Accueil > À propos des attentats dits « anarchistes »

À propos des attentats dits « anarchistes »

Publie le vendredi 31 décembre 2010 par Open-Publishing
2 commentaires

La chasse à l’ultra-anarcho-autonome a encore de beaux jours devant elle. L’actualité italienne nous en donne un triste exemple. Entre manipulations, extrapolations et ignorances journalistiques, entre délire policier, scandales politico-financiers et bêtise générale, une mauvaise odeur stagne sur les pays européens en crise. La chercheuse Irène Pereira a publié un texte éclairant sur Agoravox le 30 décembre. Nous le reproduisons ici

A propos d’attentats dits "anarchistes"

De Irène Pereira

Le rôle du chercheur en sciences sociales face aux questions sensibles n’est pas de prétendre avoir des révélations ou des informations exclusive à dévoiler, mais de désamorcer les fantasmes, d’expliquer et de déjouer les amalgames afin de permettre aux citoyens, contre l’agitation de peurs, d’exercer leur réflexion.

En tant que sociologue ayant travaillé et publié sur l’anarchisme, je reçois actuellement des sollicitations de journalistes me demandant s’il existe un réseau anarchiste international européen prêt à commettre des attentats. Je constate par ailleurs la publication d’articles où des universitaires suggèrent l’existence d’une coordination anarchiste européenne clandestine et où des journalistes titrent comme ceux du Figaro : « Cette mouvance anarchiste qui empoisonne l’Italie » (24/12/10).

L’éthique du chercheur en sciences sociales

Les journalistes ont parfois tendance à penser que les scientifiques peuvent s’exprimer sur tous les sujets et malheureusement ils trouvent des chercheurs disposés à leur faire croire que c’est le cas.

Or on peut se demander actuellement comment des universitaires dans leur bureau pourraient prétendre connaître les dessins cachés d’organisations clandestines dites anarchistes. Un moment de réflexion, et non de recherche de sensationnalisme et d’agitation des peurs, pourrait bien laisser penser que quel que soit la nature de tels groupes, il doivent certainement cultiver le secret et qu’il est inutile d’aller voir des scientifiques pour obtenir des informations exclusives et inédites sur les desseins de ces groupes. Une telle demande tend à confondre le sociologue avec l’indicateur de police infiltré. Les scientifiques n’ont rien à dire là dessus parce que tout simplement on se doute bien que des groupes clandestins n’accordent pas d’entretiens à des sociologues.

Si un scientifique peut et doit s’exprimer sur un tel sujet dans les médias, c’est bien pour tenter de désamorcer les fantasmes des journalistes ou des citoyens sur ce type de questions et non pour les faire enfler.

De quelques remarques de bon sens qu’il est utile de rappeler

Par conséquent, il me semble important de rappeler quelques éléments :

 Les revendications d’attentats, les accusations et les enquêtes sur ces sujets doivent nous inciter à la prudence. Nous avons pu constater par exemple encore récemment avec l’affaire Tarnac que la détermination des auteurs des actes n’est pas si simple que peut le laisser présumer les revendications. L’affaire de la Piazza Fontana en Italie en 1969 montre comment ces affaires peuvent être particulièrement embrouillées puisque dans celle-ci des anarchistes ont d’abord été accusés avant que la piste de néo-fascistes ne soit envisagée.

 La notion d’anarchiste dans les médias tend à désigner bien souvent de manière simple des groupes clandestins qui commettent des attentats sans se préoccuper du fait qu’il existe nombre de militants qui se revendiquent au grand jour comme anarchistes et qui n’appellent pas à des attentats. Pour ces derniers être anarchistes, c’est par exemple être syndicalistes (les anarcho-syndicalistes) ou mettre en place des projets culturels autour de l’anarchisme.

La notion d’anarchisme est une notion complexe qui recouvre des courants différents. Ainsi dans un texte de janvier 2004, la Fédération anarchiste italienne, au sujet des conceptions qui seraient revendiqués par la Fédération anarchiste informelle lors d’attentats ayant eu lieu en 2003, exprimait une conception différente de l’anarchisme, attachée à une activité au grand jour cherchant le lien avec la population et non pas à se couper d’elle par des activités clandestines.

 Ce sont les mêmes raccourcis et amalgames qui tendent à réduire la notion anarchiste d’action directe à des attentats alors qu’elle désigne toute action sans l’intermédiaire de représentants politiques. Sa principale forme était autrefois la grève et aujourd’hui elle se traduit bien souvent également par la désobéissance civile non-violente.

 Dernier point qu’il me semble important de souligner, c’est que l’agitation des peurs et les amalgames ont pu être utilisés par le passé et encore actuellement par des gouvernements pour édicter des législations réduisant les libertés publiques et les libertés militantes, que l’on se souvienne par exemple des Lois scélérates durant la Belle époque, permettant ainsi la répression de militants n’ayant rien à voir avec de troubles histoires d’attentats.

Irène Pereira

Irène Pereira est co-fondatrice de l’IRESMO (Institut de recherche sur le syndicalisme et les mouvements sociaux) et auteure entre autres de Anarchistes (La ville Brûle, 2009) et L’anarchisme dans les textes (à paraître en février 2011 aux éditions Textuel).

L’article publié le 30 décembre 2010 sur Agoravox.

PACO sur Le Post

Messages