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Suites du G20 à Toronto - Saisir l’anarchisme à travers les nuages opaques de la désinformation

Publie le mardi 24 août 2010 par Open-Publishing

En tant que membres du Collectif de recherche sur l’autonomie collective (CRAC), nous joignons notre voix à celles des nombreux groupes et individus qui ont vigoureusement dénoncé la violence étatique et la répression policière sans précédent auxquelles nous avons assisté lors du Sommet du G20 à Toronto. Ces violences ont affecté nos amis et amies, nos collègues, nos camarades, nos partenaires, nos communautés.

Par la même voix, nous tenons également à dénoncer les discours sensationnalistes et désinformés qui ont surgi dans les médias à l’occasion de ces événements.

La répression a ciblé délibérément des militants qui n’avaient commis pour unique délit que celui d’être vêtus de noir. Les médias, s’intéressant également à la mode vestimentaire des anarchistes, font la une avec des images de « jeunes » casseurs et s’acharnent sur le fameux « black bloc » dont on répète le nom ad nauseam, prétendant ainsi cerner le phénomène. Comme s’il n’y avait pas de contenu politique derrière les diverses tactiques utilisées...

Des valeurs qui dérangent

Méconnaissance du terrain, paresse intellectuelle ou primauté de la vocation marchande des médias ? Peut-être. Cependant, il appert de façon évidente qu’une des raisons principales pour laquelle on cherche à criminaliser et à intimider ceux et celles qui s’identifient à l’anarchisme est le fait que ces personnes composent un mouvement toujours grandissant qui véhicule des valeurs contraires à celles des tenants du projet capitaliste. Coopération au lieu de compétition ; aide mutuelle au lieu d’individualisme ; autogestion au lieu de hiérarchie ; respect au lieu de racisme, (hétéro)sexisme, âgisme ; liberté au lieu de contrôle.

La liberté, pour les anarchistes, est au coeur de l’humanité, et ne peut exister sans égalité. Cette liberté, bien loin de celle conçue par la société libérale, vise en fait un épanouissement personnel indissociable du bien-être collectif. L’égalité, quant à elle, devient possible quand les personnes directement concernées prennent en charge tous les aspects qui touchent leurs vies : les décisions politiques, l’offre de services, la production de biens, l’aménagement du territoire.

Or l’État, proche allié du monde capitaliste, semble déterminé à empêcher les idées et pratiques anarchistes, fondées sur ces valeurs positives, de se répandre plus largement dans la société. Sachant qu’un grand pan de la population se sent écrasé par un sentiment toujours grandissant d’impuissance face aux injustices de ce monde, l’État emploie tous les moyens à sa disposition pour faire taire les dissidents qui proposent des chemins alternatifs vers un monde meilleur. Afin de maintenir sa légitimité, il cherche donc à interférer avec la construction d’un mouvement de masse basé sur les valeurs anarchistes.

Un mouvement fort

C’est la mise en pratique de ces valeurs qui est au coeur des travaux du CRAC, groupe de recherche affilié à l’Université Concordia. Depuis cinq ans déjà, le CRAC mène un patient travail de terrain, en collaboration avec des réseaux et collectifs du Québec qui sont fondés sur les valeurs anarchistes, pour documenter leurs idéaux, leurs pratiques, leurs modes d’action et d’organisation.

Ce qui se dégage de nos travaux, c’est qu’il s’agit d’un mouvement qui existe bien au-delà des manifestations fracassantes auxquelles on voudrait le réduire. Ici au Québec, ce mouvement est en effet fort de plusieurs centaines de personnes, qui bénévolement, avec leurs tripes et leurs révoltes, animent un espace de réflexion et d’action politiques dans les marges d’un système institutionnel qui est dans l’impasse.

Ces personnes cherchent à appliquer les valeurs qui les inspirent dans leurs luttes de tous les jours dans des domaines d’activité aussi variés que ceux de la défense des droits des immigrants et des réfugiés, des gais, lesbiennes et queers, contre la guerre, l’impérialisme, la colonisation, la destruction écologique, la gentrification, le sexisme, la malbouffe ou la répression policière, pour ne nommer que ceux-ci.

Créer un monde meilleur ici et maintenant

Ces anarchistes, traités comme des terroristes dans les rues de Toronto, étudient dans nos collèges et universités, s’impliquent dans les comités d’école de leurs enfants, s’occupent de leurs proches, travaillent dans des groupes communautaires, vous vendent votre pain ou servent votre café dans des quartiers qu’ils et elles contribuent à transformer.

Ces personnes créent des cafés-bars militants, des librairies et des bibliothèques indépendantes, des médias alternatifs, des comités de quartier, des coopératives autogérées, des fanzines libertaires... Elles proposent le recyclage de vieux vélos, diffusent des logiciels libres, forment des groupes se vouant à l’autosuffisance alimentaire biologique (par l’entremise de groupes d’achats, de partage de semis, de l’agriculture)... Elles se réapproprient des espaces laissés à l’abandon pour y faire vivre des coopératives d’habitation, des parcs, des soirées de cinéma et des fêtes de quartier. Elles organisent des espaces d’échange de connaissance et des écoles libres pour enfants...

Les militants de la mouvance anarchiste expérimentent, au sein de ces projets, des modes d’organisation et de fonctionnement basés sur la démocratie directe et l’autonomie. Toutes les personnes impliquées dans un projet participent aux prises de décisions, à la gestion et à la réalisation des tâches. Il n’y a ni chef, ni patron, ni représentant. Des mécanismes sont mis en place pour faciliter les discussions, l’apprentissage d’habiletés, la participation aux réunions, la création de rapports sociaux égalitaires.

Refusant les subventions gouvernementales, ces groupes se tournent vers le fais-le-toi-même (Do-It-Yourself), la récupération de matériaux et de nourriture et le troc afin de réduire leur dépendance aux échanges capitalistes.

Enracinés dans leurs communautés, ces groupes cherchent donc à mettre sur pied des projets politiques, sociaux, économiques et culturels autonomes qui rompent avec la logique de domination qui motive l’intérêt capitaliste. Ces initiatives véhiculent une autre forme de lien politique, de « vivre ensemble », fondé sur des valeurs anarchistes et des liens de proximité.

En mettant en pratique leurs valeurs et leurs visions dans le moment présent, ces groupes tentent de faire des « révolutions minuscules de tous les jours », bien souvent dans l’ombre des projecteurs. Ce faisant, ils démontrent à leurs voisins et voisines qu’ils sont en mesure de s’organiser de manière autonome, sans dépendre des élites politiques et économiques. Et chaque fois qu’une voisine, qu’un voisin décide de s’impliquer, elle ou il participe à la construction d’institutions et de projets alternatifs, qui un jour, on ne peut que l’espérer, rendront redondants et désuets ceux du système dominant.

Interférer avec le bon fonctionnement du système dominant

Mais les porteurs de ce système dominant ne se laisseront pas faire. C’est pour ça qu’à ce travail de longue haleine s’ajoutent, comme ce fut le cas lors du G20, des actions d’éclat qui visent les symboles du capitalisme mondial. Ces actions contribuent à révéler au grand jour les conséquences d’un système injuste et à freiner la consolidation des projets des élites.

L’histoire nous démontre que les mouvements qui ont contribué au changement social ont utilisé un éventail de tactiques allant de l’éducation populaire au sabotage en passant par la désobéissance civile. Ces dernières tactiques se veulent donc complémentaires à un éventail d’initiatives ancrées dans des valeurs communes qui, dans leur ensemble, constituent le terrain de lutte des anarchistes contemporains au Québec.

Ainsi, l’approche médiatique qui réduit le mouvement à ses coups d’éclat sans en relever le contenu repose sur une bien étroite conception du politique. Ce qui est proposé dans les médias ne décèle que la partie visible de l’iceberg d’un phénomène beaucoup plus important.

Aussi, en réprimant massivement la dissidence sous prétexte du danger de quelques actions musclées, l’attitude des autorités traduit la volonté de réduire au silence un mouvement qui dérange, surtout par la force de ses idées et la profondeur de son enracinement. Mais le passé nous démontre aussi que ceux et celles qu’on écrase trouvent toujours la force de se relever...

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Émilie Breton, Anna Kruzynski, Magaly Pirotte et Rachel Sarrasin - Collectif de recherche sur l’autonomie collective