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Tunisie : le photographe Lucas Mebrouk Dolega mortellement atteint par une grenade lacrymogène

Publie le dimanche 23 janvier 2011 par Open-Publishing
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Sa dernière journée

Vendredi, 11h, je suis devant le ministère de l’intérieur tunisien, au milieu d’une foule immense, quand mon regard s’arrête sur Lucas, boîtiers en main jouant des coudes pour photographier la foule. Bonne nouvelle, il a enfin récupéré son matériel et m’a rejoint dans la manifestation. Parti tôt le matin, enragé de s’être fait confisqué son matériel par la douane tunisienne. Il me sourit, heureux d’enfin pouvoir travailler. Alors que l’on se rejoint, des manifestants nous hissent sur leurs épaules pour nous offrir un autre point de vue sur la foule qui s’étend à présent à perte de vue. Retrouvailles quelque peu surréalistes. Nous travaillons, nous travaillons, lorsque Lucas me propose d’aller transmettre nos premières images à l’hôtel.

Toujours pressé de diffuser l’information au plus vite, un coca, les ordinateurs, les appareils en vrac sur les tapis de l’hôtel, c’est depuis le lobby qu’il travaille. Je repars à l’extérieur prendre la température et comprends vite que la simple manifestation tient plus d’un immense soulèvement populaire, je tape un SMS pour Lucas et Olivier pour qu’ils me rejoignent. La situation se tend, et il ne faut pas plus que quelques minutes pour qu’elle dégénère. Une détonation, ça y est c’est parti, la police tire ses premières cartouches de lacrymogènes. Ambiance chaotique, un coup d’œil sur Lucas, il est dans son élément, et, malgré le nuage de fumée, il travaille, a couvert derrière un arbre. Comme dans ces cas-là, même si l’on est séparé de quelques mètres, on garde mutuellement un œil les uns sur les autres.

Rejoints par Olivier, nous restons groupés, sécurité oblige, et nous suivons les manifestants dans des rues parallèles. Ils dressent des barricades, jettent des projectiles, allument des feux. La police répond par des tirs de gaz lacrymogène. CPE, sommet de l’OTAN à Strasbourg, Sommet sur l’environnement a Copenhague, Lucas est habitué aux confrontations entre police anti-émeutes et manifestants, il sait parfaitement réagir et bosser dans cet environnement. Quelques minutes plus tard, décision commune est prise entre photographes de retraverser l’avenue Bourguiba pour « voir » ce qu’il se passe dans d’autres quartiers. Aussitôt traversée, les mêmes scènes se reproduisent, des Tunisiens se confrontent aux forces de l’ordre. Un groupe de policiers nous précèdent alors que nous rejoignons des manifestants. Nous sommes a l’angle de deux rues, en face, un nuage de fumée dans lequel évoluent une dizaine de policiers, a notre droite quelques manifestants.

Et puis soudain, une détonation, tout bascule, je vois Lucas s’effondrer. Je comprends tout de suite ce qu’il vient de se passer, Les photographes présents se précipitent autour de lui, pour le mettre a couvert, il se tient la tête. Olivier et Pierre, trousse de première urgence en main font un point de compression. Je cours dans les rue vides et enfumées pour trouver un véhicule. Le temps me paraît interminable, enfin j’arrête une voiture, leur hurlant de me suivre. Nous revenons sur les lieux de l’accident et transportons Lucas à l’intérieur. Olivier monte avec lui. Pendant que Pierre, Matthias et moi tentant de trouver une autre voiture pour les rejoindre.

A la clinique Le Secours, où une foule de tunisiens est massée devant l’entrée, je retrouve Olivier, Lucas est stabilisé, il va être transporté vers le centre de neurochirurgie Rabtal de Tunis. Nous organisons un cordon pour permettre au brancard d’accéder à l’estafette prévue pour le transport. Alors que les brancardiers font leur apparition en haut des marches, un tonnerre d’applaudissement retenti, la nouvelle s’est propagée, et les habitants du quartier applaudissent Lucas, le photographe français blessé alors qu’il venait pour raconter leur victoire. Peu après, au centre de neurochirugie, Lucas est pris en main, les médecins se veulent rassurants, son état est stable le pronostic vital n’est pas engagé…

Rémi Ochlik

Le 17 janvier, le reporter photographe Lucas Mebrouk Dolega décédait des suites de ses blessures . Il était âgé de 32 ans.

http://www.parismatch.com/Actu-Matc...

Messages

  • Personnellement je me sens très touché par la mort de ce photo-reporter ,Lucas Mebrouk .

    Non pas que la vie d’un homme m’apparaisse plus importante que celle d’un autre mais ce jeune homme est mort ’’ à la guerre ’’ qu’on le veuille ou non .Peu importe que la guerre nous soit ressentie comme une aberration , qu’on la combatte , que certains la justifient ou non , laissons Péguy se démerder avec son sombréro , sa cape et ses supputations littéraires , la guerre est là , toujours , dans un coin de monde . Et si nous en avons connaissance c’est aussi mais surtout par ces gens qui se font descendre .

    Un photographe ça peut choisir de ne photographier que du rouge à lèvre , des plats à réchauffer , de la merde , mais lorsqu’ils partent photographier la tragédie ils savent qu’ils se mettent en danger , c’est une tout autre démarche intellectuelle

    On objectera que Lucas a choisi , on aura raison , certes . On argumentera , à juste titre d’ailleurs , qu’un couvreur qui tombe du toit c’est la même tragédie , la même valeur , la même peine , j’approuverai . Mais voilà , sans ces mecs qui se mettent en péril nous n’aurions pas les infos.c’est incontournable ça !

    De sorte que moi je considère qu’ils participent du combat social , qu’ils n’obligent personne à être d’un bord ou d’un autre . Les photos d’un bon photographe sont des documents incroyablement parlants , plus que de longues thèses , brutes . Sans elles il nous serait difficile d’avoir la vision des choses , de précisément se faire un jugement personnel , d’avoir le ressenti .

    En d’autres temps les photos de Robert Cappa , fondateur de l’agence Magnum , nous ont éclairés sur ce qui se passait en Espagne et partout . Que l’on pense seulement que pendant le débarquement de Normandie le photographe a opéré en débarquant d’une péniche , les jambes dans l’eau avec les mitrailleuses allemandes en face qui hachaient menu .., ( d’où certaines photos floues...).

    Le républicain espagnol en 36 qui tombe en arrière d’une dune , une balle en plein front c’est terrible ça .Tout d’un coup ce mort nous appartient , il est des nôtres . Une photo ça peut ’’ tapiner ’’ pour n’importe quel Lagersfield de service ’’ , mais parfois c’est tout autre chose , il ne faut pas tout confondre .

    La petite fille en feu qui court , nue , éperdue et pleurant sur une route vietnamienne , c’est un message qui interpelle l’humanité , un photographe a appuyé sur le bouton du Nikon au moment précis , par réflexe humain , parce qu’il a senti instantanément , dans ses tripes , que l’instant appartenait à l’éternité et à l’humanitude , il a déclenché une arme avec son boîtier brinqueballant sur sa poitrine ...

    Cappa a sauté sur une mine en Indochine , en mission , en descendant d’une jeep française , lui qui disait à ces copains de l’agence : ’’ si la photo est ratée c’est que vous n’êtes pas assez près ’’ .

    Là , Lucas Mabrouk , il était près , très très près , ses dernières photos sont magnifiques , elles parlent sans légende , prendre le temps de les voir , de voir très exactement ce qui se passait ce jour là en Tunisie ...

    Dors Bonhomme , hommage .