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Ankara-Gaza-Brasilia

Publie le vendredi 4 juin 2010 par Open-Publishing
2 commentaires

de Jean-Michel Vernochet

« Israël a déjà perdu la bataille des opinions » déplore le quotidien israélien Maariv. En vérité, la première vague d’émotion passée lundi 31 mai, la reprise en mains des médias ne s’est pas faite attendre, elle a même été particulièrement rapide en France. Car le début d’incendie médiatique qui s’était déclaré à l’annonce de l’abordage nocturne en haute mer des six bateaux d’un convoi humanitaire turc destiné à la bande de Gaza (soumise à un hermétique blocus de la part de l’État hébreu), a été immédiatement enseveli sous des tonnes de sable dormitif.

Dès mardi, si nous prenons la France pour exemple, la tendance commence à être renversée dans l’opinion et l’incident est relativisé. Ainsi le président de là République française « condamne l’usage disproportionné de la force », ne rejetant par conséquent que le caractère « disproportionné » et non le recours à la force elle-même, autant dire, un acquiescement… Le même soir, l’émission satirique « Les guignols de l’info », sous les dehors d’une critique assassine, se concluait en ces termes (dialogue entre le présentateur Poivre et le Premier ministre hébreu) : Poivre « vous n’êtes pas un peu paranoïaque ? » - Netanyahou « Oui, comme un juif entouré d’arabes qui le détestent ». Une façon assez subtile de dire que, finalement, bien entendu, le gouvernement israélien a mal agi mais qu’il a peut-être une excuse absolutoire, Israël étant assiégé de tant d’ennemis acharnés. C’est pour sûr omettre la question fondamentale de savoir pourquoi ce petit État (et grand perturbateur de l’ordre international) a le rare privilège de susciter autant de désaveux ?

Mais toute l’affaire n’est-elle pas une sorte d’illusion d’optique ? Si l’on interroge M. Tout le monde, il y a de fortes chances pour que celui-ci n’ait retenu qu’une seule « idée » échappée du jet de vapeur médiatique, à savoir que la flottille humanitaire était en fin de compte un convoi terroriste abritant des djihadistes. Pieusement la presse reprend les allégations selon lesquelles le convoi humanitaire n’aurait été qu’en entreprise dirigée en sous-main par…Al Qaïda !

Le mot magique étant lâché, la fermeture des esprits est immédiate, et comme le dit si bien Iago (dans Othello), soigneusement instillé un petit doute devient aussitôt immense. La cause est entendue, les torts étant partagés, Israël dispose du droit (légitime) de se défendre. Parce que dans l’imaginaire collectif, la légitime défense, même si elle conduit à un acte de brigandage particulièrement odieux, prime sur toutes autres considérations, fussent-elles de droit international.

Pour ce qui est des médias américains et britanniques l’affaire est un non-événement : pour s’en convaincre il suffit d’aller sur CNN ou la BBC, chaînes sur lesquelles le Golfe du Mexique et accessoirement le golfe (le jeu) occupent les premières places dans les reportages. Il est vrai qu’il est apparemment tout aussi difficile de colmater le puits en éruption au large de la Louisiane que de parvenir à un règlement équitable du contentieux endémique israélo-arabe.

Seuls les Turcs et leur gouvernement, au troisième jour après l’incident, restent sur la lancée de leur indignation. Laquelle cristallise et condense un fort ressentiment sourdement accumulé au long des ces dernières années. Défiance qui s’accroît au fil des ans, au fur et à mesure que l’AKP (Parti pour la Justice et le Développement au pouvoir en Turquie depuis 2002) renforce sa base populaire islamique au détriment de l’armée kémaliste, alliée stratégique de l’État hébreu.

Aussi, lorsqu’en France le journal officiel « Le monde » titre « Triple fiasco pour les Israélien », il montre soit la plus totale absence de recul de la part des plumitifs de service, soit une myopie intellectuelle aggravée, soit peut-être une certaine forme de collusion dans la désinformation volontaire. En effet l’opération contre le bâtiment humanitaire turc « Marmara » a été de toute évidence mûrement réfléchie et magistralement exécutée. L’opération dans son ensemble est un indéniable succès dès lors qu’on en aperçoit les buts et les motivations véritables…

Donc quels étaient les réels objectifs israéliens en lançant cette opération qu’ils savaient à l’avance nuisible à leur image de marque en Europe et dans le monde musulman, mais pas en Amérique du Nord et dans le monde anglo-saxon ?

En premier lieu il s’agissait d’envoyer un signal fort à la Communauté des Nations (États-Unis compris), qui vient de commettre un insupportable crime de lèse impunité à l’égard de Tel-Aviv en recommandant, dans le rapport final de la Conférence d’examen du TNP le 28 mai (Traité de non-prolifération qu’Israël n’a pas signé), une dénucléarisation générale du Proche-Orient et la ratification par la Knesset de cet indispensable Traité de bonne conduite internationale. Message clair de la part de Tel-aviv signifiant que la souveraineté en matière de « sécurité » israélienne s’applique partout, toujours, envers et contre tous.

Notons à ce propos, que si le Premier ministre Netanyahou a officiellement décidé d’annuler la visite prévue à la Maison Blanche en raison l’affaire du Marmara, il a en réalité choisi ce prétexte pour marquer son dépit et sa mauvaise humeur « après la trahison d’Obama à l’égard d’Israël et son appui à d’éventuelles inspections des sites nucléaires israéliens » comme le député israélien ultra, Aryeh Eldad, le pressait de le faire. Une position partagée quasi unanimement en Israël où tous, société civile et personnalités publiques, considèrent le vote américain en faveur d’un contrôle international sur les sites israéliens atomiques du Néguev comme une véritable « insulte » voire comme une provocation.

Second message, à l’attention d’Ankara celui-là, et visant à punir le gouvernement turc pour s’être immiscé dans le dossier iranien et pour avoir affaibli par l’accord tripartite signé le 17 mai à Téhéran [voir analyse infra] les mécanismes de contention mis en place pour asphyxier l’Iran… une crémaillère des sanctions concoctée et orchestrée par la diplomatie anglo-américaine sous le regard bienveillant des Likoudniki de Washington (les néoconservateurs) et de Tel-Aviv. Subsidiairement, comme le souligne « Voltaire.org », il s’agit d’exacerber les tensions existantes entre le haut commandement kémaliste, laïque, nationaliste pantouranien et le pouvoir civil d’obédience islamique. Gardons en mémoire que la Turquie est un pays où les « coups » militaires sont une tradition (pas moins de quatre entre 1961 et 1998)… En 2003, quarante neuf officiers turcs officiers auraient de cette manière préparé, sous l’appellation « Marteau de forgeron », le renversement du Premier ministre Recep Erdogan et de son parti l’AKP.

Dans ce contexte de dégradation sensible des relations entre les deux capitales et de tensions persistantes entre le gouvernement civil turc et l’État profond (le pouvoir armé garant de la doctrine kémaliste contre islamique), l’initiative d’une flottille humanitaire était une occasion rêvée d’envoyer un sévère avertissement à Ankara (sous forme d’une action vengeresse). Ankara dont l’active diplomatie régionale a, par ailleurs, depuis quelques années, amorcé un rapprochement simultané avec deux anciens adversaires de longue date, Damas et Téhéran, tous deux opposants radicaux à la politique israélienne d’hégémonie régionale.

Enfin, troisième volet de l’opération contre la flottille de la Paix, l’assassinat ciblé, sous couvert d’une tuerie, d’un Israélo-palestinien, Raëd Salah, plusieurs fois emprisonné et cette fois-ci blessé d’une balle dans la tête. Un prédicateur acharné de la défense de la Mosquée Al-Aqsa, laquelle est, avec le Dôme du Rocher, le fleuron du Mont du Temple, troisième lieu saint de l’Islam… l’Esplanade des mosquées étant à l’heure actuelle, sans doute le lieu le plus disputé au monde.

Raëd Salah, s’il survit à sa blessure sera, de toute façon hors d’état de nuire aux intérêts israéliens. Ainsi, derrière l’apparente stupidité de commandos à la détente chatouilleuse, la tuerie qui a suivi n’était pas un simple dérapage mais une action de couverture pour un crime prémédité. Ceci ne relèvant pas d’une quelconque extrapolation, car qui pourra croire qu’une unité d’élite (sortie du même moule que celle qui accomplit le légendaire raid d’Entebbe) puisse effectuer des tirs dans la tête autrement que pour tuer (et non pas pour neutraliser) ?

Au-delà du cynisme des autorités de Tel-Aviv, par-delà leur art consommé de la tromperie, en dépit du chœur des pleureuses de la presse israélienne qui se lamente sur l’honneur perdu de Tsahal, le devoir de tout observateur lucide et honnête de la chose internationale, est de dire que la démonstration de force de l’État hébreu est un « succès ». Et il faut certainement s’attendre à d’autres manifestations de son ire car les hommes de fer qui le dirigent, n’accepteront pas que la politique israélienne (laquelle associe in fine la droite religieuse, les likoudistes et la gauche travailliste) puisse être désavouée de quelque façon que ce soit par quelqu’État que ce soit.

Il faut donc tempérer l’optimisme de ceux qui crient victoire, pensant que l’État hébreu s’est - avec une bavure de trop – définitivement plombé. Le proche avenir devrait, en toute logique, démentir, cette prévision bien prématurée. Certains ont cru à un dérapage incontrôlé de l’hybris israélien (son absence de mesure), alors que tout indique au contraire que cette opération (même si elle est allée un peu loin) est à l’arrivée un franc succès, en particulier auprès de ceux qui sont capables de décrypter les messages. Après tout la crispation internationale n’est-elle pas montée de quelques degrés ? Et n’est-ce pas ce que veulent ceux qui souhaitent voir le monde entrer en guerre ?

Il existe à ce propos un précédent et de taille. Ignoré des Européens, la mémoire en restée vive chez les vétérans de la Marine des États-Unis. Il s’agit du lamentable épisode de l’USS Liberty qui le 8 juin 1967, lors de la guerre des Six jours, fut l’objet d’attaques, par mer et par air, pendant plusieurs heures de la part de l’armée israélienne, cela sans que les bâtiments américains croisant à proximité n’interviennent. Un bilan lourd, 34 morts, 171 blessés, une plaie loin d’être refermée chez les militaires américains. Apparemment le « message » avait été entendu à Washington qui s’était contentée à l’époque d’une poignée de plates excuses…

Tous les analystes craignent à présent que des « provocations » (telles ces rencontres fâcheuses, faussement fortuites, entre des intercepteurs rapides lourdement armés et une flottille de pacifistes non-violents) ne servent à un moment ou à un autre de déclencheur à un affrontement direct ave l’Iran.

Car comment ne pas imaginer qu’en semant le vent, Tel-Aviv n’espère récolter la tempête ? C’est un jeu dangereux certes, à double tranchant, car si demain - comme Ankara en aurait annoncé l’intention - un second convoi humanitaire était envoyé pour forcer le blocus (illégal) de Gaza, mais cette fois en le faisant encadrer par des bâtiments de guerre, qui nous dit que, dans ce cas, la situation ne dégénéra pas ? Israël est-elle prête à utiliser son arsenal nucléaire contre un membre de l’Otan ? Hypothèse irréaliste, mais un regain de tension régional qui s’insère en bonne place sur cet arc de crise qui, partant de la Corée du Nord, s’arrête à la Méditerranée orientale, est un élément à ne pas négliger en ce qu’il peut participer d’une réaction en chaîne. Un arc de crise où la montée des tensions est désormais régulière…

JMV-2 juin 2010

http://www.geopolintel.fr/article275.html

Messages

  • 1. Ils l’ont fait exprès, bien sur !

    2. La presse complice est en train de reprendre le dessus !

    Samedi, s’il n’a pas été saboté, arrive le "RACHEL CORRIE" avec l’appui du gouvernement irlandais .

    LIEBERMAN a prévenu : il ne passera pas !

    Il faut garder les yeux sur ce bateau, ses passagers et son équipage.

    Relayons toutes les informations !

    • car qui pourra croire qu’une unité d’élite (sortie du même moule que celle qui accomplit le légendaire raid d’Entebbe) puisse effectuer des tirs dans la tête autrement que pour tuer (et non pas pour neutraliser) ?

      oui mais quand même leurs fameuses troupes d’élite en 2006 elles sont parties en courant et beaucoup ont eu un suivi médical pour troubles psychiques !!
      alors les nerfs de ces mecs dès que l’adversaire dépasse 12ans c’est surfait !