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Sur la séparation de la défense de Cesare Battisti

Publie le mercredi 20 octobre 2004 par Open-Publishing
3 commentaires


de Orphée

Bien que je suive à fond Fred Vargas chez Tolkien et depuis toujours - et elle le sait -, mais aussi quant à moi sous un autre angle, tant que Cesare lui-même voulait une ligne de défense politique plus générale, solidaire avec ses camarades réfugiés et ceux déjà incarcérés injustement en Italie (j’entends injustement compte tenu de l’adversaire face auquel ils se levèrent en lutte, dont partie tient les clés du pouvoir italien actuellement), je pense devoir donner des explications à la poursuite radicale de mon soutien pour Cesare face aux risques de division, parce que mon attitude peut en éclairer d’autres, peut-être (du moins je l’espère) pour l’éviter.

Il ne s’agit pas de tuer la belle énergie du comité Lyonnais, remarquable et indispensable. Il s’agit d’éviter des malentendus qui pourraient causer des failles tragiques entre les Italiens de France, alors que leur unité est nécessaire plus que jamais, au-delà des changements de chemin qui s’imposent pour Cesare. Je pense que la dernière lettre de Fred au Soutien n’était pas ambigüe sur ces points, mais il ne faudrait pas qu’elle le devienne par des interprétations inadaptées.

Cadrant avec la problématique de la résistance dans les années de plomb, et celle du devoir imprescriptible de l’hospitalité française, à l’égard de qui avait été accepté en résidence face à l’inégalité politique des chances en matière de justice, après ces années : personnellement, je ne veux pas sortir du cadre républicain qui est notre fonds symbolique, au moment même ou le pouvoir français essaye de nous le dérober - depuis un an. Car c’est celui-ci même, que nous répèterons plus loin, qui donne des chances à Cesare et nous permet de recevoir des réfugiés, qu’ils soient les anciens dignitaires malgaches ou les anciens activistes des années de plomb ; de même que c’est celui qui sans contradiction nous permettra de soutenir autant, sur une autre ligne de défense (la précédente de Cesare) les autres réfugiés italiens, si Cesare sauve sa peau - ce dont nous n’osons même pas douter, tant le pouvoir se compromettrait définitivement à persister dans la voie contraire - et ensuite, depuis la France la demande d’amnistie générale en Italie.

Là, nous ne disons pas, comme monsieur Mitterrand qui ne s’illustra pas par des actes de résistance exceptionnels pendant la seconde guerre mondiale : "sauf les crimes de sang," car nous savons bien qu’il n’y a pas de résistance par la lutte armée face à la violence sanguinaire factieuse (les attentats de masse tels qu’ils furent commis par des séditieux du pouvoir dans ces années italiennes, et tel qu’ils le furent encore à Madrid, au printemps 2004), sans sang versé également possible sous les fusils des insurgés - et là je ne parle pas de terrorisme, je parle de guerre civile, de la guerre civile chronique, larvaire qui envahit l’Italie durant ces années, où juste avant on commença par nous rendre la monnaie avec des boutons de mercière (sic) sans que cela posât problème...

Que collectivement il y ait une ligne de défense qui ne prenne pas en compte la différence des accusations entre les crimes de sang (pourvu qu’il ne s’agît pas de crimes contre l’humanité) et d’autres "délits", dès lors que les résidents ont été examinés avant d’être officiellement accueillis, car c’est un camp entier floué par le pouvoir qui succèda sans amnistie, qui fait face à l’injustice au regard des années de plomb, cela ne change en rien le fait de l’innocence matérielle de nombre d’entre eux, individuellement, et que ces derniers, étant acculés par des condamnations accablantes auxquelles ils ne pourraient plus échapper, puissent soudain se différencier pour faire état de leur situation particulière, pourvu qu’ils n’entrent ni dans le repentir, ni dans la délation. En quoi ils ne se désolidariseraient pas de leurs camarades quoique les chemins de leurs défenses respectives divergeraient. C’est exactement le cas de Cesare aujourd’hui et son attitude n’enlève aucune chance aux autres.

Du moins furent-ils solidaires symboliquement au temps des luttes, même au-delà de leurs organisations. Mais nous disons "excepté les crimes contre l’humanité", parce que la shoah soutenue activement par les gouvernements collaborateurs a rendu impresciptibles de devoir lutter pour empêcher les crimes contre l’humanité, quelles que soient leurs causes matérialistes. En même temps, le devoir d’insoumission devant l’infamie en est advenu lui-même imprescriptible.

S’il revient aux avocats de séparer les défenses à la demande de leurs clients, et bien sûr que Felice ne pouvait sûrement pas changer de ligne pour l’ensemble des réfugiés, il n’y a donc aucun ombrage à ce que Cesare soudain isolé par le jugement en cassation change de défense ; le moment n’est plus pour lui à la solidarité mais à la défense individuelle face à l’incarcération à vie devenue non plus une menace mais déjà un jugement exécutoire, serait-il encore en attente des dernières formalités pour s’accomplir implacablement.

Ni bourreau ni victime ; loin d’entrer dans la délation pour se défendre, il s’est insurgé pour y échapper, prenant la clandestinité ; le moment est venu pour lui d’affirmer son innocence sans que cela puisse en rien nuire à ses amis en attente, au contraire manifester à leur égard le doute possible, comme il manifeste l’injustice pour lui, c’est cadrer la présomption d’innocence jusqu’au devoir d’insoumission.

Son parcours éthique est sans faute. A chaque étape de chaque cas menacé, se trouve une réponse et une défense appropriés. Et d’ailleurs, j’ai assisté au procès en cassation : l’avocat missionné par Terrel et Felice, qui se trouvaient assis à l’entendre, a bien avancé la déclaration d’innocence de Cesare. C’est dire si les anciens avocats de Cesare n’avaient pas négligé qu’un nouveau stade de sa défense dût être engagé, le séparant des autres réfugiés qui se trouvaient encore au stade de la menace d’extradition non jugée.

Désormais, il ne faut pas chercher la fusion dans le consensus ; il faut chercher le consensus de la diversité.

Surtout : pas de division malgré les chemins divergents des défenseurs et des réfugiés selon leur cas institutionnel face à la justice, en toute logique des situations respectives. Cesare n’a pas besoin d’ennemis, il a besoin d’amis et ses anciens amis ont eux aussi besoin qu’il puisse vaincre sur sa propre cause, comme l’a d’ailleurs très bien souligné Vargas.

Ce qui n’empêche pas les autres de se comporter autrement et comme ils pensent devoir le faire de leur côté.

Que Bayrou s’en mêle, on ne peut que s’en réjouir, car la cause de l’extradition relève d’un cadre symbolique républicain, lié justement au devoir d’insoumission (toujours attaché à la charte des missionnaires de l’Etat) et à la présomption d’innocence traditionnels en France, ici a fortiori puisqu’il s’agit d’un accusé se disant innocent des crimes de sang, dont il fut accusé par des repentis et un dissocié et par contumace. Accusateurs que Cesare lui-même se refuse à accuser en retour, pour ne pas entrer dans le feed-back de la délation instituée - situation après les configurations politiques entraînant des affrontements historiques entre des camps en présence en Italie, qui justifie aujourd’hui l’amnistie pour fonder la paix sociale sur des bases stables. Ce qui suppose de ne pas trancher sur la juste raison des uns ou des autres (donc raisons relatives - ce n’est pas ce que je pense, mais c’est ce qu’il convient de pratiquer pour trouver des solutions adaptées).

La question est l’abolition d’une tolérance, ou d’une reconnaissance de l’insoumission politique par l’assimilation des délits cadrés par le code pénal, également en France, et dans l’Europe de Schengen - et même la cour Européenne des droits de l’homme en est devenue un leurre - ; cela pose des problème graves sur la perte juridique de la reconnaissance de la liberté de penser et du devoir de conscience. Que cette perte juridique s’accroisse d’une perte de la représentation républicaine judiciaire en France, est encore plus inquiétant sur l’avenir liberticide qu’on prépare à nos enfants et petits-enfants, puisque sauf notre rappel de mémoire privé, il n’est d’ores et déjà plus d’éducation de l’autonomie, à l’école.

Ainsi, la disparition de la cour de sureté de l’Etat n’était peut-être pas une si bonne nouvelle, quant à l’identification des libertés politiques qu’elle était censée réprimée de façon abusive, dès lors qu’elle n’a pas fait place au renforcement légal du statut de l’insoumission politique (dut-elle être réprimée en cas de violences) à l’ordre du jour des droits de l’homme européens, qui ne les reconnaissent pas (qui n’ont pas inscrit le devoir d’insoumission du citoyen).

Maintenant que Juppé émerge de son procès (un Etat qui fait propre d’un parti, n’est pas propre de l’autre pour autant, ce qui nourrit le populisme opportuniste ou le fascisme défensif des survivants au pouvoir), ce qui nous coûte le plus aujourd’hui ce n’est pas qu’il ait abusé des fonds de la ville pour son parti, - ou alors il faudrait que chacun s’inquiète du pouvoir de Charasse quand ministre du budget il tenait Beregovoy sous sa botte, et ce qu’il fit ensuite des fonds recueillis pour la postérité du président - : c’est la perte de nos droits et de nos libertés qui nous empêchent de réagir en autonomie face à la défaillance de l’économie post-industrielle mondialisée.

Mondialisation par des pouvoirs liberticides au nom de l’équilibre du monde - qu’en fait ils déséquilibrent. Peut-être, Juppé se rendra-t’il lui-même à la raison publique de ses propres responsabilités sur l’affaire Battisti, remettant le PS en ordre énergique de sa mémoire ?

Il reste et qui que nous soyons en pensées voisines, que nous ne devions certainement pas abandonner les camarades à défendre encore en termes collectifs de résistance, en regard des années de plomb. Et on ne peut que s’attrister que Cesare ait déjà été mis au-delà, par les tribunaux français désertant leur responsabilité politique indivise, en attendant le recours en Conseil d’Etat ou la grâce présidentielle sinon il serait publiquement encore, socialement, parmi nous.

Face à l’aveu tacite d’injustice représenté par la contumace et la loi payante du repentir, soutenues et redoublées par une mutation abusive de la justice et du droit républicain ici même, je le répète : le parcours de la défense à l’insoumission de Cesare est vital et sans faute éthique, parce que justement il est resté solidaire des autres réfugiés jusqu’à ce que le jugement pour l’extrader fut prononcé.

Personnellement je poursuivrai de les défendre tous (chacun sur le terrain qu’il aura choisi parmi ces deux cas).

Une personne en danger de mort, solitaire ou isolée des autres par ex par un jugement (l’incarcération à vie peut être considérée comme une mort ) - ne peut trouver que des solutions individuelles pour sa sauvegarde, et cela c’est le fondement même des droits de l’homme. Il n’y a pas de eu de trahison de la part de Cesare : la trahison aurait été d’entrer dans le jeu de la délation pour manifester clairement le camp de l’innocence. Il y a insoumission et la déclaration légitime pour l’expliquer, la communiquer afin de ne pas convoquer la haine.

Il n’y a que du droit de démocratie, de la sauvegarde des individus lorsque les collectivités les trahissent (l’Etat français) ou ne se trouvent plus en mesure de les accompagner (les autres réfugiés restant en attente de la décision de leur extradition).

Et là je dis, merci Fred pour ta force et ton entêtement, merci les camarades Lyonnais, je te suis, mais surtout sans retour en arrière. Il n’y a rien à recommencer, même s’il faut poursuivre autrement.

Pour Cesare, à son innocence proclamée depuis son insoumission pacifique et sa clandestinité ; pour les réfugiés dans leur juste solidarité collective en pleine société.

O.

Messages

  • Je suis globalement d’accord avec cette article ( quitte à me démarquer d’une trop courte contribution que j’avais envoyé sur ce forum, en réponse à une lettre ouverte à Delanoé).
    J’ai cependant quelques remarques à faire. La situation juridique européenne quant aux extraditions vers l’Italie a changé – vers 1999 ou 2000 je crois me souvenir – lorsqu’à la suite d’une pseudo-réformette du régime de la contumace en Italie, les autorités judiciaires européennes ont acté de sa conformité avec les normes européennes. Ceci, dans le cadre de leur adaptation toujours croissante aux nécessités de l’ « Etat d’urgence global et permanent » (Robert Kurz, Agamben, Scalzone/Persichetti). Ainsi ce qui avait longtemps représenté un relatif frein, sur le plan juridique formel, aux extraditions par l’exécutif français, malgré de nombreux avis judiciaires favorables, a sauté. La stratégie « De Felice / Terrel » s’est alors réduite à l’invocation de la « doctrine Mitterrand » et de « la parole donnée par l’Etat ». Rappelons que cette dernière ne réside que dans des Traités ou des Conventions internationales ratifiés, des lois et des décrets promulgués ( ou encore des arrêtés, circulaires…), bref des textes juridiques actés, et non dans une simple déclaration d’un chef d’Etat lors d’une conférence de presse en 1985. Les socialistes, 10 ans au pouvoir depuis l’énonciation de l’oracle de Mitterrand (et particulièrement de 1988 à 1993 où ils étaient à l’Elysée), auraient pu avoir tout le loisir de régler juridiquement la situation des « exilés et réfugiés » de fait italiens ( ne serait-ce qu’en leur accordant individuellement la nationalité française, rendant ainsi très difficile toute extradition ). Ils ne l’ont pas fait.
    Rappelons également que la Droite ( à travers les 3 gouvernements successifs, Chirac, Balladur, Juppé) n’avait respecté cette « doctrine de fait », qu’à la faveur de motifs d’opportunité d’ordre public : de 1986 à 1988, outre les nécessités d’opérer à bien les privatisations (et de constituer les « noyaux Balladur » dans les firmes multinationales françaises), et de tenter de gagner la présidentielles de 1988, elle a été confrontée à une grève générale étudiante de grande portée, qui démarrée dans un pacifisme et un légalisme un peu bêlant, a terminé dans la plus grande confusion, des violences émeutières, la mort de Malik Oussékine, et une grève générale à la SNCF de 3 semaines qui avait à moitié paralysé le pays. La rencontre potentielle entre les avant-gardes qui avaient provisoirement émergé de ces mouvementse et les exilés-fugitifs italiens, qui n’étaient pas dépourvus de culture de contestation et de subversion, qu’aurait pu entraîné un mouvement de répression à leur encontre, n’a sans doute pas alors été jugé opportune. D’autant aussi que peut-être, les gouvernements socialistes et centre-gauche d’Italie, avaient déjà fort à faire avec des prisons pleines et des maxi-procès à mener, sans s’encombrer davantage avec des exilés, qui se trouvaient politiquement neutralisés, par la précarité même de leur situation de fugitifs.
    En 1993-1995, Balladur eut à son tour à faire face aux nécessités de la compétition électorale avec Chirac, au parachèvement des privatisations, au mouvement de révolte du CIP ou « smic jeune » ( qui eut la spécificité de réunir à la fois la jeunesse scolarisée a priori la plus docile, celle des IUT et des Instituts techniques supérieurs, et la jeunesse la plus marginalisée, des cités et des Lep, tout cela débouchant sur de grandes violences urbaines), et au mouvement, certes très pacifique et très encadré, contre la réforme de la Loi Falloux, sur la toujours très délicate question école et laïcité, qui électoralement lui fût fatale. Idem Juppé en 1995-1997, avec ce que Négri appela très abusivement ( mais Negri est toujours abusif) la « commune de Paris en hiver », suivi de l’interminable conflit des sans-papiers. Tout cela qui conduit, tout le monde s’en rappelle, à la dissolution de 1997, et à l’échec de la droite.
    Je dirais que les réfugiés italiens, durant toutes ces années, bénéficiant de la neutralité (ou de la non-belligérance) socialiste français en la matière, sont passés « à travers les gouttes » de la répression ; avec cependant de nombreuses mises aux arrêts sous écrou extraditionnel ; des avis favorables à l’extradition, dont celui de Persichetti en 1994, qui ne sera exécuté qu’en 2002 ; et, notamment dans les années 80, – y compris sous les socialistes – de nombreuses expulsion vers des pays tiers, dont certaines se soldèrent par le retour à la case prison en Italie.
    La situation a donc changé depuis 1999 sur le plan juridique, mais surtout sur le plan politique. Le gouvernement Berlusconi-néo-MSI- Ligue du Nord est au prise avec des mouvements de contestation, certes limités mais réels, et Gênes en a été la partie émergée ; au-delà des « nouvelles brigades rouges », les menées « anarchistes insurectionnalistes », très durement réprimées dans un silence quasi absolue de toutes les extrêmes gauches européennes, pour ne rien dire des démocrates », et ici aussi matière à de monstrueuses iniquités judiciaires, un mouvement anti-guerre relativement massif, poussent ce gouvernement en pointe de toutes les innovations de l’Etat d’urgence global aux côtés des USA, à « en finir » avec les « anciens combattants » des années 70. Le gouvernement français, qui dispose depuis 2002 d’une solide position institutionnelle jusqu’en 2007, (trop) faiblement contesté lors de la réforme des retraites ( notons cependant que l’année 2003 ne fût pas marquée par des tentatives d’extradition – malgré les promesses du gouvernement français à l’italien, en septembre 2002 - ; il y a avait encore trop d’autres chats à fouetter, les intermittents du spectacle notamment), et avec la levée du verrou européen sur la contumace italienne, s’est alors trouvée dans une position favorable pour : 1) rendre service à un gouvernement ami, qui peut à rebours lui en rendre d’autres 2) montrer qu’il peut être inflexible, et qu’il n’ y a plus désormais de raison de traiter mieux les « terroristes italiens », que les kurdes, les turcs ou les algériens.
    La faiblesse, stratégique et tactique, majeure des défenseurs de Battisti (avocats, comités de soutien et personnalités – médiatiques ou non – du monde littéraire, politiciens socialistes et verts) a été de raisonner en faisant abstraction – les uns par inadvertance, les autres par calcul - des divers éléments que je viens de rappeler. Qu’ils pouvaient faire une bonne petite campagne médiatique « démocratiste » et « garantiste » - (la parole de Mitterrand ! Qui avait si bien protégé, alors qu’il était encore en vie, les Kurdes d’Irak en 1987 et 1988 , alors que Saddam Hussein était l’ami de la France, que cette dernière aidait contre l’Iran ; et à nouveau en 1991 après la guerre du Golfe I, et les Hutus du Rwanda, et les Bosniaques de Srebrenica, et Eloi Machoro en 1984 …), et obtenir rapidement satisfaction. D’où la stupeur après la déclaration de Chirac, le 2 juillet dernier. C’était tout de même oublier la « jurisprudence Persichetti » (août 2002 sur fonds de déni de réalité par toute la gauche et l’extrême-gauche française, tout occupées à dénoncer, moins les violences policières à Gênes, que les « provocations policières » à Gênes, c’est-à-dire les jeunes prolétaires qui s’étaient légitimement affrontés à l’Etat de siège de Gênes, « état de siège » négocié par les organisateurs de gauche et d’extrême-gauche).
    Que maintenant, cette stratégie ayant échoué, Battisti ait choisi de nouveaux avocats et ait opté pour une défense « innocentiste », en espérant que les autorités françaises ne l’extradent pas, est à la fois logique, mais hélas, je le crains, tout aussi irréaliste. D’abord parce que les autorités français (exécutif comme judiciaire) rétorqueront que maintenant c’est à la justice italienne de se prononcer ( je suppose qu’il existe aussi, au-delà de la question de la contumace, une procédure de « révision » d’un procès d’assises en Italie, même si elle doit être tout aussi improbable à obtenir qu’en France). Je reconnais que la situation personnelle de Battisti est monstrueusement inique, mais le proclamer innocent ( ce qui est d’ailleurs hautement probable) qu’est-ce que cela change face à cette situation ?
    Le mieux aujourd’hui serait que Battisti, avant que d’être arrêté, puisse rejoindre un pays tiers qui lui accorderait un réel asile politique ( Cuba ? le Vénzuéla ? la Norvège ?... ?), en attendant que la situation change en France ou en Italie. Que ses « soutiens » et avocats agissent en cette direction, et que soient mobilisés des ressources financières conséquentes pour l’aider lui et sa famille. Que pour le reste, les autres réfugiés, un mouvement pour l’amnistie en Italie et pour le refus de toute extradition des réfugiés politiques italiens des années 70 et 80 se développent : en se liant avec les luttes sociales en France, en expliquant le lien entre les restructurations capitalistes et la remise en cause des droits sociaux en Europe, et la politique répressive d’état d’urgence global, qui frappe dans sa vindicte, 20 ou 25 ans après les faits, des militants politiques du prolétariat, en rupture avec toutes les traditions juridiques bourgeoises européennes depuis 150 ans. C’est seulement sur cette base, en espérant que des luttes sociales en France vont bientôt se redéployer, et mettre dans l’embarras l’exécutif français, que l’on peut espérer voir les camarades ou ex-camarades italiens échapper à l’enfer carcéral. Il serait aussi bien venue de ne pas oublier les actuels prisonniers en Italie, y compris sur le plan d’une solidarité financière, et de poursuivre un dénigrement systématique de la magistrature et des politiciens italiens.

    • L’article, d’ailleurs très intéressant, n’est pas signé. Pourrais-je connaître l’auteur ?
      Paola De Luca

    • Paola, merci pour ton rappel chronologique et sur le fonds. Néanmoins, je voudrais dire, personnellement, qu’il faut peut-être garder un peu de spontanéité face aux machines : je ne pense pas qu’on développe des luttes synchrones avec des projets - c’est le problème d’Oreste de ne pas vouloir sortir de la cohérence d’un système proposé, en une époque où certes la persistance est nécessaire pour la pérennité du sens, mais certes aussi les pouvoirs sont si forts et la désinformation si généralisée, qu’il est impossible d’ignorer l’aléatoire à avoir observé qu’il aide le plus souvent l’événement (à chacun sa théorie de référence moi j’en reste face aux centralismes y compris les plus voisins de mes idées à celle du chaos et de la masse critique pour métaphores et dynamique organiques). On a tous le droit d’inventer notre théorie, il n’en est pas de supérieure sauf de nature divine, et ce n’est pas mon lieu de remplacer Dieu par des hommes... Les luttes sont les luttes qui doivent être menées pragmatiquement quand le problème se pose, et bien sûr, elles suppposent des stratégies et de l’intelligence, mais surement pas des hypothèses théoriques qui empêchent l’autonomie en la matière. Si ces luttes posent problème de succès pour les pouvoirs, c’est qu’elles font basculer à partir des cas particuliers qu’elles concentrent d’autres questions, tout simplement parce qu’elles portent le dévoilement des réalités contre l’idéologie. Il n’y a pas à attendre le grand retour prolétarien, post prolétarien ou précaire cognitaire en masse pour se battre ponctuellement et intelligemment (en fonction du territoire symbolique consensuel hérité, quand il existe, car rien n’est plus fort dans la conscience que la mémoire de telles traditions) contre les lois liberticides quand elles se manifestent.

      Si la résistance n’avait pas commencé en France, dont partie par une activité critique extérieure pour des militants de l’intérieur du parti communiste lui-même, avant la rupture du pacte germano-soviétique, même le sacrifice du colonel Fabien n’aurait pas suffi pour lever le peuple prolétarien communiste contre les nazis.

      Souvenons-nous des sionnistes lors du dernier congrès à l’aube de la seconde guerre mondiale, où ceux qui oeuvraient pour la Palestine décidèrent de se séparer des luttes des Juifs en Europe, les laissant face à la Shoah et trahissant les Bundistes de Varsovie. On connaît la suite - et je dirai au bout du tout, que ce fut voulu ou pas, la preuve par le pire de la necessité d’Israël...

      Il faut des exemples forts pour comprendre le seuil de l’Europe actuelle contre les libertés de toutes sortes : des souverainetés aux citoyennetés, y compris en matière d’activité - j’évite volontairement les termes théoriques connotés par des concepts intellectuels d’auteur, et de parler d’économie, pour épargner les divergences des points de vue entre les experts et les populaires autonomes, le mien par exemple, et celui respectivement consensuel des organisations -. Vouloir le grand bon tout n’a jamais mené l’Europe à son mieux dans son histoire... car elle est une diversité de fait manifestée par nos histoires respectives - et d’abord en matière des luttes.

      Tel est mon point de vue, et qui n’empêche en rien une diversité d’activités solidaires.

      Sur l’affaire Battisti, il y a un fait nouveau depuis que le jugement a été prononcé : précisément atteinte à la souveraineté de la justice républicaine en France, en ce qu’on la dépourvoit de son attribution politique représentative de l’unité indivisible des trois principes (liberté, égalité, fraternité) de la république attribuée à chacun des trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) qui en est respectivement et réciproquement représentatif pour lui-même, c’est la garantie du dispositif égalitaire et solidaire en France par une proposition auto-critique interne du pouvoir ; ce fait de transgression, de passage à l’acte liberticide est formé par les deux lois de justice Perben, qui signifient donc un putch anti-républicain, il faut le savoir. Cela n’est pas inscrit dans Schengen : qu’une république régionale doive disparaître d’elle-même, que je sache !!! C’est donc la manifestation d’un effet pervers périphérique de Schengen à propos de la sécurité contre les souverainetés. En cela, la lutte pour Battisti est incontournable et n’est pas le lieu d’une opinion partisane en France : il faut le dire et se battre là-dessus. Nous perdons nos propres libertés et scructures de paix civile acquises, et la configuration exemplaire, opportune en communication, et manifeste pour le pouvoir de faire prescription, c’est "l’objet communiquant réel symbolique et imaginaire" Battisti : donc pour nous aussi, citoyens français.

      C’est la seule façon de désenclaver le combat pour les réfugiés de leurs engagements respectifs pour passer à une large mobilisation de l’opinion régionale et européenne. Il n’y en a pas d’autre immédiate. Ce n’est pas un projet : nous y sommes. Alors ne le ratons pas. Soyons pragmatiques pour la défense de la liberté et de l’autonomie critiques de la diversité européenne. A chacun ensuite d’aller vivre où il préfère - ou bien où il peut, où les lois le lui permettent - vu la cohérence liberticide de la tendance des alliances européennes - et pour l’éviter voir divers plutôt que tout un.

      Quant à la séparation de la défense de Battisti de celle des autres réfugiés, dans la même obervation pragmatique on ne peut qu’en admettre la pertinence - et de plus sans rupture de solidarité sous-jacente, même si momentanément elle paraît ignorer ses voisins. Cela ne compromet en rien que l’on doive et puisse défendre le refuge politique en France pour lui-même - indépendamment des délits incriminés dans les pays d’origine, excepté les crimes contre l’humanité.