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En désavouant Rome, l’UE donne une chance à Battisti

Publie le mardi 16 novembre 2004 par Open-Publishing

La condamnation de la contumace italienne par la Cour européenne des droits de l’homme rend l’extradition délicate.

Par Dominique SIMONNOT

C’était soi-disant une certitude, affirmée par Dominique Perben sur tous les tons à propos de l’affaire Cesare Battisti : grâce à une réforme de 1999, la contumace italienne était, selon le garde des Sceaux, validée par la Cour européenne des droits de l’homme. Un mensonge grossier, pourtant repris par des éditorialistes, des hommes politiques, des juristes en France et en Italie. Tous expliquant qu’il était normal qu’un accusé jugé en son absence n’ait pas droit à un nouveau procès.

Il était donc « normal », « responsable », d’extrader l’écrivain italien réclamé par son pays pour y purger une peine de prison à vie. Même vingt-cinq ans après les faits, même dix ans après sa condamnation et sans espoir d’être rejugé. Dans leur arrêt du 30 juin donnant le feu vert à l’extradition, les juges de la chambre de l’instruction de Paris avaient même osé cet étrange commentaire : Battisti ayant « délibérément renoncé à comparaître », sa « conduite » était de « nature à l’exclure du bénéfice des droits définis à l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme ».

Un désaveu cinglant leur a donc été infligé, mercredi, par la Cour européenne des droits de l’homme en jugeant que la contumace à l’italienne n’est pas normale. Celle-ci viole justement l’article 6 de la convention européenne (Libération d’hier) et l’Italie est priée de réformer sa législation. Voilà un sacré problème pour les Transalpins, sans doute forcés à l’avenir d’organiser de nouveaux procès. Pour Eric Turcon, l’avocat de Cesare Battisti, « la cour européenne vient à notre rescousse. Cesare Battisti a toujours réclamé un nouveau procès. Il faut savoir que Pietro Mutti, le repenti, seul responsable des accusations contre lui, est aujourd’hui libre, ayant dealé sa liberté contre ces accusations, ne conservant pour son compte qu’une reconnaissance de complicité ».

Dans quelque temps à une date encore inconnue , le Conseil d’Etat se penchera sur le décret, signé par Jean Pierre Raffarin, autorisant l’extradition de Battisti. « Le Conseil d’Etat devra revoir sa jurisprudence, en général favorable au gouvernement, analyse un spécialiste, sinon, il court le risque d’un recours devant la cour européenne et, à terme, celui d’une condamnation de la France. » Une autre hypothèse est celle d’une extradition sous condition d’un nouveau procès pour Battisti. « Depuis cet été, il a radicalement changé de défense, poursuit Eric Turcon, et clame son innocence, il doit pouvoir être confronté à son accusateur. » Ce sera difficile, nul ne sait où se trouve le repenti. Pas plus que Battisti, d’ailleurs, en cavale depuis la mi-août. Devant le Conseil d’Etat, les avocats de Battisti critiqueront également une « décision politique » du gouvernement. « Je suis triste, poursuit Me Turcon, de constater que Battisti sert sans doute de monnaie d’échange à des accords entre nos deux pays. »

Il y a peu, Dominique Perben confiait son peu d’empressement à faire arrêter d’autres réfugiés italiens des années de plomb, eux aussi réclamés par leur pays, et qui, comme Battisti ont refait leur vie en France. L’arrêt de la cour devrait l’inciter à encore plus de prudence.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=253537