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Appauvrissement de la protection de l’enfance

Publie le mercredi 9 mars 2011 par Open-Publishing
4 commentaires

Veuillez trouver ci-joint un billet d’humeur écrit par des professionnels de terrain, faisant apparaître leurs inquiétudes quant à la situation actuelle et à venir dans le champ de la protection de l’enfance.

Ce billet est adressé aux médias, aux professionnels de terrain, aux Juges des enfants et aux organismes de tutelles (Conseil Général de Loire-Atlantique et PJJ).

Nous vous invitons à réagir, à témoigner sur votre réalité de travail, les conditions d’exercice de votre mission, leur traduction dans les situations familiales, et à nous en faire part, afin de faire un état des lieux de l’ensemble du secteur.

Merci de diffuser très largement ce billet d’humeur à vos contacts, et de faire état de votre « résistance » face à l’appauvrissement de la protection de l’enfance, que l’on cherche à nous imposer.

Nous avons créé cette adresse mail afin de recueillir vos témoignages.

Les signataires du billet.

Faut-il un mort ?

Travailleur social au sein d’un service de protection de l’enfance réalisant des mesures d’Investigation et d’Orientation Educative (Evaluation pluridisciplinaire d’une situation de danger pour un enfant dans son environnement familial ordonnée par un Juge des enfants), je suis gravement inquiet !

J’ai traversé une année 2010 marquée par un nombre alarmant de situations d’enfants ou d’adolescents, en danger avéré dans leur environnement familial, pour lesquels un Juge des enfants, considérant cet état de fait, a ordonné une mesure de placement judiciaire non mise en œuvre plusieurs mois après la décision.

 P. a 12 ans, est déscolarisé et vit en banlieue nantaise seul avec sa mère. Il oppose une toute puissance exacerbée à l’égard de celle-ci, caractérisée par une intolérance à la frustration, ce qui l’a amené à poser des actes de violences physiques à l’encontre de sa mère. P. vit recroquevillé dans sa chambre, sa seule activité est tournée vers la pratique de jeux vidéo de manière addict. L’évaluation pluridisciplinaire que nous avons menée propose la mise en place d’une mesure de placement judiciaire en parallèle à des soins thérapeutiques. La mise en place d’une distance mère/fils est une priorité absolue visant à un apaisement des tensions.
Sur cette situation, le Juge des enfants ordonnera une mesure d’AEIMF (Accompagnement Educatif Intensif en Milieu Familial), plutôt qu’une mesure de placement, décision prise par défaut (et nommée comme telle), les possibilités d’un accueil étant inexistantes à moyen terme.

 Y. a 15 ans, est enceinte et réside chez son père qui vit seul. En février 2010, le Juge des enfants ordonne une mesure d’IOE, ainsi que le placement de cette adolescente au service de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), dans la mesure où le père ne peut garantir un cadre éducatif par une autorité respectée. Cela amène notamment Y. à fuguer du domicile familial pendant la nuit.
En avril 2010, la famille nous informe n’avoir eu aucun contact avec les services de l’ASE depuis l’audience du magistrat, soit deux mois et demi plus tôt. Finalement, elle sera accueillie au sein d’un établissement éducatif en août 2010.

 T. a 16 ans. Ses parents sont séparés et confrontés l’un et l’autre à une problématique alcoolique. Une tante maternelle a, un temps, tenté de relayer la prise en charge éducative de cette adolescente, en vain. Le comportement de la jeune fille, perturbée par une histoire familiale complexe, des conflits de loyauté et une place de substitut parental trop longtemps assumée, ne permettait plus une prise en charge éducative suffisamment sécure. Le Juge des enfants ordonne une mesure de placement judiciaire mi octobre 2010.
Trois mois et demi après la décision du magistrat, elle vit toujours chez son oncle et sa tante. Cette situation a pu être prise en charge (nomination d’un référent) par les services de l’ASE qu’en décembre 2010.

 B. a 12 ans et souffre de troubles psychologiques. Ses parents, qui sont séparés, ont nommé au Juge des enfants la perspective immédiate de leur violence à l’égard de leur fils. Le magistrat a alors ordonné en juillet 2010 une mesure de placement judiciaire. En ce mois de février 2011, l’adolescent n’est toujours pas pris en charge par le Conseil Général de Loire-Atlantique, comme il le devrait. Un montage complexe et particulièrement inadapté à la problématique du mineur, de l’avis de tous les professionnels, a été élaboré grâce à des structures et des familles relais de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées), dans l’attente d’un accueil familial qui lui permettrait de se poser dans un cadre pérenne.

Ces quatre situations d’enfants, auprès desquels je suis directement intervenu, sont une maigre illustration, vue par le bout de ma lorgnette, de la réalité départementale. Je ne les ai pas toutes rapportées et chaque intervenant de la protection de l’enfance est en capacité ce jour de faire le même constat lamentable.

Selon les sources (ASE ou Juge des Enfants), entre 70 et 130 enfants qui sont aujourd’hui confiés au Conseil Général de Loire-Atlantique, ne disposent pas de solutions d’accueil. Ils demeurent dans leur environnement familial, alors même qu’une décision de justice est venue signifier le danger pour eux d’y rester.

Moi, je dis quoi :
-A la mère de P. qui viendrait me dire : « hier soir, mon fils m’a planté un couteau dans la cuisse » ?
-Au père de Y. qui m’interpellerait sur la mort de sa fille survenue dans la nuit précédente alors qu’elle se trouvait à l’arrière d’un scooter ?
-A la tante de T. qui me dirait que sa nièce est à l’hôpital dans un état grave, suite à un accident de voiture que son père, ivre, conduisait ?
Dans cette histoire, qui est responsable ?
Moi, ainsi que tous ceux qui savent mais qui ne font rien pour que les choses changent. Tous, professionnels, savons que les dispositifs existent et qu’ils fonctionnent. Ne nous trompons pas, ce qui tue ces jeunes, c’est l’absence de moyens.

Cela me sidère, mais je crains de pressentir que seul le fait qu’un évènement dramatique survienne réveille les consciences.

Nous, professionnels d’un service Investigation, pensons que les collègues des services de l’Aide Sociale à l’Enfance se démènent pour exercer les références qui leur sont confiées, alors même qu’ils n’en ont pas les moyens. Nous ne jetons pas la pierre aux professionnels de terrain qui font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’on leur donne. Mais, à jouer avec cela, on prend le risque de la saturation, de la prise de risque et donc de la faute… aux répercussions dramatiques que chacun peut imaginer. Mais au fait, la faute à qui ?

Il n’est plus temps de sensibiliser. Chaque intervenant du secteur, plus ou moins proche du terrain, connaît cette triste réalité. Il semble que les revendications ou cris d’alerte ne soient pas relayés à un certain niveau, que nous ignorons, par ailleurs. Nous constatons juste que rien ne change.

Par ailleurs, nous qui, dans le cadre de notre exercice professionnel, sommes chargés d’évaluer des situations de danger sur ordonnance d’un Juge des enfants, on nous annonce que les dispositifs vont évoluer. Nous exercions jusque là des mesures d’IOE (Investigations et Orientations Educatives) et d’Enquêtes Sociales, qui seront désormais remplacées par des MJIE (Mesure Judiciaire d’Investigation Educative). Savez-vous de quoi il retourne ? Non ! Nous vous le précisons donc : l’objectif affiché de cette mesure est de permettre de mieux qualifier une situation de danger, ce à quoi nous adhérons, évidemment. En y regardant de plus près, la dotation budgétaire ne nous le permettra pas : diminution de temps d’encadrement, de secrétariat. Concrètement, chacun d’entre nous devra évaluer un nombre plus important de situations de mineurs tout en garantissant la même protection mais également le même respect de leur famille ! Mais de qui se moque t-on ?

Nous précisons que les Juges des enfants du département, ordonnateurs de ces mesures d’évaluation, reconnaissent, a priori, la spécificité et la richesse de ces outils d’aide à la décision que sont l’IOE et l’enquête sociale. Pour combien de temps encore ?

Notre questionnement est le suivant : certains hauts responsables craignent-ils que leur prise de parole se traduise à posteriori par des coups de bâtons, du type abaissement des moyens, mutation, disqualification… ? Qu’ils sachent alors que cette posture se traduit sur le terrain par de la souffrance, de la maltraitance, de la violence. Qui a parlé de conscience professionnelle, d’éthique de travail ?

N’importe t-il donc pas que nous prenions soin de notre jeunesse ?

La réduction des dépenses, dit RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques), peut-elle se laver les mains de se rendre responsable d’une telle violence pour les familles ?

Il est de notre responsabilité de dénoncer l’inexorable appauvrissement de la protection de l’enfance dans laquelle cette politique nous entraîne : « On leur donne moins de moyens, ils ne réagissent pas, donc, on avait raison de leur donner moins ; La protection de l’enfance n’en avait pas besoin ! ».

Cécile, secrétaire, Valérie, éducatrice spécialisée, Véronique, psychologue, Marie-France, secrétaire, Sonia, secrétaire, Jacky, pédopsychiatre, Jennifer, éducatrice spécialisée, Guillaume, éducateur spécialisé, Danielle, assistante sociale, Claire, psychologue, Murielle, éducatrice spécialisée, Pauline, stagiaire assistante sociale, Noémie, assistante sociale, Vanessa, éducatrice spécialisée et Saâdia, psychologue du Service Investigation de l’AAE 44.

(Le 16 février 2011)

Contact : protectiondelenfanceendanger at gmail.com

Messages

  • les solutions le gouvernement les connait par contre les coupables, il fera tout pour les identifier et les chatier sévèrement avec l’aval de la population. Quid de la situations dans les beaux quartiers ?

  • Scandalisée par la dégradation de tous nos services publics, je la vis de l’intérieur d’une école...
    Problèmes qui enflent (enfants, parents...), harcèlement hiérarchique (évaluations, projets à répétitions, bilans interminables...) couplés à la diminution quantitative des moyens, CE N’EST PLUS POSSIBLE !
    Je ne sais qu’ajouter....
    Vivement 2012 !
    Courage, ne fuyons pas !

    • En 2012 ? Que va-t-il se passer, en 2012 ?

      Voilà où nous en sommes : attendre 2012. L’illusion fonctionne à plein. Attendre, être passéiste et s’imaginer : 1. que les élections seront favorables, 2. que les problèmes se règleront automatiquement d’eux-mêmes.

      La lutte des classes, c’est un bulletin dans l’urne, selon nos concitoyens de gauche, suite à quoi tout changera favorablement en fonction du bon vouloir d’élus au-dessus de tout soupçon. Uniquement parce qu’ils sont réputés de gauche, donc vertueux. Qui dit vertu dit volonté et qui dit volonté d’un aréopage de président et de ministres dit solution à tous nos problèmes.

      Le changement, c’est l’affaire de tout le peuple impliqué, mobilisé, vigilant dans l’action politique de masse. Quand bien même nous aurions au pouvoir un gouvernement de combat, il ne pourrait rien faire seul.

      Voilà où nous conduisent ces partis de gauche qui ne réclament que les bulletins des électeurs : ils créent l’illusion que les urnes suffisent à régler toutes les questions qui se posent aux travailleurs, à la fonction publique. Et que feront la droite et le patronnat, au lendemain de ces fameuses élections ? Rien ? Ils seront vaincus par l’alternance démocratique ? Ils se feront les spectateurs passifs et résignés de la remise en cause de leurs intérêts ? Ou bien suffira-t-il d’un quarteron de ministres et, dans le meilleur des cas, d’une majorité à l’assemblée nationale, pour en finir avec la politique menée aujourd’hui ?

      Constatons, camarades, le désastre qui est le nôtre : déjà, le bilan social de la politique menée par les gouvernements successifs (dont plusieurs sous la présidence socialiste de Mitterrand) est nettement négatif : 7 millions de chômeurs, un succès croissant des restos du coeur, des loyers toujours plus élevés aboutissant au mal logement avec des drames et des tragédies : coupures d’EDF, GDF, incendies liés au chauffage d’appoint, expulsions, etc....

      Le pouvoir d’achat stagne, les profits du CAC 40 explosent, l’affaire Bettencourt révèle l’incroyable richesse (qui se compte en milliards) du grand patronnat, et que peut-on lire ? Qu’il suffit juste d’attendre une élection, en purs consommateurs d’une démocratie fantasmée, pour s’assurer des lendemains qui chantent...

      Je dis et je redis : vous, qui avez salué les révolutions arabes en les décrivant comme d’authentiques révolutions, vous participez à cette pédagogie de l’illusion démocratique. La démocratie, la vraie, celle pour laquelle nous militons (ou avons milité) ne se satisfait pas de cette illusion suicidaire.

      Non, la "démocratie" ne résoud rien. Non, le vote démocratique ne permet pas des conquêtes sociales ni politiques. Non, même des insurrections n’aboutissent à rien si on ne précise pas quel doit être son contenu de classe.

      En 2012, il ne se passera absolument rien si le peuple n’est pas dans l’action, s’il se contente, au soir des élections, de zapper pour suivre les résultats du scrutin, s’il se limite à n’être que spectateur.

      Voilà à quoi nous a conduits des décennies d’union de la gauche et de changement par les urnes : attendre les élections à venir...

      Désespérant et contre productif !