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WikiLeaks : Les prédateurs du clan Ben Ali vus par les diplomates américains

Publie le lundi 17 janvier 2011 par Open-Publishing

Une blague circulait à Tunis avant la chute du régime : un jour, le président Ben Ali roulait au volant de sa voiture, dans les rues de la capitale, seul et sans garde du corps. A un feu rouge, un policier l’arrête. Ben Ali explique qu’il s’appelle Zine El-Abidine Ben Ali et qu’il est le président de la République. "Jamais entendu parler de vous ", lui rétorque l’homme en uniforme, avant de le conduire au poste de police. Le chef du poste est là. Il examine les papiers de Ben Ali et les lui remet aussitôt en disant : "C’est OK pour lui. C’est un parent des Trabelsi."

L’anecdote est rapportée dans un télégramme de l’ambassade des Etats-Unis en Tunisie obtenu par WikiLeaks et révélé par Le Monde. Commentaire du diplomate qui l’a rédigé : "La blague souligne ce que beaucoup ressentent aujourd’hui (en 2009) : comparé à la force et à la profondeur de la mainmise des Trabelsi sur la Tunisie, Ben Ali est inconsistant."

Le jugement est sans doute excessif. A lire les "mémos", nombreux et détaillés, des diplomates américains en poste à Tunis, la capitale, la prédation n’était pas l’apanage de la famille de l’épouse du chef de l’Etat déchu, Leila Trabelsi. Le clan Ben Ali était aussi partie prenante au pillage. Mais à une échelle moindre.

Les deux familles s’étaient partagé le territoire, note un télégramme : aux Trabelsi la région du Grand Tunis, la plus riche du pays ; au clan Ben Ali la région natale de l’ancien président, la zone côtière du centre. Il fallait être d’un clan ou de l’autre, "appuyé par les Trabelsi" ou "épaulé par les Ben Ali". Impossible de pouvoir se prévaloir des deux familles.

Dans un long télégramme, un diplomate a minutieusement recensé les biens des membres de chacun des deux clans. Dans la famille Ben Ali, Hayet, une soeur de l’ex-président installée en Allemagne, est propriétaire de plusieurs hôtels et d’immeubles dans la région du Sousse. Elle a casé ses trois enfants : l’un était ministre de l’environnement, le second conseiller à la présidence, le troisième importateur de voitures. Un des frères du président Ben Ali, Slaheddine, associé à son fils Kais, était aussi importateur mais de vêtements de seconde main et de ferraille. "On dit qu’ils sont derrière la contrebande d’alcool", ajoute le "mémo". Ils étaient également propriétaires d’une firme immobilière et de l’Adam Park, un parc d’attractions également situé dans le centre du pays.

Tijani, un autre frère, était président de la société immobilière Minerva et actionnaire principal d’Aero-Travel, une société de services aéroportuaires.

Deux autres soeurs de l’ex-président étaient également dans les affaires : Naima, présente sur le marché des voitures de luxe, et Najet, dont le holding, créé avec son époux et leurs deux enfants, se concentrait sur l’import-export (société El-Almana), l’ameublement (Meubles modulaires, groupe Meublatex, Panabois, Profilex, Le Matelas...), l’hôtellerie (Hotel Chain), la compagnie aérienne Karthago et les communications (Deternet).

L’emprise de l’autre clan, celui des Trabelsi, sur l’économie nationale est encore plus impressionnante. Elle tient pour partie aux nombreux frères et soeurs de Leila Trabelsi, l’épouse du président : dix recensés dans un câble, dont sept très actifs, outre Hajja Nana, "la doyenne", la mère de Leila Trabelsi.

Dans le clan Trabelsi, tout le monde ou presque est un prédateur, mais la figure de proue du clan est sans conteste Belhassen. "Belhassen incarne tout ce que les Tunisiens détestent chez les Trabelsi", assure un télégramme.

L’homme ne fait rien pour s’attirer la sympathie. Au volant de puissantes automobiles (Porsche Cayenne, Bentley, Hummer), il roule à tombeau ouvert dans les rues de la capitale au mépris de toutes les règles. Dans les restaurants, note le diplomate, il n’hésite pas à déposer sur la table le pistolet qu’il porte sur lui.

Recenser les intérêts du frère de Leila Trabelsi, c’est dresser la liste d’une part non négligeable du tissu économique de la Tunisie. Ses participations sont variées, qui vont des transports aériens (Karthago Airlines) aux télécommunications (Global Telecom Networking), en passant par l’assemblage de camions et de tracteurs (Alpha Ford International), d’autocars (Alpha Bus Tunisie), le tourisme (au moins sept sociétés), la promotion immobilière... La liste n’est pas close.

"Belhassen n’a aucun scrupule en affaires. Tous les moyens lui sont bons", écrit le même diplomate. Pour pouvoir continuer à travailler, la firme Citroën sera contrainte de verser une sorte de rançon à Belhassen Trabelsi. Aux yeux de M. Ben Ali, son beau-frère était "un homme d’affaires à succès" dont il appréciait les qualités.

http://www.lemonde.fr/documents-wikileaks/article/2011/01/17/les-predateurs-du-clan-ben-ali-vus-par-les-diplomates-americains_1466638_1446239.html