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L’ECHANGE MARCHAND EST-IL EQUITABLE ?

Publie le samedi 13 novembre 2004 par Open-Publishing


de Patrick MIGNARD

Question fondamentale qui nous interroge sur le « sens » du rapport social qui fonde notre société, mais aussi question essentielle qui détermine le « ce vers quoi » nous allons ou voulons aller. L’échange marchand est-il indépassable comme nous le dit la « pensée unique ». Estil ce que l’on fait de mieux en matière de relations humaines ? En un mot est-il « juste » ?

A la question de l’équité de l’échange marchand, on peut répondre, formellement oui, et socialement non. En effet, le rapport d’équivalence en valeur fait que dans l’échange, même et surtout par l’intermédiaire de la monnaie, une quantité de valeur s’échange contre une même quantité de valeur. Il y a donc formellement équité. Or cette équité apparente ne se retrouve pas dans ce qu’est et devient la société qui est fondée sur ce principe. Pourquoi ?

SUR LA NATURE DU RAPPORT D’EQUIVALENCE

Le rapport d’équivalence, c’est le rapport qui fait que dans l’échange, aucune des deux parties n’est lésée, autrement dit, en terme de valeur, il est dit équitable, quand les marchandises qui s’échangent sont, en valeur, identiques. La réalité est cependant un peu plus compliquée. En effet, la mesure de la valeur n’est pas évidente et jamais on n’a trouvé l’instrument parfait et incontestable de cette mesure. De plus la réalité sociale ne se résume pas à un simple échange de marchandises entre personnes les possédant.

« Qu’est ce qui fait qu’une marchandise vaut... » ? On peut certes répondre : « Parce que sa fabrication coûte ». Soit, mais « Qu’est ce que coûter ? » ... sinon valoir quelque chose ... Ce qui renvoie à la première question. On ne peut pas sérieusement expliquer l’origine de la valeur d’une chose en se référent à la valeur d’une autre... ce serait en fait « tourner en rond ».

Il faut donc trouver la seule chose qui soit commune à toutes les marchandises et qui puisse se mesurer... celle-ci est, ne peut-être que le travail humain puisque toute production en est le produit. Mais alors se pose le problème de : « Qu’est ce que le travail humain et surtout peut-on et comment le mesurer ? ».

Le travail humain n’est pas facile à déterminer. En principe, théoriquement c’est facile mais concrètement ? En effet le travail humain est multiple, non homogène, évolutif. Quant à sa mesure, ça ne peut être que le temps. Autrement dit la valeur serait déterminée par la quantité de travail nécessaire à la production. Donc l’échange serait équitable dans le cas d’un échange entre deux marchandises nécessitant le même temps de travail. Encore faut-il que l’on veuille, ou que l’on puisse, échanger marchandise contre marchandise... ce qui n’est pas généralement le cas. C’est la monnaie qui permet de dépasser cet obstacle.

SUR LE RÔLE DE LA MONNAIE

Pour qu’il y ai échange il faut qu’il y ai de quoi échanger. Pour obtenir un pain encore faut-il que je donne en échange au boulanger une marchandise de valeur équivalente et que, bien entendu, le boulanger l’accepte, en ai besoin. En l’absence de la monnaie, l’échange serait très limité, voire souvent aléatoire.

La monnaie joue donc non seulement le rôle d’intermédiaire dans l’échange, évitant le recours à un troc problématique, mais aussi de réserve de valeur, permettant ainsi à son possesseur de pouvoir s’acheter ce que bon lui semble, quand bon lui semble. Mais où trouver de la monnaie ?

On peut l’acquérir en vendant ce que l’on a produit, auprès de l’acheteur, et donc en disposer pour ses achats. C’est le schéma le plus simple. Cela dit, tout le monde n’est pas directement producteur et vendeur de marchandise et l’évolution du système marchand éloigne de plus en plus de ce cas de figure. Le schéma le plus courant, et généralisé, dans le système marchand est de travailler dans une entreprise (au sens large) et de toucher en fin de mois un salaire autrement dit d’avoir un emploi... ce qui n’est pas une garantie absolue. La monnaie n’est donc pas un simple instrument d’échange, économiquement et socialement neutre... mais il y a pire.

La monnaie, du fait du simple dépassement de son rôle dans l’échange et de son rôle de réserve de valeur a peu à peu acquis une sorte d’autonomie au point de donner naissance à ce que l’on appelle une « économie financière » et dans laquelle la monnaie ne sert pas d’instrument d’échange de biens et services mais d’instrument afin d’obtenir encore plus de monnaie, à partir de la monnaie... le summum de ce processus étant la spéculation monétaire.

Ainsi, la monnaie qui, apparemment, devait servir d’instrument dans l’échange et garantir la fiabilité et la facilité de celui-ci, non seulement, dans le cadre du rapport marchand, ne garantie aucune équité sociale dans l’acquisition des biens et services en vue de la satisfaction des besoins, mais devient objet de spéculation. Elle est devenue une des expressions du rapport social marchand et le symbole de son caractère inégalitaire.

LE CAS TRES PARTICULIER, ET TROUBLANT, DU RAPPORT SALARIAL

Le salaire est une quantité de monnaie qui permet à son possesseur, le salarié, de vivre en achetant des marchandises produites par d’autres. On sait - voir l’article « LE TRAVAIL EN QUESTION (3) - Le salaire rémunère-t-il le travail ? » - que le salaire ne rémunère pas le travail effectué mais ne correspond en fait qu’à la « quantité de valeur nécessaire au salarié pour se reproduire en tant que producteur ». Mais si le salaire est bien le moyen de vie du salarié, il est aussi un coût pour le producteur et entre de ce fait dans le coût de la marchandise. Or au niveau du marché, le consommateur sélectionne la marchandise par son prix c’est le producteur qui vendra le moins cher (à qualité égale) qui vendra. D’où une tendance générale des producteurs à réduire leurs coûts et en particulier la masse des salaires. Ceci ils peuvent le faire grâce à l’utilisation du progrès technique qui accroît la productivité du travail permettant ainsi de réduire le nombre de salariés.

L’existence du salaire n’est donc pas un droit, un acquis automatique pour le salarié. Le salaire est acquis sous condition du besoin de son travail par le chef d’entreprise, ce qui explique le chômage et l’exclusion.

Ainsi donc, si le salarié voit payé, « à sa juste valeur » sa capacité de travail, toute la valeur qu’il crée par son travail ne lui est pas payée. Pourtant l’échange salarial (salaire en échange de la force de travail) est, au niveau du principe équitable : en effet ce qu’achète le chef d’entreprise ce n’est pas le travail, mais la capacité de travail, la force de travail, qui crée plus de valeur qu’elle n’en a besoin pour se reproduire, et même s’il la paie à sa valeur la différence entre la valeur produite (moins les matière premières et l’amortissement du capital) et le salaire versé va dans la poche des propriétaires du capital. Le rapport marchand salarial est donc formellement juste, mais socialement injuste.

L’expression : « Tout travail mérite salaire » est apparemment juste, mais en fait source d’une incontestable inégalité et injustice.

Ce qui fait l’iniquité dans le rapport marchand ce n’est pas, contrairement aux apparences, le fait que l’on paie la marchandise trop chère par rapport à sa valeur, quoique cela puisse jouer. La concurrence entre unités de production fait d’ailleurs en sorte que cette dérive soit limitée... elles ont en effet tout intérêt à vendre au prix le plus bas possible pour garder et même gagner de nouveaux consommateurs.

Ce qui fait l’iniquité c’est le fait que la capacité de travail soit une marchandise et cette iniquité est en fait double :
  le salaire ne rémunère pas le travail, mais la valeur de la capacité de travail, en ce sens il y a une appropriation privée et non contrôlée par l’intéressé de la valeur qu’il produit (la différence est évidemment le profit),

  l’organisation sociale qui institutionnalise le rapport marchand fait que le salaire apparaît et est considérée comme la rémunération du travail, ce est faux et mystifie totalement le rapport.

Ce qui justifie finalement le versement du salaire ce n’est pas l’attitude éthique du paiement du travail de celle ou celui qui travaille, mais le fait qu’il puisse demeurer une force de production de valeur et qu’il puisse faire en sorte qu’en achetant, il permette au producteur de recouvrir ses frais et réaliser le profit... c’est tellement vrai que lorsqu’on n’a plus besoin du salarié, on le licencie.

Ceci explique ce qui a été dit au début : le rapport marchand est formellement équitable, mais ne l’est pas socialement.