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Politiquement insultant

Publie le dimanche 4 avril 2010 par Open-Publishing
4 commentaires

Des dizaines de milliers d’internautes ont déjà vu la scène de 2 min 15, depuis sa mise en ligne, le 30 mars : le député européen Jean-Luc Mélenchon prend assez violemment à partie Félix Briaud, un étudiant de l’école de journalisme de Sciences Po, à Paris, venu l’interviewer. L’affaire s’envenime au point que M. Mélenchon a interrompu ses vacances pour venir s’expliquer à Paris, jeudi 1er avril.

On voit l’ancien sénateur, interrogé le 19 mars, déplorer que Le Parisien présente en "une" un débat sur la réouverture des maisons closes, en cette période d’exceptionnelle abstention. C’est lui qui aborde le sujet. L’étudiant, 26 ans, tente d’argumenter et s’entend répondre : "C’est vos problèmes, à vous, le refoulé politique de la petite bourgeoisie." "Je n’ai jamais entendu quelqu’un me parler de ça (la prostitution), sinon vous et votre sale corporation voyeuriste et vendeuse de papier", dit M. Mélenchon.

"Avec moi vous parlez de choses sérieuses, Dignitas et gravitas, hein, la maxime romaine (...), vos sujets de merde vous allez les faire avec des gens qui veulent répondre à la merde." Une protestation ? "Non, non, non, c’est fini, terminé, teut, teut, teut." Jean-Luc Mélenchon joint à la parole un geste compris dans toutes les cours de récréation - il faut fermer son clapet. Au jeune journaliste, il précise encore : "Tu fermes ta petite bouche, tu me parles de politique, moi je te parle de ton métier pourri." Puis il repasse au vouvoiement pour conclure : "Je vous parle du titre du Parisien, petite cervelle."

Interrogé par Le Monde, mercredi 31 mars dans la soirée, M. Mélenchon semble blessé par cette affaire : "Il en restera quelque chose qui m’aura abîmé et atteint." Puis jure cinq minutes plus tard n’avoir jamais prononcé cette phrase. Il raconte avoir été journaliste - "J’y aurais passé ma vie si j’avais eu le bonheur d’être embauché", puis fustige une profession qui est "la bienpensance sur pattes". Il demande à relire ses propos, puis dira qu’il n’en a pas le temps. Il s’insurge contre le fait d’avoir été "montré de façon dégradante", puis argue du fait qu’il était fatigué. Et finit, plein d’amertume et de contradictions, par renvoyer à son blog.

Alerté par des proches, de l’émoi causé par ses propos, le député européen a mis en ligne, mercredi 31 mars, un long plaidoyer : "Une certaine caste médiatique se déchaîne contre moi. J’ai commis le crime de lèse-vache sacrée" "Je me suis fait piéger. Ça me met en colère." Il tente ensuite de retourner la situation à son profit, dénonçant une "manipulation". Pour la déjouer, il invite à diffuser le plus possible la séquence qui encouragera ceux qui veulent à "se lâcher ".

Il n’est pas le premier à entretenir des relations tendues avec la presse. Ni le dernier à surfer sur le désamour entre le public et les médias. Et encore moins le seul à s’inquiéter des règles - ou absence de règles - induites par le fonctionnement d’Internet. "Quand il lisait des articles le traitant de monarque et parlant de sa cour, François Mitterrand entrait dans une fureur qui attisait encore son dédain pour la presse", raconte Jacques Attali (C’était François Mitterrand, Fayard, 2005). On se souvient que ce président, grand séducteur de journalistes, les traita de "chiens" à la mort de Pierre Bérégovoy. Et Michel Charasse glissait à ceux dont il voulait éviter les questions : "Je ne parle pas aux chiens."

Plutôt courtois, Lionel Jospin avait dérapé avec une journaliste de l’AFP, Sylvie Maligorne, lors d’un vol Rio-Paris. Mécontent du traitement de l’information durant ce voyage à l’étranger, en avril 2001, le premier ministre l’avait abreuvée de reproches, en tapant du poing sur son fauteuil. "Vous êtes bête ?" "Avez-vous fait des études ?" Les ministres gênés plongèrent le nez dans leur journal, parmi lesquels... Jean-Luc Mélenchon.

Roger-Gérard Schwartzenberg, présent dans cet avion, pense que "si l’on doit être tout le temps sur le qui-vive désormais à cause d’Internet, tant mieux". L’ancien ministre ne croit pas que Mendès France ou de Gaulle, égaux à eux-mêmes en public ou en petit comité, seraient gênés.

L’histoire récente a retenu Xavier Bertrand, le secrétaire général de l’UMP, étrillant un journaliste de la presse régionale. Et surtout Nicolas Sarkozy, qui marque un agacement mêlé de volonté de domination à l’égard des médias. Lors d’une conférence de presse, le 8 janvier 2008, il avait répondu avec mépris et ironie à une question de Laurent Joffrin, le directeur de Libération, sur le pouvoir personnel et la monarchie élective.

"Cela m’avait consterné que les journalistes aient ri avec le président", observe Jean-Marie Charon. Le sociologue spécialiste des médias travaillait à ce moment-là avec la chaîne franco-allemande Arte : "Les Allemands, eux, étaient sidérés. Cela leur paraissait aller à l’encontre des règles les plus élémentaires de distance avec le pouvoir". La relation "très ambivalente" des politiques avec les médias, spécifique à la France, en est responsable, à ses yeux. La période de proximité, de relations croisées, voire de connivence est selon lui terminée. "Les politiques ont du mal à intégrer la situation nouvelle, dit-il. Ils savent qu’il s’agit pour eux d’une relation essentielle, cruciale, mais portent sur la presse un regard extrêmement critique." A la nostalgie d’une époque où les journalistes étaient supposés mieux travailler et répondaient à des codes connus, s’ajoute selon lui la tentation d’utiliser l’opinion dans le rapport de force avec la presse. Un cocktail qui alterne, dit-il, "copinage, vacheries, intimidation et mépris".

Béatrice Gurrey

http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/04/01/jean-luc-melenchon-politiquement-insultant_1327358_823448.html

Messages

  • Quand les journalistes feront du travail de journaliste et pas de roquet aux ordres, ils pourront se plaindre...

    Heureusement qu’il y a internet car il vaut mieux entendre plusieurs voix ( et se faire une idée) que la seule litanie du pouvoir par ses affidés peureux.

    Pas un journal aux USA n’a parlé de l’arrivée de Sarkozy et Sarkozette, ni du dîner etc...En France , c’était la une !

    Pas un journaliste pour dire que toutes ces abstentions sont normales : pourquoi irait-on voter dans un pays où quand on vote NON à 53% au TCE, on vous dit d’aller vous faire voir et que si ça ne suffit pas on va nous expliquer ça à coups de tonfas ou de falshballs. Vous avez vu des journalistes outrés par ça ?
    vous avez vu des journalistes qui expliquaient, critiquaient ce TCE ??

    Pourquoi respecterait-on des journalistes qui osent à peine défendre leurs copains prisonniers en terre lointaine ? Il est vrai qu’ils ne s’appellent pas Bettencourt

    • Tu as du rater le communiqué du SNJ-CGT lors de son congrès toi

      LILLE — Le syndicat de journalistes SNJ-CGT, en congrès à Lille, a placé lundi ses travaux "sous le signe de la solidarité" avec les deux reporters de France 3 détenus comme otages en Afghanistan depuis trois mois, ont indiqué les congressistes dans un communiqué.

      Ils ont appelé "l’ensemble de la profession à participer à toutes les manifestations de solidarité" et demandé "aux plus hautes autorités du pays de tout mettre en oeuvre" pour ramener ces journalistes "sains et saufs au sein de leur famille et de leur rédaction".

      Le congrès de cette organisation qui se présente comme le 2e syndicat de la profession se déroule jusqu’à mercredi à Lille, où il devait recevoir, selon les organisateurs, la visite de la première secrétaire du Parti socialiste et maire de la ville Martine Aubry.

      Les congressistes devaient notamment consacrer leurs travaux aux questions de statut et de droits d’auteurs des journalistes, aux nouvelles formes de précarité dans la profession, à la situation des pigistes ainsi qu’aux conséquences des nouvelles technologies multimédias sur l’emploi et le pluralisme.

      Le SNJ-CGT, actuellement dirigé par la secrétaire générale Dominique Candille, s’interrogera également sur l’évolution de ses structures à l’occasion du renouvellement de ses organes dirigeants.

    • Oh non , moi, je n’ai pas loupé !
      Mais "ce signe de solidarité" me fait penser à l’éternelle "minute de silence" ( tiens, ça rime avec bonne conscience !) qui nous affranchit de tout ce qui peut-être bien chiant et qui n’est pas à l’ordre du jour.

      Par contre, j’ai dû louper la suite des "hostilités" car pas entendu parler des manifestations solidaires ....et pas vu bouger le Sauveur Universel.

      En effet, le meilleur exemple, je veux dire la meilleure image, de ce que sont devenus certains journalistes, c’est la tête baissée, la voix coupée de Joffrin se faisant houspiller et moquer par son patron sous les ricanements des courtisans.
      Ecoeurant !.

      Désolé si tu es vexé et j’ose croire que tu ne fais pas partie du lot.
      Cordialement.
      Anjou

    • laurent JOFFRIN a fait l’expérience du journalisme de connivence , ceux qui ont relayé le rire sont des petits monsieurs
      dans cette profession c’est majoritairement "la trahison des clercs"