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Les non-dits des plateaux radio et télé

Publie le mardi 26 octobre 2010 par Open-Publishing
6 commentaires

Les non-dits des plateaux radio-télé .
Commentaires en marge du débat ‘Mots croisés’ sur France2 le 25.10.2010.

1) Un des invités d’Yves Calvi (dont j’ai oublié le nom) énonce, comme une évidence, que la « réforme des retraites » est LA solution TINA (‘there is no alternative’, comme disait Margareth Thatcher) au « problème » de dette de l’Etat que représente le montant colossal des emprunts contractés pour couvrir le déficit des caisses de retraite (plus de 30 milliards, si je ne m’abuse – à comparer, quand même, avec l’ardoise des financiers lors de la récente ‘crise’ !). Et, parmi les autres invités, il ne s’en trouve pas un seul pour poser la question qui fâche : le déficit des caisses de retraite (et de la Sécu en général) existerait-il si les entreprises payaient correctement leur dû en cotisations sociales ?
Car enfin, c’est bien la multiplication des exonérations de charges – ‘statuts spéciaux’ censés lutter contre le chômage, et qui ne font que créer un effet d’aubaine pour les employeurs et des carrousels d’emplois précaires pour les travailleurs, heures supplémentaires bradées par Sarkozy, et autres gâteries - qui ont entraîné un manque à gagner aussi colossal. Pourquoi continuer à faire de tels cadeaux, lorsqu’on constate qu’ils coûtent si cher ? Pourquoi l’argument de la dette de l’Etat semble-t-il si pertinent lorsqu’il s’agit de la faire payer aux plus démunis, et si hors de propos lorsqu’il s’agit de couvrir les nantis de cadeaux fiscaux ou sociaux, ou de sauver des financiers véreux de leur propre faillite ? Pourquoi ce silence ? Comment se fait-il que personne n’ose mettre en parallèle le ‘trou’ abyssal de la dette sociale de l’Etat, et l’énormité de la part des revenus de propriété – profits et rentes, dont les intérêts payés par l’Etat à ses prêteurs – dans le PIB (plus de 50% d’un PIB évalué à 1.800 milliards) ? Les intérêts de cette dette, à qui sont-ils versés ?
Ne serait-ce pas, par hasard, aux mêmes nantis (ou leurs pareils), qui acceptent généreusement de consacrer à l’acquisition de bons d’Etat largement rémunérés les sommes mêmes dont celui-ci leur a fait cadeau à travers les systèmes d’exonération fiscale et sociale qu’il a mis en place ?

2) Madame Parisot, en réponse aux préoccupations des jeunes, inquiets de se voir condamnés au chômage par la « réforme » des retraites, leur rétorque que, de toute façon, les emplois qui se libèrent par la retraite ne sont pas pour eux, car, c’est bien connu, les plus de 50 ans ne font pas le même travail que les jeunes. Et personne sur le plateau ne relève ce fait évident que, les vieux n’étant pas immortels, il faudra bien qu’on se pose un jour la question d’assurer leur succession.
Peut-être les formes et les méthodes de travail changeront-elles, peut-être fera-t-on autrement, et autre chose, dans 10 ans, qu’aujourd’hui, mais après tout, les travailleurs actuellement quinquagénaires ont bien appris à faire aujourd’hui autrement qu’à l’époque de leurs débuts, il y a 10, 20 ou 30 ans. Si l’argument des ‘travaux différents’ et des ‘compétences différentes’ qui distingueraient les emplois des jeunes et des vieux est pertinent aujourd’hui, et justifie le fait que les jeunes ne puissent prétendre prendre leur place aux côtés des vieux dès maintenant, pourquoi ne le serait-il plus demain, ou dans 10 ans, ou 20, quand les vieux seront partis ou morts, et qu’il faudra quand même bien les remplacer par de plus jeunes ?
A moins, et la question aurait pu, et dû, être posée à Madame Parisot, que les entreprises n’aient de tout autres projets – non pas de pérenniser leurs activités en y faisant entrer progressivement les jeunes générations, mais de profiter des départs en retraite pour ‘économiser’ du travail (non-remplacement des retraités, compensé par les gains de productivité), ou pour déplacer leurs activités vers des cieux plus cléments, comme par exemple le Bangladesh, où les ouvriers des ateliers textiles qui travaillent pour nos marchés gagnent royalement 32 € par mois, juste de quoi se payer une ration quotidienne de 3.000 calories (les petits veinards) ?
Comment se fait-il que tous ces bavards qui hantent les plateaux radio et télé laissent à « la rue » la tâche d’énoncer ces questions de simple bon sens ?

3) Comment font-ils pour ne pas voir, et (presque) jamais mentionner le fait que, au-delà de mesquines considérations comptables, et d’insultants propos sur la ‘paresse’ des travailleurs et des jeunes, obsédés par leur désir d’oisiveté, l’enjeu du débat est le partage des richesses ? Les retraités sont présentés par les milieux dirigeants – politiques et patronaux – comme des privilégiés, et donc leur reprendre leurs privilèges ne serait que justice et progrès. Pourquoi ? Parce qu’après avoir usé 30 ou 40 ans de leur vie à fabriquer toute la richesse du pays, leur reconnaître le droit, sur leurs vieux jours, de recevoir leur part de pain sans devoir la payer de leur sueur et de leur fatigue, cela ferait d’eux d’impayables privilégiés ?
Mais, s’il s’agit là d’un « privilège » insupportable, que dire alors de cette minorité de nantis qui, toute leur vie, se gavent, grâce à leurs dividendes et autres rentes, d’un pain qu’ils n’ont jamais, jamais fabriqué ? Avec une retraite moyenne de 15.000 € par an – et la majorité d’entre eux perçoivent beaucoup moins ! -, ce qui ne fait que la moitié du PIB par habitant, les retraités, qui représentent 15 à 20% de notre population, reçoivent en partage moins de 10% de la richesse totale fabriquée par le travail. S’ils sont demain, dans 10 ou 15 ans, 30% de la population, au tarif actuel des retraites ils n’auront encore pas plus de 15% de la richesse totale. Et plus de la moitié de cette richesse se retrouve dans l’escarcelle d’une poignée de nantis.
Les Parisot et autres Woerth nous concoctent un monde où seuls auront encore droit au partage des richesses ceux qui les ont fabriquées par leur travail et ceux à qui appartiennent les outils de ce travail (et qui n’ont le plus souvent jamais rien fait pour justifier cette propriété, sinon d’en hériter). Le moins possible pour les premiers, un maximum pour ces derniers. Ne devrions-nous travailler que pour les actionnaires et les banquiers ? N’est-il pas légitime que le fruit de nos efforts profite d’abord à nos enfants, à nos vieux parents, et aux malchanceux que les employeurs rejettent à la rue, n’ayant pas besoin de les « employer » ? Faut-il accepter passivement de voir un nombre toujours plus restreint de travailleurs obligés de s’échiner, pour des durées toujours plus longues, à créer toujours plus de richesse au prix de tâches toujours plus intensives, tandis que s’allonge la cohorte des sans-emplois, sans logis, sans pain, devenus inutiles aux yeux d’une poignée d’actionnaires toujours plus avides ?
On nous annonce sur un ton triomphant des taux de croissance à deux chiffres des profits et dividendes des entreprises du CAC40 ; mais le moindre centime d’augmentation que réussissent à arracher des travailleurs est vécu dans la consternation. Pourquoi aucun des ténors des grands médias ne pose-t-il jamais ce genre de question ? Est-ce interdit, ou ont-ils peur pour leurs emplois (certainement payés au-dessus du SMIC), ou leur cœur est-il, tout simplement, acquis à la cause des Parisot et Cie ?

4) Bien sûr, on le sait, nos pays sont le jouet de pouvoirs financiers énormes, auxquels, depuis 30 ans, nos politiques n’ont eu de cesse d’accorder toute liberté de mouvement et tout pouvoir de décision sur nos vies. Ils ont beau jeu maintenant de nous dire qu’il n’y a pas d’autre choix politique que celui que leur imposent ces citadelles d’un pouvoir non élu, non démocratique, opaque, et même occulte, qu’ils ont eux-mêmes, droite et « gauche » confondues, mis en place !
Pourquoi, jamais, les faiseurs d’opinion ne soulèvent-ils la question de savoir qui décide de quoi, et où ? Malgré les rodomontades de Sarkozy et les postures « responsables » des élus, nous savons qu’ils ne sont, finalement, que le petit personnel exécutif chargé d’appliquer les décisions prises dans les discrets cénacles du vrai pouvoir – s’il en fallait encore des preuves, l’exemple de la Grèce est là pour nous édifier.
Ne serait-il pas temps de reprendre à ces maîtres du monde le pouvoir exorbitant qu’ils ont usurpé, et la seule vraie question que devraient traiter les grands médias, ne serait-ce pas plutôt celle du comment faire ? On peut toujours rêver, bien sûr …

On nous fait croire que le seul espoir, pour les plus démunis, de voir leur situation s’améliorer est dans la « croissance », et cela ne fait bondir aucun des invités d’Yves Calvi ! La belle blague ! Nos pays n’ont jamais été aussi riches, et les travailleurs ne reçoivent, de cette richesse qu’ils fabriquent, qu’une très petite part, et qui ne cesse de baisser.
Les salaires réels (hors inflation) ne sont pas plus élevés aujourd’hui que dans les années 70, le nombre de pauvres – étudiants, chômeurs, vieux, et même travailleurs – ne cesse d’augmenter. La croissance des années passées n’a servi qu’à accroître les fortunes, augmenter la misère et creuser les écarts.
Pourquoi la croissance des années futures changerait-elle ce mouvement ? Et jusqu’à quel volume impensable de richesses faudra-t-il arriver pour que les miettes que les nantis laissent tomber sous la table nous assurent un peu mieux qu’une survie précaire et toujours menacée ?

C’est Adam Smith, référence ultime des Parisot et Cie, qui l’a écrit, c’est dans la Bible de ces gens-là, ‘Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations’ :

« Tout pour nous et rien pour les autres, voilà la vile maxime qui paraît avoir été, dans tous les âges, celle des maîtres de l’espèce humaine. »

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