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SUR LA GREVE GENERALE

Publie le samedi 20 novembre 2004 par Open-Publishing
13 commentaires


de Patrick MIGNARD

La « Grève générale », mot magique qui a lui seul vaut toutes les déclarations, tous les programmes, qui ouvre les espoirs vers un monde nouveau, qui a le pouvoir (si j’ose dire) d’électriser les esprits et doit mobiliser les « masses exploitées ». Mot magique qui hante les rêves des révolutionnaires depuis deux cent ans. Grève générale... toujours annoncée, jamais réalisée ou tout au moins jamais porteuse des espoirs qui sont placées en elle. Grève générale OK,... mais, au fait, pour quoi faire ?

La grève, « arrêt collectif du travail » a été tout naturellement l’arme des prolétaires au 19e siècle, pour exprimer leur mécontentement. Arme particulièrement efficace, entre les mains des salariés, dans un contexte de développement et de constitution en Europe, et en Amérique, de puissances industrielles qui avaient absolument besoin de la force de travail locale en quantité, pour bâtir leurs empires industriels. La grève était tout naturellement l’expression à la fois du caractère indispensable de la force de travail... incarnée par la classe ouvrière et l’expression du rapport de force qu’elle était capable de créer. Elle était également l’expression de la solidarité... ce que l’on appelait la « conscience de classe ».

La « grève générale », et à fortiori « insurrectionnelle » était le cran au dessus de la grève. Il y a dans la « grève générale » une dimension politico-sociale, un projet politique d’en finir avec le système d’exploitation, avec le vieux monde, une ouverture vers un nouveau monde plus juste. Pourtant, la grève générale n’a pas de sens en soi, elle n’en a qu’au regard du projet qu’elle véhicule.

UNE VISION MYTHIQUE DE LA LUTTE

La grève a pour objectif de bloquer la production pour contraindre le chef d’entreprise à céder aux revendications formulées par les salariés. Ces derniers font l’hypothèse, d’ailleurs fondée, que le patron a plus intérêt à céder aux revendications qu’à courir le risque de perdre beaucoup en ayant son entreprise bloquée.

La grève générale ajoute une autre dimension à l’action. Touchant, en principe, tous les secteurs d’activité, elle remet en question la cohésion et la stabilité de l’ensemble du système et pose par là même la question du pouvoir politique. Elle évoque incontestablement la puissance politique et le pouvoir de changer les rapports sociaux.

Cette puissance évoquée par la grève générale a donné une vision plus ou moins messianique à l’évènement. Vision qui a hanté des générations de militants qui ont appelé de leurs vœux la réalisation de ce moment de rupture qui devait faire basculer l’ancien monde dans les poubelles de l’Histoire et présider à l’avènement du nouveau.

Pourtant, malgré les multiples exemples, à toutes les époques et sur tous les continents la grève générale n’a jamais mené au « nouveau monde », tout juste a-t-elle relancé les espoirs que l’on mettait en elle avant de céder la place au désenchantement et à la frustration. Il manquait toujours « quelque chose » pour que ça réussisse mais on n’a jamais pu se mettre d’accord sur « ce qui manquait ».

LA GREVE GENERALE : QUOI AVANT ? QUOI APRES ?

La grève générale est un moment de l’Histoire, mais de quel moment s’agit-il ? Est-ce l’aboutissement de mobilisations partielles sectorielles, d’une lente prise de conscience ? Est-elle décidée par une instance politique ou est ce un mouvement spontané qui la déclenche ?

Quel objectif a la grève générale ? Est-il clairement exprimé au moment de son déclenchement ? Par qui ? Et quel moyens se donne-t-on pour assurer un « après » à ce grand moment ? La grève générale est-elle l’aboutissement concret d’une prise de conscience collective ou est-ce l’inverse, que c’est au cours de cette grève que se forge cette conscience ?

Peut-on imaginer que, suite à une grève générale, qui peut être déclenchée de multiples façons et pour de multiples raisons, s’enclenche une dynamique de changement social changeant les rapports de production et donc les rapports sociaux ? En théorie on peut certes l’imaginer, ainsi que du fait du manque d’expérience, mais aujourd’hui que l’on peut tirer le bilan de deux siècles de luttes dans le système marchand et à peu prés sur tous les continents, on peut difficilement croire en un tel scénario.

Il ne faut donc pas se laisser impressionner par le potentiel de puissance de la grève générale et la replacer dans un contexte politique et social.

Si la grève générale doit ouvrir sur le changement social, il faut que ce changement soit préparé en amont, pas (seulement ?) de manière théorique par des théoriciens, mais très concrètement par la mise en place d’une « structure sociale alternative » prélude aux nouveaux rapports sociaux que l’on veut instaurer (voir l’article « DUALITE SOCIALE/DUALITE DE POUVOIR »). C’est cette structure qui constitue le socle, les fondements du changement et la garantie que la grève générale (si elle est déclenchée) aura un « après ». En effet, il est possible, en raison des conditions historiques du moment et du lieu, que la puissance de cette structure alternative suffise, sans pour cela tout bloquer pour déclencher un basculement du système. Cela dit, c’est vrai que la grève générale peut être un extraordinaire accélérateur de l’Histoire, mais attention, accélérateur, elle n’en est pas le moteur.

LES CONDITIONS NOUVELLES IMPOSEES PAR LA MONDIALISATION

La mondialisation marchande impose aujourd’hui des contraintes et des conditions que l’on ne saurait ignorer et qui relativisent singulièrement la vision que l’on pouvait avoir de la grève générale.

A l’époque ou les Etats-nation structuraient l’essentiel de la production mondiale et dominaient politiquement le monde tout évènement qui bouleversait l’un d’entre eux avait des répercussions considérables sur les autres. Ceci tenait au fait que ces Etats étaient peu nombreux, détenaient la technologie, les compétences et dominaient l’ensemble du reste du monde. On pouvait alors imaginer, et l’on ne s’en est pas privé, que la « mise à feu » dans un des pays pouvait embraser l’ensemble d’un continent. Un Etat-nation produisait à l’époque à peu prés tout ce dont il avait besoin, il constituait une sorte d’unité autonome sur le plan économique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui... aucun pays est autosuffisant par rapport à l’ensemble de ses besoins. Déclencher donc une grève générale n’a donc plus le même sens, les mêmes conséquences et risque d’aboutir, ce qui a été souvent le cas, à une simple alternative électorale qui ne règle rien.

C’est donc à une véritable stratégie alternative à l’échelle internationale que nous devons nous atteler. Il faut d’abord penser l’alternative, la penser par delà les frontières et inventer, concevoir des réseaux de coopération et de solidarité à une autre échelle que celle que nous permettent les organisations et structures nationales.(voir l’article « TRANSITION »). Il nous faut éviter (ce sera dur) de penser le changement en terme de pouvoir politique strict, mais d’abord et surtout en terme d’alternative économique et sociale.

La grève générale qui demeure dans bien des esprits la clef magique pour tout changement est à prendre avec circonspection. Sans pour cela être reléguée au musée des antiquités historiques elle a besoin d’un sérieux réexamen de son contenu et d’une réactualisation des conditions de son déclenchement et des possibilités qu’elle offre. Evitons de confondre le moyen avec l’objectif.

Messages

  • et la grève générale de la consommation, ça finirait bien par les emmerder, puisque pour la production, c’est déjà suffisamment délocalisés pour ne plus être efficace en national. Si on arrête d’aller faire ses courses dans les supermarchés, d’aller dépenser notre argent dans les grands magasins le week-end et les jours fériés, qu’on réduit l’utilisation de nos voitures. Si l’on revenait à des joies simples, se rencontrer, des repas de quartiers, plutôt que de circonscrire nos désirs à la consommation ?
    La fréquentation des grandes surfaces a déjà baissé depuis la rentrée... continuons. Moi, je boycotte systématiquement certaines marques, parce qu’elles sont déjà assez grosses comme ça : Colgate, Lever, Gap, Levi’s, Nike, Reebook, Adidas, Kraftfood, Nestlé, etc... c’est une goutte d’eau, c’est ridicule, mais je tiens quand même à ce boycott personnel, ça me fait du bien... A la place, mon fric, je le donne aux commerçants de mon quartier, que je choisis aussi, selon qu’ils ont de bons produits ou non, s’ils sont sympas, pas trops chers, etc... je leur fais de la pub...
    Qu’on ne me fasse pas croire que nous n’avons plus le choix, plus d’idées alternatives, plus de couilles.... On a encore tout ça, et si demain Carrefour n’a plus de clients, vous verrez la gueule qu’il fera.
    Marianne

  • Tu t’es donné beaucoup de peine pour ton appel au renoncement, Patrick Mignard...

    Malheureusement pour toi, les faits sont têtus ;

    Quand 10 millions de salariés se mettent en grève en 1968, cela donne des avancées considérables, notamment salariales, en dépit du freinage du PCF.
    Même remarque pour les grèves sous le Front poulaire.
    Pourquoi les médias déploient-ils de tels efforts pour salir les mouvements de grève (usager-pris-en-otage...) à ton avis, si ce n’est parce que de fait, ces mouvements, s’ils viennent à se généraliser, sont ce que le patronat craint le plus ?

    Tes remarques à la Ockrent sur les "contraintes de la mondialisation" sont inacceptables.
    Si contraintes il y a, ce n’est pas la mondialisation qui en est l’instigatrice, mais la démoralisation de la classe ouvrière face à la trahison des gauches d’inspiration sociale-démocrate, et des structures syndicales théoriquement prévues pour défendre les travailleurs.

    Ce glissement à droite est décrit de manière limpide dans "le grand bond en arrière" de S. Halimi, que rien au fond ne t’empêche de relire.

    Un jour viendra, un jour qu’aujourd’hui la "gauche" ricanante et collaborationniste raille en parlant de "grand soir", ou l’humiliation et la colère ne seront plus supportables.
    Ce jour-là, les confédérations syndicales sauront oublier leur allégeance à la Confédération européenne des Syndicats. Ce jour-là, tu verras que nous reparlerons de la grève générale, et que tu auras un désagréable sentiment de honte en relisant ta prose.

    • Je pense hélas n’avoir aucune crainte quant à une éventuele honte concernant ma prose. Tu es un adepte du mythe du Grand Soir, je ne peux te blâmer, je l’ai été aussi, mais à regarder l’Histoire de prés j’ai appris que ça ne marchait pas comme cela, c’est dommage mais c’est ainsi. A propos de la grève générale de 68 et même de 36, je ne nie pas qu’elle ai permis des avancées, mais soixante ans et trente ans aprés, tout est à recommencer... et c’est bien le sens de mon article, la Grève Générale OK, mais pour quoi faire ? pour avancer de trois pas un jour quitte à reculer de cinq pas le lendemain ? Si la Grève Générale n’est qu’une manifestation ponctuelle, ce qu’elle a été en 36 et en 68, à quoi bon ? La dynamique du changement se passe autrement en préparant une alternative économique et sociale, pas en faisant un feu de paille , même s’il apporte beaucoup de lumière... ce qui cuit, ce sont les braises.

      P.M

    • C’est bien le problème : le paquet de "révolutionnaires" (Jospin, Cambadélis, Filoche, Dray, j’en passe et des plus traîtres) qui sont devenus réalistes n’éprouve aucune honte...
      L’air du temps vous aide, certes.
      La trahison n’en est pas moins nauséabonde.
      Et franchement, ce n’est pas la peine de pondre des textes aussi longs que le tien pour dire qu’il faut être prudent et raisonnable : la trouille qui étreint le monde du travail rend les gens comme cela naturellement...On te souhaite simplement d’être au-dessus de la mêlée.

  • Les leçons de l’Histoire :

    La victoire politique ne sert à rien si ne l’accompagne un puissant mouvement populaire : comparer 1936 (Front Populaire) à 1981 (Mitterrand à la rose sans épine)...

    Guic

    • Si on se limite aux soi-disant démocraties, je n’ai jamais vu de victoire politique qui ne soit pas le résultat d’un mouvement populaire. Le mouvement populaire est la base de la victoire et pas le contraire. Et c’est bien là le problème.
      Le peuple français ou mougeon, comme nous l’avons vu, berné qu’il est depuis des siècles, attend toujours que cela se passe d’en haut, que les changements, les victoires et je ne sais quoi d’autre viennent d’en haut, sans se rendre compte que la force est en bas, dans la masse. Si elle change, ça change en haut.
      Et actuellement elle change, à petits pas certes, mais ce sont bien les gouttes qui font l’océan. Et ça change en bas jusqu’à ce que ça change en haut.

  • D’accord, Mignard, tu ne feras plus grève, et surtout pas générale, tu penses que ça ne sert à rien.
    Tu as peut-etre envie d’aller réfléchir sur la citoyenneté au parti socialiste, au vivre ensemble au PCF, ou à la planète chez les verts ?
    super, vas-y, tu y retrouveras d’anciens révolutionnaires, d’autant plus convaincus que ça ne sert à rien que l’ordre économique capitaliste leur a permis de faire fortune !

    Merci de ton article, un peu long peut-etre, pour dire si peu...

    La grève reste la SEULE arme des travailleurs !
    Et cette arme est loin d’etre un "mythe" !

    • Le mode incantatoire, et ridiculement provocateur, de ta réponse montre que tu n’as rien compris, ou ne veux rien comprendre, à mon article... peut-être n’ai je pas été assez clair. Tant pis.

      P.M

    • Non, la grève n’est pas la seule arme, il y a le boycott et le refus de la consommation, mais les travailleurs en sont bien incapables. Le mougeon est trop conditionné pour consommer et rouspéter, pas pour se prendre en charge.

    • La grève n’est pas la SEULE arme des travailleurs, c’est vrai...
      Il y a aussi le sabotage (Relisons Emile Pouget , le sabotage, Ed.1001 nuits pour 2.5 euros),
      et le boycott de la consommation.
      Mais la grève est l’arme la plus efficace, celle qui a le plus de chance de se généraliser et de construire des solidarités, celle qui conscientise le mieux les travailleurs.
      En conclusion, la grève est l’action collective qui fait le plus peur au capital.
      Minimiser l’impact de la grève, c’est donc renforcer le capital.

    • Pas assez clair, ou trop clair ?

    • VIVE LA GREVE GENERALE INSURRECTIONNELLE

    • Je ne sais pas si la grève générale est la méthode la plus efficace, mais c’est la plus visible, ça c’est sûr. Et comme le mougeon a deux yeux (en général) et peu de cervelle (en général), ce qu’il voit fait peur. Et pour ce qui est de la solidarité, je n’y crois pas. Les grévistes ne pensent qu’à leur bifteck, ils n’en ont rien à cirer que 20.000 gosses, voire plus, crèvent de faim chaque jour pour notre bifteck. La solidarité ne vaut que pour eux.

      Le refus de consommer me paraît bien efficace également, seulement ce n’est pas visible, si 100, 1000, 100.000, 10 millions de citoyens, chacun dans son coin, refusent de consommer, ne vont plus au cinéma, ni au restaurant, ne s’achètent plus de fringues à tout bout de champs et consomment des chaussures uniquement si les vieilles sont foutues, etc., s’ils rejettent le capitalisme à outrance qui méprise tout être humain bien ou mal constitué, s’ils se demandent à chaque produit "pas cher" à quoi il servira, en ai-je vraiment besoin, etc. C’est nous le peuple qui avons le pouvoir de faire changer les choses.

      Le sabotage, je suis absolument contre, sauf cas extrême, cela fait partie du registre des destructeurs. Je suis pour la construction d’alternatives visibles. Il y avait une femme sur ce site qui faisait un truc de ce genre, dans le domaine de l’édition il me semble, où est-elle ?

      En tout cas, c’est ce genre de choses qu’il faut soutenir : consommer, penser et vivre autrement.