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L’affaire Cesare Battisti relancée à Strasbourg
Publie le jeudi 11 novembre 2004 par Open-Publishing
Un arrêt de la cour européenne des droits de l’homme condamne la contumace à l’italienne.
de Dominique Simonnot
En ricochet, c’est une gifle aux juges et au gouvernement français. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné hier l’Italie pour sa procédure de contumace. Les juges de Strasbourg avaient à juger du cas d’un ex-Yougoslave soupçonné de meurtre en Italie et condamné par la cour d’assises de Rome à 21 ans et huit mois de prison. « Le requérant étant introuvable les autorités estimèrent qu’il s’était volontairement soustrait à la justice et le déclarèrent en “fuite“ », exposent les juges. Sous ces termes, se cache une victoire pour Cesare Battisti, l’ancien militant d’extrême gauche longtemps réfugié en France, aujourd’hui en cavale, menacé d’extradition vers l’Italie où il avait été condamné par contumace à la prison à vie.
Comme dans le cas de Battisti, l’ex-Yougoslave fut jugé en son absence, représenté par un avocat. En septembre 1999, il est retrouvé à Hambourg en Allemagne et l’Italie demande son extradition. Là s’arrêtent les ressemblances. Car, contrairement à leurs collègues français, dans le cas Battisti, les magistrats allemands jugent alors que l’extradition est impossible, « le droit italien ne garantissait pas au requérant, à un degré suffisant de certitude, la possibilité d’obtenir la réouverture de son procès ». Il fut remis en liberté, mais l’affaire est alors portée devant la juridiction du Conseil de l’Europe.
La loi italienne ne permet pas, en effet, de rejuger un contumax lorsqu’il est retrouvé. Sauf dans des cas très exceptionnels et si le condamné peut démontrer qu’il n’a pas été tenu au courant des différentes étapes de son procès. En France, en Allemagne, dans la plupart des pays européens, cela parait une hérésie juridique. Tout accusé a le droit d’être confronté à ses accusateurs, aux preuves éventuelles, aux témoignages divers. C’est pourquoi toute personne condamnée en son absence a droit à un nouveau procès dans les règles.
C’est aussi pourquoi la chambre de l’Instruction de Paris avait créé une immense surprise, le 30 juin, en donnant un avis favorable à l’extradition de Battisti, jugeant que la contumace à l’italienne n’était pas contraire au droit. Et, plus tard, la cour de cassation avait confirmé cette étrange vision juridique, balayant les arguments du procès italien « inéquitable ». Enfin, « d’une main ferme », Jean-Pierre Raffarin avait signé le décret autorisant l’extradition de Battisti. Des décisions d’autant plus étonnante que la loi dite Perben 2 de mars 2004 a confirmé ce droit au nouveau jugement, malgré la présence obligatoire d’un avocat lors d’un procès par contumace.
Voila donc que le Premier ministre et les juges français sont indirectement critiqués par la cour européenne. « Il existe dans l’ordre juridique italien une défaillance », notent unaniment les juges de Strasbourg qui demandent à l’Italie de revoir sa législation sur la contumace. Et encore « selon la Cour, les lacunes du droit et de la pratique internes (.....) peuvent donner lieu à l’avenir à de nombreuses requêtes bien fondées ». En tête desquelles, celle de Cesare Battisti.
Son avocat, Me Eric Turcon, parle d’une décision « fondamentale ». D’autant que l’affaire Battisti en est au stade de l’ultime recours devant le conseil d’Etat, qui d’ici quelques semaines doit décider si l’ex-militant peut retourner dans son pays pour y être incarcéré à perpétuité. Si d’aventure Battisti est arrêté en France et extradé, alors la France court le risque d’être elle aussi condamnée à Strasbourg.
C’est maintenant au Comité des ministres du Conseil de l’Europe de veiller au respect de la décision de la Cour et d’inviter Rome à modifier sa loi. Cependant, l’arrêt, rendu par la « petite » chambre de sept juges, n’est pas encore définitif. Le gouvernement de Silvio Berlusconi dispose de trois mois pour demander le renvoi de l’affaire devant la « grande » chambre.