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Lettre ouverte au Directeur de Cabinet du Président de l’Union des Comores

Publie le vendredi 4 février 2011 par Open-Publishing
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LETTRE OUVERTE A AHEMD BEN SAID DJAFFAR
DIRECTEUR DE CABINET - PRESIDENCE DE L’UNON DES COMORES

Paris le 4 février 2011

Monsieur le Directeur,

Comme beaucoup de Comoriens qui vivent à l’extérieur, je viens d’apprendre par la presse électronique la suspension provisoire ou disons l’interdiction à Ali Amir d’écrire suite à un article du journaliste sur les cinq mois de pouvoir intérimaire du président sortant A. A. Mohamed Sambi.

Vous pouvez comprendre combien une telle décision constitue une transgression majeure non pas seulement à l’égard de la liberté du journaliste en personne mais du journalisme en général. Une telle décision de vouloir priver à la presse l’ancre ne permet à celle-ci que d’être entre le marteau et l’enclume.

Je vous écris pour vous interpeler sur cette affaire que je trouve grave et dans laquelle notre cabinet présidentiel ne serait pas pour rien.

Cette affaire Ali Amir démontre combien le degré de la politique dans notre pays atteint paradoxalement un des plus bas niveaux depuis la chute du régime des mercenaires. Je sais très bien que la censure est si active aux Comores. Moi-même, il m’arrive d’être désapprouvé par les principaux journaux de presse écrite nationale sur certaines questions critiques sur le fonctionnement et le principe même de l’organisation de notre jeune Etat. Mais envisager de telles pénalités contre un journaliste en est un signe fort ne devant laisser personne dans l’indifférence. Voilà pourquoi je vous écris.

Je sais qu’un journaliste de formation et professionnel comme Ali Amir n’a pas besoin de mon soutien pour combler un vide professionnel, social ou autre que ce soit. Mon engagement personnel sur cette affaire relève d’une responsabilité dictée par un amour du pays, le mien, le votre, les Comores. C’est au nom de la liberté et pour celle-ci que je vous demanderais alors de revoir votre position prise ou envisagée contre le journaliste pour la crédibilité de la nation.

Je doute fort bien sûre que cette lettre malgré qu’elle soit ouverte puisse être lue par les Comoriens sur place. Mais comme on le sait, la censure n’a pas aujourd’hui le même poids qu’il y a quinze ans car elle ne fait que protéger quelques individus peureux de se voir refouler de leurs postes. Vous n’ignoriez pas encore, Monsieur le Ministre comment en est-on arrivé là, je n’ai pas besoin d’en dire plus.

Je sais aussi que beaucoup de choses devraient nous préoccuper vue leur gravité à l’instar des routes dégradées, des délestages permanents, du manque d’eau potable, de carburant dans la capitale nationale, de l’omniprésence du président de la République, du non respect du partage de temps médiatique entre les classes politiques, d’accumulation d’arriérées de salaires, de la gestion sans réserve de certains dossiers d’Etat qui provoque des tollés au sein des services acteurs eux-mêmes, comme l’affaire Vocalpad…etc. Ce sont des situations qui devront nous préoccuper. J’en parle à cette occasion.

Laissez-moi vous dire, Monsieur le Directeur que de votre cabinet, vous devriez avoir l’œil méticuleux sur l’état actuel de notre pays vis avis des citoyens. Le rapport entre les « citoyens » et le pouvoir est resté toujours caduque, accessoire comme si les deux étaient faits pour vivre ainsi. Une telle contiguïté si voulue par vous, hommes politiques rend quasi absent l’Etat dans nos villes et villages. De tel vêtement que vous portez en tant qu’hommes politiques sacralisent le pouvoir et font de vous des intouchables et surtout des inabordables. Mais en faisant de vous, ces politiques que vous êtes, ces masques que vous portez font de l’Etat le Grand absent dans nos régions, dans nos villes et villages. Comment pouvez-vous m’expliquer ce fait de s’acharner contre un journaliste n’ayant pas porté atteinte à la dignité ni à la sécurité de l’Etat en oubliant que les villes et villages de Ngazidja sont coupés les unes des autres depuis il y a des années ? Quand est-ce que vous comptez vous occuper enfin des choses sérieuses du pays ? A quand pensez-vous vous rendre compte de telles situations, qu’en s’occupant du soin de nos villages et régions, les villageois eux-mêmes deviennent les seuls maîtres de leurs espaces communautaires ?

La révolution Jasmin en Tunisie qui devient aujourd’hui contagieuse en Afrique du nord constitue un grand élément catalyseur pour les peuples opprimés. L’homme politique comorien a longtemps profité d’une attitude passive populaire et continue de s’appuyer sur cette faiblesse au détriment du bien commun. Mais cela ne devra pas durer encore et encore.

Le Comorien ordinaire a droit de savoir plus, de comprendre plus sur ce délais exceptionnel engagé pour l’investiture. En étouffant de tels débats si intéressants, on ne fait de la politique que du dogme. Et c’est là le vrai problème politique que rencontrent les peuples opprimés dans leurs états monarchiques . Installer de vrais débats au sein de nos tribunes d’opinions, c’est ne prendre pour des bidons de nombreux lecteurs de la presse nationale.

Enfin, espérons que l’accord fait entre les président sortant et élu ne nous réserve encore d’autres surprises d’ici le 26 mai prochain espérant que le débat ouvert par Ali Amir ne soit pas une arme lourde contre ceux qui y trouvent un intérêt particulier pour la défense de la démocratie.

Abdoulatuf Bacar

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