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A propos de la Résistance et du CNR : l’« Affaire » de Signes

Publie le mardi 11 janvier 2011 par Open-Publishing

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A propos de la Résistance et du CNR :
l’« Affaire » de Signes

Claude Roddier et Bernard Oustrières

L’ANACR rend chaque année hommage aux dix maquisards assassinés par les
nazis à la ferme de La Limatte, près de Signes dans le Var, le 2 janvier
1944. La cérémonie se déroule selon un protocole quasi-immuable :
rassemblement et dépôts de gerbes au pied de la stèle où sont gravés les
noms des martyrs et celui du berger venu les prévenir de l’arrivée des
Allemands ; défilé dans les rues du village ; nouveaux dépôts de gerbes
au monument aux morts ; recueillement dans le cimetière devant la tombe
des Résistants ; enfin, discours et vin d’honneur dans une salle
municipale. Cette manifestation annuelle, qui revêt un caractère sacré
pour les Résistants, leurs familles et les amis de la Résistance du Var,
attire toujours de nombreux élus auquel se joint le représentant du
préfet.

Rien ne laissait présager que la dernière commémoration, le 2 janvier
donc, donnerait lieu à un vif incident. Qui l’a provoqué ? Est-ce le
discours iconoclaste de la présidente départementale de l’ANACR, Claude
Roddier, résolue à dénoncer l’hypocrisie de ceux qui laissent « se
dissoudre la France » ou bien, très en amont, ceux-là même qu’elle a
dénoncés parce qu’ils ont déclaré une guerre totale au programme du
Conseil national de la Résistance ? La présidente, rappelant que les
martyrs de la La Limatte avaient aussi combattu pour l’instauration d’un
monde plus heureux, expliqua que les Résistants et leurs amis ne
pouvaient plus longtemps accepter ces atteintes réitérées aux acquis du
CNR, en particulier les mesures contre les retraites et le démantèlement
en cours de la Sécurité sociale. Présents à la tribune aux côtés de
Claude Roddier, le représentant du préfet et la députée de la
circonscription, Mme Josette Pons, donnèrent très vite les signes les
plus évidents d’une grande nervosité. La présidente continuant d’appeler
un chat un chat, tous deux se levèrent bientôt pour quitter la tribune
et la salle, marquant leur désapprobation. Situation inouïe que le maire
de Signes, Jean Michel, écartelé entre ses devoirs protocolaires et ses
propres engagements de fils de Résistant, eut bien du mal à arbitrer.

Question : le consensus républicain, s’est-il brisé le 2 janvier à
Signes ? Réponse : non. Jusqu’à ces deux dernières années, les élus,
tous les élus, pouvaient en toute légitimité s’incliner sur la tombe des
martyrs sans se déjuger car les gouvernements successifs de la IV° et de
la V° République, quels que fussent leurs choix idéologiques,
respectaient globalement les options de CNR auxquelles les Français
doivent aujourd’hui les lois sociales les plus protectrices et les plus
émancipatrices. Mais les temps ont brutalement changé. Depuis 2009, la
majorité législative et l’exécutif multiplient les attaques contre les
droits sociaux et démocratiques hérités de la Résistance. C’est à partir
de là, donc (et non pas à Signes !) que l’unité du pays autour de ses
valeurs, a commencé de se déliter. Faut-il se taire plus longtemps,
interroge en substance Claude Roddier. N’est-il pas temps, avec Stéphane
Hessel qu’elle cita, de se rebeller et de placer les élus qui
cautionnent pareille politique devant leurs responsabilités ? Elle a
répondu par l’affirmative.

Voici le discours, source de discorde

M. le préfet, maires, conseillers généraux, régionaux, Mesdames et
Messieurs les présidents d’associations, Chers camarades et chers amis
de la Résistance ;

Merci de votre présence fidèle, année après année pour commémorer le
souvenir des 10 maquisards et du courageux berger Ambroise Honnorat
abattus à la Limatte le dimanche 2 janvier 1944 au matin.

Il y a maintenant 67 ans. C’est l’âge qu’avait le pauvre berger
Honnorat. Tous les autres étaient très jeunes bien que vétérans de la
Résistance armée, fondateurs pour la plupart du camp FAITA en février
1943. Leur groupe était le camp MARAT. Nous voulons rappeler leur noms :

Alphonso, officier aviateur de l’armée italienne

Paul Battaglia, 23 ans, ouvrier tailleur à Sainte Maxime

Joseph Gianna

Amédée Huon, 22 ans, pompier dans la région parisienne

Yvan Joanni, maitre skieur savoyard

Georges Lafont, 21 ans, matelot, originaire deGironde

Jean Perrucca, 24 ans, originaire de Savoie

Pierre Valcelli, 22 ans,ouvrier céramiste à Salernes

Serge Venturrucci, 22 ans, ouvrier boulanger au Luc

ainsi qu’Ambroise Honnorat, 67 ans, berger à Limattes.

A l’appel de leurs noms nous joignons toujours ceux de Lucien Henon,
leur camarade, et de Sansonetti et Basset, disparus tous trois dans
l’abjection des camps de la mort parce qu’ils avaient commis le crime de
donner une sépulture décente aux maquisards massacrés avec férocité.

Au souvenir des 14 de la Limatte associons celui des 8 jeunes gens de
Siou Blanc arrêtés sans armes, fusillés le 17 juin à la Rouvière, deux
autres à Méounes le 20 juin, le souvenir des 29 patriotes assassinés au
premier charnier le 18 juillet et enfin - nous disons enfin parce que le
chiffre total est énorme, des 9 du deuxième charnier, le 12 août, après
d’horribles tortures.

Une élite française et internationale depuis les Italiens tombés à
Limatte le 2 janvier, jusqu’à l’Américain Muthular d’Errecalde, le 12
août. Et souvenons nous de la population de Signes qui a fait preuve de
courage et de dignité. Les enquêteurs n’ont jamais pu obtenir d’elle
aucun renseignement. Nous la remercions au nom des suppliciés de Signes.

Ceci se passait voici plus d’un demi siècle.

Une question se pose toujours devant l’injuste sort réservé à ces jeunes
martyrs. Pourquoi avaient-ils pris ce risque ? Quelles étaient leurs
principales raisons ? Nous connaissons la réponse en ce qui les
concernait au présent, en 1944. Tous les résistants l’ont dit et
répété : leur première motivation a été la défense de la France. La
deuxième, surtout pour quelques uns, dont ces jeunes FTP faisaient
assurément partie, a été le projet de rendre les hommes heureux. Le
programme du CNR s’appelait “les jours heureux”. Ils ont réussi leurs
deux paris. La France libérée, libérée par nos alliés mais aussi par
elle même, a pu mettre en place le programme pour lequel ces hommes
avaient donné leur vie.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Que penseraient-ils de nous s’ils pouvaient
connaître notre monde et nos actions ? Diraient-ils toujours “oui, je
referais ce chemin” ? ou ne se demanderaient-ils pas s’ils n’ont pas
donné leur seule vie pour des hommes et femmes indifférents aux deux
causes qui leur tenaient tant à coeur ?

Leur regard ne peut être que sévère.

Nous avons laissé se dissoudre la France dans un magma informe et nous
sommes en train de laisser se dilapider toutes les conquêtes sociales
acquises à la Libération.

Faisons un état des lieux.

Des boutades en forme de provocations nous ont pourtant avertis. Warren
Buffet, milliardaire américain, 1ère fortune mondiale en 2008, nous a
dit : ”Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma
classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en
train de la gagner”.

En 2007 c’est Denis Kessler qui nous a fièrement annoncé “Adieu 1945,
raccrochons notre pays au monde !

Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la
Résistance. (…) Il est grand temps de le réformer”.

Comment imaginaient-ils réussir un pareil projet ? La réponse tient en
partie dans cette autre boutade de Patrick Le Lay en 2004 “à la base, le
métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son
produit”

Comment concilier ce “métier” avec la 4ème des mesures à appliquer dès
la libération du territoire “assurer la liberté de la presse, son
honneur et son indépendance à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent
et des influences étrangères”

Ces Résistants de 44 nous regardent, se demandant jusqu’où nous allons
accepter l’inacceptable. Ils peuvent être rassurés. La Résistance en
2011 a déjà bien commencé et elle se développe.

L’ANACR n’a cessé et ne cesse de rappeler les valeurs de la Résistance
et l’importance du programme du CNR. Les résistants, malgré leur âge et
leur fatigue continuent de témoigner sans relâche dans les lycées et
collèges, décrivant la Résistance, ses valeurs, ses combats. Au cours
des manifestations de cet automne contre la loi sur les Roms et celle de
la réforme des retraites, ses membres à Draguignan comme à Toulon ont
distribué des tracts expliquant notre refus de ces lois. Armand Conan,
tenant un écriteau sur lequel était écrit “Moi, résistant, 90 ans, 34
ans de retraite=CNR ; Je vous soutiens” a été déclaré grand vainqueur à
l’applaudimètre par Var Matin.

Stéphane Hessel vient de publier un petit opuscule, que vous trouverez
sur la table, qui s’appelle “Indignez vous” et dont le succès montre que
l’indignation est dans le coeur de beaucoup de Français. Ce petit livre
est un discours qu’il a fait en 2008 lors du rassemblement maintenant
bien connu des Glières. Nous avons décidé d’organiser un semblable
rassemblement dans le Var et le 22 mai un collectif d’associations mené
par l’ANACR et la Ligue des Droits de l’Homme organise un pique-nique
républicain à La Seyne. Nous y présenterons le pacte pour les droits et
la citoyenneté de la LDH et des résistants prendront la parole. Vous
êtes tous conviés au pique-nique et si vous le désirez à faire partie du
collectif.

Moins connu mais tout aussi indigné est le sénateur du Vermont Bernie
Sanders. Fin novembre 2010 il a prononcé un long discours devant ses
collègues du Sénat américain. Vous pouvez l’écouter et le lire sur le
blog de la lettre du lundi ou en cherchant Bernie Sanders sur google.

Le discours commence ainsi :

“Il y a une guerre en cours dans ce pays, je ne fais pas référence à la
guerre en Irak ou en Afganistan, je parle d’une guerre menée par
certains des gens les plus riches et les plus puissants de ce pays
contre les familles des travailleurs, contre la classe moyenne qui
rétrécit et disparaît. En 2007 le 1% des gros revenus a fait 23.5% de
tous les revenus, plus que les 50% du bas de l’échelle... Il y a une
guerre en cours, la classe moyenne lutte pour sa survie, elle s’attaque
aux forces les plus riches et les plus puissantes dans le monde dont la
cupidité n’a aucune limite et si nous ne commençons pas à nous battre
avec elle et à représenter ces familles, il n’y aura plus de classe
moyenne dans ce pays”.

Bernie Sanders vient de retrouver la solution que les Résistants avaient
appliquée avec la création du CNR. Nous devons tous nous unir contre ce
1%. Dans cette salle où nous ne sommes pas cent, statistiquement il ne
devrait pas y avoir de représentant de ce groupe. Nous sommes donc
d’accord entre nous. Pourquoi croyons nous que nos positions politiques
sont si éloignées les unes des autres que le mot “politique” doive être
tabou ? Le CNR n’était-il pas un concentré de politique ? Et l’union de
toutes les familles politiques en son sein n’a-t-il pas été plus
efficace que leur négation ?

Oui, nous devons arriver à nous unir, ne serait ce que pour pouvoir nous
dire que les 10 maquisards morts le 2 janvier à Signes nous donnent
raison.

Je vous remercie.

Texte et discours de nos amis Claude Roddier et Bernard Oustrières
publié en premier par Médiapart le 6 Janvier 2010.


Merci à ces militants courageux qui défoncent enfin le politiquement correct du Nouvel Ordre Mondial. Y compris en présence de ses larbins, préfets et autres mercenaires.

Mais je pense qu’il faut aussi avoir enfin le courage de cesser de "commémorer" avec ceux qui nous assassinent et qui ont assassiné nos pères et nos frères. Et les gicler manu-militari des manifestations à la mémoire de nos morts.

G.L.