il pénètre par effraction dans l’appartement de ce dernier après avoir blessé d’un coup de couteau le gardien de l’immeuble, à Marseille. Il est hospitalisé d’office. « Décompensation délirante », note le médecin, qui le juge dangereux.

A l’hôpital, il entre dans « une relation de confiance » avec les soignants et réussit à « évoquer peu à peu le délire à thème de persécution ». Un congé d’essai, trois mois plus tard, s’avère satisfaisant et son hospitalisation d’office est levée en juillet 2000. Mais après deux mois, son état se dégrade. Il est hospitalisé, à la demande d’un tiers, pour une « angoisse psychotique majeure, avec des impulsions agressives vis-à-vis de l’entourage ». A l’hôpital, il va mieux et il bénéficie dès le mois suivant, d’un congé d’essai. On note une « disparition des troubles du comportement ».

Il ressort, pour aussitôt replonger et retrouver l’hôpital, début 2001. Il a eu « une intuition délirante d’apparition brutale l’ayant poussé à monter sur un toit » où on l’a arrêté. Le médecin s’inquiète de son « potentiel de dangerosité ». Un mois plus tard, tout va mieux : « Les troubles du comportement et le vécu délirant se sont totalement amendés. » Quand il ressort, en avril 2001, le psychiatre assure : « Il ne présente pas de dangerosité psychiatrique. » Erreur.

Le 27 mai 2001, il commet une tentative d’assassinat dans un centre équestre à Barcellonnette (Hautes-Alpes). Depuis plusieurs mois, il est persuadé que ses nièces y sont victimes de pratiques pédophiles. Un délire total. Il se présente, dans la nuit, muni d’une barre de fer. Le maréchal-ferrant du centre équestre, Sylvain Brunet, alerté par le bruit, sort, se prend deux coups sur la tête, puis le neutralise. « Si je n’avais pas été là, il aurait fait un carnage », raconte-t-il. La justice déclare Gaillard irresponsable en raison d’une « psychose chronique, schizophrénique, marquée par des épisodes délirants "féconds", à thèmes essentiellement persécutoires ». Il retourne à l’hôpital, où les soins produisent leurs effets. Il sort, fin 2003, en congé d’essai, mais il refuse de le réintégrer en février 2004. Et replonge.

Le 9 mars dans une rue de Gap (Hautes-Alpes), il tue, à la hache, Germain Trabuc, 83 ans, compagnon de sa grand-mère avec qui il s’était disputé. Il est à nouveau déclaré irresponsable. Le fils de la victime se retourne contre l’Etat et saisit le tribunal administratif de Marseille, qui condamne l’Etat, le 19 juin 2007, à indemniser quatre membres de la famille Trabuc 15 000 euros chacun. Motif : la « responsabilité sans faute » de l’Etat est engagée, puisque le préfet a délivré une autorisation de sortie à l’essai avant l’assassinat.

Incompréhension des victimes

De retour en psychiatrie, Joël Gaillard se soigne. Quatre ans passent. Fin 2008, il est autorisé à sortir par la DDASS, sur avis favorable des médecins, pour le 25 décembre. Sa mère le voit la veille, à l’hôpital. « Il m’a dit : "Maman, tu prends mes cadeaux et demain, on passera la journée de Noël ensemble, ce qui ne t’est plus arrivé depuis longtemps." » Mais le 24 au soir, le préfet annule. Par peur, après le meurtre, à Grenoble le 12 novembre, d’un étudiant par un schizophrène en fugue ? Ou parce qu’il a été instruit de la précédente condamnation de l’Etat, ou cédant à la pression des victimes ? La préfecture ne donne pas d’explications.

Joël Gaillard, lui, rumine. On lui refuse brutalement ce qu’on avait autorisé. « On souffle sur les braises pour ensuite se plaindre de l’incendie », déplore Me François Chevallier, qui l’a longtemps défendu. Dans la nuit du 26 au 27 décembre, il s’échappe. « Ce refus de sortie, c’est une provocation, assure sa mère. Il était en bonne voie de rétablissement. Ils ont tout gâché. » Ce n’est pas l’avis de Michel Trabuc : « En 2004, avec mon père, on aurait peut-être pu éviter le pire. » Dès la fugue, il passe une photo de Joël Gaillard aux médias et une chasse s’engage, que la mère du fugueur a très mal vécue : « C’est horrible, ce que des journaux ont écrit. Une psychose abominable. Il paraît que les mères qui amenaient leur enfant à l’école tremblaient. C’est de la folie ! » Agée de 62 ans, elle se sent seule : « Les familles confrontées à ces gros problèmes, il faudrait les aider, pas les enterrer. Joël est une victime ! Et ce qu’il y a de dramatique, c’est que la politique s’est mise au milieu. »

Les Trabuc, eux, en ont marre de trembler devant cet « assassin » qu’ils n’ont jamais rencontré. « J’espère qu’il ne sortira plus », dit Michel Trabuc. Employé municipal à Gap, âgé de 53 ans, il est dépressif et suit une psychothérapie. « J’ai vu mon père dans une mare de sang. J’ai cette vision tous les jours. » Il réclame, pour les « schizophrènes assassins », la pose d’un bracelet électronique en cas de sortie autorisée. Et la diffusion de la photo en cas de fugue. « Je ne demande pas qu’on les enferme et qu’on jette la clé. Mais qu’on les soigne et qu’ils soient surveillés plus qu’actuellement. A Edouard-Toulouse, on entre et on sort comme on veut ! »

Michel Trabuc a déposé plainte au pénal contre l’hôpital à l’été 2007. Il insiste : « Ce n’est pas à Joël Gaillard que j’en veux, c’est au système. » Pour son avocat, Me Gérard Chemla, « la question est celle de la limite du risque admissible. Joël Gaillard est extrêmement dangereux. En 2004, on n’a pas géré cette dangerosité. » Les Trabuc ont été reçus à l’Elysée et sont soutenus par une députée UMP des Hautes-Alpes. Henriette Martinez dénonce « l’inadaptation de notre système psychiatrique pour accueillir des malades déjà passés à l’acte ». « Il manque une structure adaptée, entre la prison et l’hôpital », estime la députée, qui souhaite que « le médecin soit responsable de la sortie » des malades.

L’exigence impossible du risque zéro

« Mais dans ce cas, plus personne ne sort ! » rétorque le docteur Jean-Pierre Baucheron, chef de service à Edouard-Toulouse. L’hôpital est déboussolé. Contraint de rappeler que Joël Gaillard est « un être humain », Jean-Charles Ozée, infirmier et syndiqué SUD, précise : « Notre travail, c’est de reconstruire les gens. Jamais une affaire n’avait été médiatisée comme ça. On disqualifie les équipes. Tout le travail est mis à bas. »

A l’hôpital, Joël Gaillard avait « un projet de soin ». Il est devenu champion de France de foot interhôpitaux en juin à Libourne (Gironde). Supporter de l’OM, il allait aussi au Vélodrome, accompagné. « On n’est pas en psychiatrie pour être puni, mais pour être soigné, rappelle l’infirmier. Maintenant, on lui a mis une étiquette, on aurait dit Hannibal Lecter ! [Le personnage du Silence des agneaux, ndlr] Le travail effectué sur lui depuis quatre ans est nul et non avenu. Il est à vie en psychiatrie. Ou à mort. »

Depuis cette fugue, l’hôpital a resserré la vis sur la surveillance et la préfecture se crispe. Le docteur Baucheron note : « Il semblerait que le système se durcisse. Le climat de confiance tel qu’il existait n’est plus le même, sans que soient définis de nouveaux critères. » Quand un préfet annule l’autorisation de sortie, c’est une décision « obligatoirement aveugle », puisqu’il ne connaît pas le patient. Sur quoi se base-t-il ? « En tant que citoyen, je redoute que ces critères ne reposent que sur des subjectivités de bureau ou sur l’application de consignes générales portant sur des catégories de patients », craint le médecin. Dans le cas Gaillard, il voit « une erreur d’appréciation en rapport avec un effet parapluie ».

Pour le médecin, « un malade qui tue est tout autant victime que les proches [de la personne qu’il a tuée] quand il en prend conscience ». D’où sa question : « Au nom de la sécurité, faut-il que l’on jette en pâture un certain nombre de patients contre lesquels la presse se déchaîne ? C’est une régression sociale. » Le médecin note : « On veut le risque zéro », inexistant en psychiatrie, « et toujours renvoyer sur la responsabilité de l’autre ».

Faille du système, justice et psychiatrie communiquent mal. « Il arrive que l’on reçoive des patients sans connaître leur dossier judiciaire. C’est regrettable », dit le docteur Baucheron. L’avocat de Joël Gaillard, Me Jean-Jacques Campana, est allé le voir à l’hôpital. « Il est capable de raisonner. Il faut laisser retomber le soufflé… » Il a depuis été transféré vers un autre hopital, assure son défenseur Me Axel Daurant, qui ajoute : « Il veut garder un espoir, savoir qu’il y a un système plus souple au bout. Car la cellule d’isolement, c’est pire que la prison. »

Ses victimes ne l’entendent pas ainsi. Début 2004, Sylvain Brunet, le maréchal-ferrant, s’était plaint auprès du procureur de Gap quand Joël Gaillard se baladait librement, s’indignant du « danger ». « Deux mois plus tard, il tuait le père Trabuc. » Sylvain Brunet est anxieux. Après son agression, en 2001, il lui a fallu deux ans « pour sortir de ce piège ». Il n’arrivait pas à dormir. « Un peu comme quelqu’un qui a peur du vertige. Je veux bien aller voir un psy ou deux, mais je n’ai rien à leur raconter. Des cachetons ? Je n’ai pas envie d’être ensuqué. » Sylvain Brunet remarque : « Qu’on ne le juge pas, d’accord. Mais que ces gens puissent entrer et sortir de l’hôpital, c’est inadmissible. Les psys ont beau dire qu’il est guéri… »

A Edouard-Toulouse, l’infirmier Jean-Charles Ozée se désole : « On nous demande de redevenir un asile fermé, comme au XIXe siècle.Alors que le vrai problème, c’est qu’on a supprimé 50 à 60 000 lits en vingt ans et qu’on nous demande, en plus, d’être garants de la sécurité. »"

Un article de Michel Henry.

Messages

  • Dans son délire sécuritaire savamment orchestré, la société actuelle est prête a accepter les pires ignominies...pour son confort.
    Un petit moustachu a su il y a plus de 60 ans maintenant exploiter cette faiblesse et il a mis au point la destruction physique des malades mentaux.
    Aujourd’hui, il est question de ficher à vie toute personne ayant eu des problèmes psy ou issue de telles.
    Le mécanisme de mise en place d’euthanasie thérapeutique (même cet oxymore sera admis) est entrain de se mettre en place.
    Devant l’argent-roi, la Vie n’a plus guère de valeur.
    Effroyable époque............

  • Le parcours résumé ici est malheureusement assez typique de la situation actuelle, mais omet peut-être d’évoquer en plus la souffrance de la famille de ce malade.
    Pour avoir recueilli le témoignage d’une mère d’un jeune psychotique ("Histoire d’une schizophrénie - Jérémy, sa famille, la société" aux éditions Frison-Roche), je peux dire que les proches souffrent vraiment beaucoup, rêvent que les malades soient pris en charge de façon effective et non pas fictive (notamment pour ce qui est de l’obligation de soins, par exemple, après des démêlés avec la justice). Il s’avère que souvent les malades refusent de se faire soigner, et, jusqu’à présent, la société le tolère, puisque, paradoxalement, il faudrait que la demande de soins vienne de la personne malade (or dans le cas de la schizophrénie, le déni est extrêmement fort). Pour quelqu’un qui est dangereux, et récidiviste, il est étonnant tout de même que les soins en milieu fermé ne soient ni effectifs, ni attentifs : si cette personne n’était pas malade, ne l’entourerait-on pas davantage ? Un paradoxe, me semble-t-il !
    Ne pas encadrer mieux, au plus près, les personnes malades, c’est de la non-assistance à personne en danger.
    Car avant d’être dangereux pour autrui, c’est à eux-mêmes qu’ils font du mal !!!!!!!!!!!!!!!!

    Anne Poiré