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AUX LIMITES DU SYSTEME MARCHAND

Publie le samedi 6 novembre 2004 par Open-Publishing
4 commentaires


de Patrick MIGNARD

Tout système dans l’Histoire a atteint un jour ou l’autre ses limites et a cédait la place à un autre système, à une autre organisation de la société, basées sur d’autres valeurs. De même que tout système dans l’Histoire a cru qu’il était l’aboutissement ultime de l’évolution sociale, notre système tombe dans le même travers et veut nous faire croire que l’Histoire est finie. Il faut replacer le système marchand à sa « juste place » dans l’Histoire.

Ne nous méprenons pas, malgré les discours lénifiants et les entrechats médiatico politiques, le système marchand a de moins en moins de marges de manœuvres pour limiter les conséquences de l’application de ses règles de fonctionnement... lui aussi tend inéluctablement vers ses limites.

Les problèmes économiques s’accompagnent aujourd’hui d’une véritable décomposition sociale, d’une perte de confiance dans ce qui constitue sinon les valeurs, du moins les conditions d’expression de celles-ci dans notre société.

A moins de croire en la fatalité ou au hasard, ou en une volonté divine, ce qui revient à peu prés au même, le secret de la compréhension de l’évolution historique, du sens de l’Histoire diraient certains, réside très probablement dans la compréhension des mécanismes à la fois unificateurs et contradictoires qui sont à la base des sociétés. La démarche de cette connaissance n’est pas simple car, contrairement à la science physique, on n’a pas affaire à une science exacte et l’on ne peut pas établir des lois à vocation spatio-temporellement universelles.

DE L’EXPLOITATION DE LA FORCE DE TRAVAIL A L’EXCLUSION SOCIALE

Il n’y a pas de linéarité dans le développement des contradictions du système marchand. Ceci signifie que l’hypothèse faite au 19e siècle d’un développement et une aggravation toujours plus importante de l’exploitation salariale touchant un nombre de plus en plus grand d’individus, ne s’est pas réalisée conformément à la prédiction. En effet, s’il y a bien eu « généralisation du salariat »... et le processus se poursuit, et même dans des secteurs où on l’attendait le moins (professions libérales, travail social,...), les conditions de la valorisation du capital (accroissement de la rentabilité, réduction des coûts) a entraîné un phénomène conjoncturel qui est devenu structurel : le sous emploi. La croyance en un besoin toujours plus important, voire illimité, de force de travail s’est avérée fausse. Ainsi, ce qui a constitué pendant des décennies la contradiction principale du système : l’exploitation salariée, a cédé le pas (sans pour cela disparaître) à une condition beaucoup plus destructrice pour le système : l’exclusion. L’accroissement de l’exploitation d’une partie toujours plus importante de la population, la classe ouvrière, n’a jamais été, même à ses pires moments la contradiction qui a mis en péril l’ensemble du système.

Le développement de l’économie de marché dans les pays industriellement développés, qui constituaient l’essentiel de l’organisation et de la direction de la production jusqu’après la 2e Guerre Mondiale a pu malgré les conflits qu’il engendrait, sinon intégrer organiquement la classe salariée du moins s’« acheter la paix sociale » : augmentation du niveau de vie, protection sociale, retraites,.... Le quasi monopole de la production mondiale dans ces pays, la possession de la technologie et la domination économique et politique à l’échelle du monde (les empires coloniaux), ont permis, à l’époque, des prouesses en matière de politiques économiques qu’il ne leur est plus possible aujourd’hui d’accomplir.

Les conditions imposées par la mondialisation marchande (mondialisation des marchés, y compris celui de la force de travail) ont imposé, et imposent, des conditions qui non seulement remettent en question les acquis sociaux, mais démantèlent de nombreux secteurs de l’activité économique. Licenciements massifs et délocalisations en sont les manifestations les plus spectaculaires. Non seulement on peut produire plus avec moins de force de travail, mais encore on peut trouver une force de travail moins chère que dans les pays développés... ce qui entraîne une relativisation du travail humain dans la production, et donc, structurellement une exclusion.

L’exclusion, qui est une conséquence directe du développement du salariat, est en passe de devenir le point nodal des contradictions du système marchand. Pourquoi est-elle particulièrement destructrice ? L’intégration dans le système, même si elle s’est faite, et se fait, en instrumentalisant l’individu (j’ai besoin de lui je le prend, je n’en ai plus besoin, je le vire...), lui donne tout de même une « place », une « identité sociale », un « sentiment d’être utile », de « servir à quelque chose ». C’est ce phénomène d’intégration qui a permis au système d’intégrer la « classe ouvrière », d’en faire sinon un allié du moins une classe sociale qui a su limiter ses revendications dans le cadre du « supportable » pour le système (voir l’évolution des syndicats). En effet, l’identité sociale du salarié n’est pas un vain mot. Il est conscient, et à juste titre, d’être un élément essentiel de la société. C’est cette situation qui fera sa force : la conscience de classe, le désir et le besoin de s’organiser, la possibilité d’établir un rapport de force pour améliorer sa situation... on parlera même de « culture de classe ».

La montée en puissance de l’exclusion détruit ce « consensus » sur lequel a fonctionné économiquement, politiquement et même idéologiquement le système marchand. Or, le système marchand ne sait pas résoudre ce problème. Il ne le peut d’ailleurs pas et s’il s’y risquait, il remettrait en question ses propres principes de fonctionnement... ce qui explique que l’Etat ne pose jamais le vrai problème.

DE L’EXPLOITATION DES RESSOURCES NATURELLES AU SACCAGE DE L’ENVIRONNEMENT

L’exploitation, par le système marchand des ressources naturelles a pu paraître logique et « naturelle » comme elle l’était apparue aux autres époques de l’Histoire... encore que. Même, au moment de la révolution industrielle au 19e siècle, il n’est pas encore évident qu’à terme, une telle logique de développement, accompagné d’un perfectionnement sans précédent des technologies, posera de sérieux problèmes. Il faudra attendre véritablement l’après deuxième guerre mondiale, et même la fin des années soixante pour que les sonnettes d’alarme commencent à être actionnées.

Aujourd’hui, la démonstration n’est plus à faire. Les clignotants sont au rouge dans tous les secteurs de l’environnement. Le diagnostic a été fait et il est de notoriété publique que c’est notre mode de production qui est à l’origine de telles catastrophes (nucléaires, chimiques, climatiques et autres). La course effrénée à la production (toujours plus de croissance voir l’article « LA CROISSANCE ? QUELLE CROISSANCE ? »), l’incitation délirante à la consommation (voir l’article « LA PUB OU LA VIE »(, les gaspillages inouïes des réserves naturelles ne sont que les manifestations du système marchand qui opère désormais à l’échelle mondiale et avec des moyens techniques sans commune mesure avec ceux utilisés aux autres époques de l’Histoire. Des conférences se sont tenues, des traités élaborés, une multitudes de rapports écrits et diffusés... pourtant rien ne change et ce pour une raison fort simple : poser le vrai problème et esquisser des solutions ne peut se faire (comme dans le cas précédent du travail et de l’exclusion) qu’en remettant en cause les principes de notre fonctionnement... ce qui est tout à fait exclu. Pire, alors que nous avons été une minorité (l’Europe et les USA au 19e et 20e siècle) à détruire l’environnement, le seul modèle de développement que nous proposons aux autres pays (via le FMI et l’OMC) est un modèle identique au notre (???). La seule concession que l’on fait pour ce problème est d’ordre purement idéologique en inventant le « développement durable », véritable escroquerie politique qui permet de se dédouaner à bon compte et à continuer à détruire l’environnement mais avec la bonne conscience de celui qui a tenté « quelque chose », (voir l’article « LA DECROISSANCE ? QUELLE DECROISSANCE ? »)

Toutes les conférences sur l’environnement sont des échecs... ce qui n’est pas un hasard. Les Etats, quels qu’ils soient, garants du système marchand, ne peuvent évidement pas remettre en question ce dont ils sont les garants

UNE PERTE DE CONFIANCE GENERALISEE

L’illusion, ou plutôt les illusions, qui étaient celles des économistes, idéologues et autres chantres de l’économie de marché jusqu’aux années 1950 (le « rêve américain »), sont entrain de s’effondrer. Le système marchand est en passe d’atteindre ses limites. Si l’illusion subsiste encore c’est grâce à un effort inouï de « communication », de conditionnement de masse. Les Etats n’expliquent plus, ils « communiquent », autrement dit donnent l’apparence de la maîtrise alors qu’ils ne l’ont plus : voir les discours totalement creux des politiques... de droite comme de gauche.

Les contradictions ont atteint un tel niveau aujourd’hui et l’incapacité et/ou complicité des Etats sont telles que la suspicion citoyenne à leur égard est entrain de se généraliser... il n’est qu’à voir le désintérêt que suscite la question politique auprès d’un nombre de plus en plus important de citoyens.

La situation a atteint un tel degré de dégradation que toute parole officielle est aujourd’hui suspecte. Qui peut croire en un rapport officiel, en des chiffres officiels, en une déclaration officielle ? Ceci est tellement vrai que lorsqu’on veut savoir la vérité sur un évènement on fait appel, pour enquête et investigation à un « organisme indépendant »...sous entendu « de l’Etat »,... ce qui est le comble dans ce que l’on appelle une démocratie. Une telle situation remet en question la notion même de citoyenneté qui est, excusez du peu, le fondement éthique de notre société.

Ainsi, le fonctionnement du système marchand n’arrive plus, ou du moins arrive de moins en moins, à « tisser du lien social » c’est à dire à faire en sorte qu’existe une situation (conflictuelle certes) mais tout au moins compatible avec la paix sociale et la vie sur cette planète.

Le choix de la libéralisation de toutes les activités humaines, dont l’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS) est le stade ultime, est une fuite en avant vers ce chaos social et écologique.

L’Histoire n’est pas terminée. L’économie de marché n’est qu’un moment de celle-ci comme l’ont été les autres formations sociales. Les rapports sociaux qui fondent celle-ci n’arrivent plus à encadrer et à maîtriser les conséquences du fonctionnement du système marchand. Les développements ultimes de la logique marchande : exclusion du travail humain de la production et surexploitation des ressources naturelles deviennent incompatibles avec le respect de la vie en société et même de la vie tout court. A charge pour l’Homme, comme il l’a fait au cours de son Histoire de définir de nouvelles manières de vivre en société, et les conséquences du développement technologiques sont telles aujourd’hui, qu’il y va de sa survie en tant qu’espèce vivante.

Messages

  • Jolie synthèse d’une vision partagée par beaucoup de personnes. Le système marchand semble tellement présent, telllement prégnant, incontournable (au point que le service de communication de la RATP m’a expliqué, en réponse à un de mes courriers anti-pub, que la pub était un phénomène aujourd’hui quasi-incontournable, la preuve, c’est qu’elle est présente à l’école et dans les medias !...), qu’il en ressort un grand sentiment d’impuissance pour tous ceux qui sont conscients que nous courons vers une catastrophe.
    Pire, plus les investigations des altermondialistes, des alternatifs, des sages dévoilent des réalités, des pratiques humaines abjectes (voir les affaires Nestlé et Coca avec le syndicalisme colombien, parmi de nombreux exemples...), des catastrophes écologiques, plus il est douloureux de se sentir impuissant.
    Heureusement, il existe aussi une résistance des travailleurs (aui ne se déplacent plus pour un CDD), des exclus (qui continuent de gueuler), même si elle paraît bien maigre et bien légère.
    Et ême si passent au-dessus de nos têtes, tous les jours, moults lois, décrets, accords, déclarations de nos gouvernants, des commissaires européens qui décident du démantèlement de notre avenir sans que nous les ayons élus, même si nous ne nous sentons pas tellement peser dans un rapport de force avec, au hasard : un gouvernement, un FMI, une union européenne, nous faisons cependant partie de ce tout, à notre échelle ; nous avons donc chacun notre rôle à jouer, nos idées à communiquer et partager, nos actions à mener - individuellement et en groupe.
    Face à la bêtise, il s’agit d’acquérir de la connaissance, par exemple, essayer de comprendre, en tant que citoyen : comment est votée une loi dans notre pays, comment est désigné un commissaire européen et quels sont ses pouvoirs, que prévoit exactement l’AGCS ?
    Face à la violence, il s’agit de "rester zen", comme on dit vulgairement (au point que des sniffs anti-stress vendus en pharmacie s’appellent VITE ZEN...), c’est-à-dire d’établir une stratégie adaptée à l’attaque. Et la violence est notamment issue de ces lois que l’on nous passe sous le nez chaque jour, dans la réduction des acquis sociaux, des libertés individuelles et collectives, etc. Car les politiciens ont compris que si la loi fait force, on peut aussi changer la loi. Et que dit le simple citoyen, une fois la loi appliquée, face au policier, gendarme, juge qui lui signifie que quoiqu’injuste, c’est la loi ?!
    Face à la sinistrose que l’on voudrait nous faire croire omniprésente, il ne faut pas céder à la déprime, même si ce n’est pas facile...
    Et sil s’agit de changer les choses, il ne tient qu’à nous d’y croire...
    Marianne

    • La fin de la globalisation économique
      Nous sommes déjà à l’ère de la pensée post globale. Les paradigmes officiels et leurs institutions sont en décalage avec les énigmes ici abordées notamment celle d’une croissance prédatrice des hommes, de leur diversité ainsi que celle de la nature. Comment voulez vous qu’un ver de terre se rende compte qu’il est sur une pomme pourrie dont les limites sont finies ? C’est à quoi ressemble l’homme tel qu’il est défini par les sciences ordinaires qui s’occupent de son bonheur et de son devenir. Il est sommé de suivre le modèle de l’homo oeconomicus, un être sans biographie, amnésique, calculateur et en somme, égoïste. Comme dirait un proverbe marocain et paysan : Celui qui calcule restera seul, cette grande maladie de l’homme dit civilisé. C’est cette solitude dépressive que la civilisation économique propose d’être à l’ensemble de l’humanité. La globalisation synonyme d’un modèle unique touche à sa fin ! Zaoual (taper google pour plus de renseignements et publications)

  • Bonjour,

    Puis-je vous conseillez la lecture de : l’éco-économie de Lester R. Brown ( une autre croissance est possible écologique et durable). Seuil

    Et bien sur le livre de Susan George, un autre monde est possible si... Fayard

    Celui de Nicolas Hulot, le Syndrome du Titanic ...

    J’écris des articles dans une petite revue : La grande relève, qui est un mensuel de réflexion économique mais pas seulement... Une goutte de conscience dans une mer d’inconscience certe mais, il ne tient qu’à nous "tous" d’amorcer la source pour que coule une rivière...Merci de votre contribution.

    Michel Piriou