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Comment les médias peuvent faire incorporer aux acteurs sociaux les valeurs néolibérales (II)

Publie le vendredi 13 août 2010 par Open-Publishing
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(Suite du texte du 12-8-2010, 6h47)

Le consensus entre les actionnaires, barrière difficilement identifiable au-delà de laquelle les journalistes et les créateurs ne peuvent aller sans risquer le licenciement ou la mise au placard, se fait sur ce qu’on peut appeler les valeurs néolibérales.

L’État minimal néolibéral est le résultat du démantèlement de l’État social au profit d’un État considéré comme un État entreprise, le chef de l’État étant, dissimulé derrière une gestion comptable et sécuritaire, un patron tout aussi autoritaire et cynique que les actionnaires sont bureaucrates et sans âme dans les entreprises qu’ils possèdent. Cette transformation de la démocratie est compatible avec la transformation des médias en entreprises possédées par les gros actionnaires.

Cette possession des médias par les promoteurs du néolibéralisme explique que, à travers les fictions, les divertissements ou les informations, ce sont justement les valeurs néolibérales, quand elles sont mises en scène avec efficacité, quotidiennement et à dose suffisante, qui peuvent devenir des évidences et constituer un milieu de vie pour les acteurs sociaux.

Avec des rythmes hachés, des séquences courtes et percutantes, des transitions irrationnelles, des répétitions, mais aussi des belles histoires, selon les techniques d’opposition et de captage de l’attention du marketing, le monde proliférant des jeux, des divertissements et du sport est plutôt un monde de concurrence, en contraste avec le monde dévalorisé de la solidarité, tandis que le monde des fictions formatées et des séquences d’information manipulées de manière fictionnelle est souvent caricatural, avec d’un côté, les criminels, les étrangers et les héros négatifs antilibéraux qui menacent et provoquent l’insécurité, le désordre et la peur, et de l’autre côté, les chefs et les intellectuels « raisonnables », tous ceux qui établissent la sécurité et le bien-être.

Les médias de masse ne se présentent pas seulement comme des générateurs de spectacles réduisant à une relative passivité les téléspectateurs, construisant leur seul cadre de vie, mais, selon une prétention à une démarche globale, ces médias visent à rythmer la vie quotidienne, dans la mesure où ils sollicitent aussi le militantisme des téléspectateurs, un type de militantisme affectif qui marginalise le militantisme syndical et politique, trop rationnel. Les spots publicitaires incitent au passage à l’acte de la visite au supermarché. Les émissions avec animateurs conviviaux s’adressant au public sur le plateau et au public devant l’écran, sollicitent de manière diverse l’intervention émotionnelle ou pratique des téléspectateurs, jusqu’à une participation, souvent factice, à la programmation, au déroulement et à l’impact social des émissions.

C’est ainsi que, jouant le rôle de l’employeur, le téléspectateur participe à l’élimination d’un candidat dans la télé-réalité. Sauvegardant le capitalisme par la correction humanitaire de ses dysfonctionnements, le téléspectateur participe à une assistance à l’égard des victimes qui n’est que la mise sous tutelle des gens qu’on prétend aider. Avec l’appel à l’utilisation du concept de « care » en politique, c’est toute la population salariée qui serait transformée en population assistée, une population à qui on dénierait la capacité civique, la dignité d’acteur social étant réservée aux chefs, les chefs d’entreprise et le chef de l’État. Quant au téléspectateur écologiste, il suit les conseils de tri individuel des déchets, au moment où le fret SNCF supprimé met des milliers de camions sur les routes. Le téléspectateur militant social, lui, répond à la demande de don charitable d’une recherche médicale, pendant que les postes de chercheurs et les lits d’hôpitaux sont supprimés.

Le vote n’est plus qu’un acte affectif de type achat compulsif ou du type pseudo choix d’un divertissement qui succède à un autre sans avertir et qu’on subit plus que l’on choisit, par économie de réflexion. Un tel vote est adapté non au vote rationnel, consécutif à des débats, pour un programme ou des idées, mais au vote pour des hommes providentiels dont il nous est donné de suivre l’histoire au jour le jour. La Ve république, monarchie instituée sous la pression des généraux d’extrême droite, est tout à fait compatible avec le fonctionnement essentiellement bureaucratique et centralisé des médias de masse.

L’hégémonie culturelle du capitalisme passe autant dans les journaux télévisés que dans la fabrication par les officines de marketing et de sondages de certains types de programmation et de flux adaptés aux différents publics, selon des agendas fixés par les intérêts économiques et politiques.

Même ceux qui zappent la publicité ou qui refusent de regarder des informations qu’ils considèrent comme le développement d’une propagande à sens unique, risquent d’être d’autant plus victimes qu’ils ne se rendent pas compte de l’importance du rôle des fictions, des divertissements, mais aussi des rythmes et des programmations, et même ils risquent de renforcer cette hégémonie culturelle du capitalisme s’ils laissent penser qu’on peut s’en sortir individuellement, sans conceptualisation rigoureuse de la place et des fonctions des médias actuels.

Il reste donc à trouver une alternative.


Suite :
 Les attitudes vis-à-vis des médias qui maintiennent ou renforcent la domination néolibérale (III)