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Il y a soixante ans le colonel Fabien trouvait la mort

Publie le mardi 28 décembre 2004 par Open-Publishing


Mémoire. Le 27 décembre 1944 mourait Pierre-Félix Georges auteur du premier
attentat armé contre l’occupant. De la guerre d’Espagne à la Lorraine, parcours
d’un résistant.


de Jean Morawski

Une station du métro parisien, ligne 2, porte son nom. Ou, plus exactement, l’un des pseudonymes qu’il s’était donnés pendant la guerre et qui, étymologiquement, signifie « qui fait le bien », « qui agit bien ». Ce 27 décembre 1944 disparaît le colonel Fabien et, avec lui, le chef de ce qu’on appela successivement la « colonne Fabien », le « groupe tactique de Lorraine », le « premier régiment de Paris » et, enfin, le « 151e régiment d’infanterie ». Et cette somme, à cette date, dont nous célébrons aujourd’hui le soixantième anniversaire, fait qu’aujourd’hui encore la question que posait le regretté Pierre Durand, un de ses camarades, dans un livre qui était un hommage, Qui a tué Fabien ?, éditions Messidor, reste sans réponse. Pour le reste, en matière d’action, la vie de Fabien avait été bien remplie.

Pierre Durand avait rencontré Fabien à la bibliothèque de Nancy, en octobre 1943. Celui-ci était né le 21 janvier 1919, au 24 de la rue Eugène-Jumin, dans le 19e arrondissement de Paris, d’un père originaire de Rochefort et d’une mère native du Pin (Seine-et-Marne). Le jour de cette rencontre, Pierre-Félix Georges s’appelait Albert. Il commandait l’interrégion F T P de l’est de la France. Et sa chair était marquée de multiples blessures. La première, il l’avait reçue en 1931, à Alès, lors d’une grève. Il était alors âgé de onze ans et membre des pionniers du PCF. Un coup de crosse de mousqueton lui avait déboîté la mâchoire. Membre des Jeunesses communistes, arrêté en février 1934, à la suite des manifestations antifascistes, il s’était engagé, en 1936, dans les Brigades internationales qui défendaient la jeune République espagnole assaillie par les franquistes, les hitlériens et les fascistes italiens.

Dans une lettre écrite le 19 mars 1940, à la prison de la Santé, et transmise par le colonel Henri Rol-Tanguy, il a raconté comment, peu après 18 h 15, le 19 mars 1938, en Aragon, il avait été grièvement blessé au ventre par le serveur d’un char dont il ignorait s’il est allemand ou italien. Le 8 juillet 1939, il avait épousé Andrée Coudriet, membre des Jeunes Filles de France. Il venait alors de décrocher son certificat d’ajusteur d’aviation. Arrêté en décembre de la même année, dans le cadre de la grande répression anticommuniste qui avait suivi la signature du pacte germano-soviétique et la mise hors la loi du PCF, il avait été interné au camp de Baillet et s’en était évadé. Au moment de l’offensive allemande, il était incorporé au 126e régiment d’infanterie de Brive. Ensuite, il avait plongé dans la clandestinité. Son passage a été signalé à Toulouse, Marseille, Lyon, Nice, Bastia, puis, de nouveau, dans la « capitale de la résistance ».

En juillet 1941, on le retrouvait à Paris, occupé depuis juin 1940. Il y était devenu l’adjoint d’Albert Ouzoulias, responsable des premiers groupes « armés » (armés, ils l’étaient si peu !) créés par les Jeunesses communistes. C’est la dirigeante communiste Danielle Casanova qui avait fait les présentations le 2 août à la station de métro Duroc. Mais c’est une autre station qui l’a rendu célèbre. Nous en reparlerons...

Le voici dans le Doubs, où il organise ce qui deviendra le premier maquis de France. Blessé par balle au visage, il parvient à s’échapper en traversant le fleuve à la nage. Un curé résistant de Magny-Vernois lui offre une soutane et, le visage orné de fines lunettes, bréviaire et chapelet en poche, il devient l’abbé Paul-Louis Grandjean. Il passe évidemment par diverses prisons, dont celle de Dijon. Son père est fusillé comme otage au mont-Valérien. Son épouse, Andrée, est déportée à Ravensbrück. Pierre Durand, son biographe, lui-même arrêté et déporté, rapporte qu’il prépare une évasion des patriotes internés dans la prison de Blois, qu’il dirige une école de cadres des FTPF, qu’il est en Bretagne alors que se prépare la bataille du débarquement. Et à Paris quand Paris se libère. Pour une nouvelle blessure. Il poursuit le combat jusqu’au bord du Rhin à la tête de la colonne nommée Fabien, dont le général de Lattre de Tassigny a fait le 151e régiment d’infanterie et dont l’historien Michel Pigenet a retracé l’épopée. Jusqu’à ce 27 décembre 1944 où, dans des circonstances non clairement élucidées, il trouve la mort en manipulant une mine. Le mystère de sa mort et la question posée par Pierre Durand tiennent au fait que Pierre Georges connaissait parfaitement les armes et que, s’il était audacieux, il ne négligeait pas d’être prudent. Avec lui ont péri, ce soir-là, le lieutenant-colonel Dax-Pimpaud, le capitaine Blanco, le capitaine Lebon, le capitaine Katz et Gilberte Lavaire, son agent de liaison depuis 1943, et sa secrétaire à l’état-major. Neuf personnes furent en outre blessées par l’explosion.

Un tel homme, à une telle époque, ne pouvait qu’avoir des ennemis. Mais il savait aussi se gagner l’estime d’autrui. Dans le livre qu’il lui a consacré, Pierre Durand cite le témoignage de l’abbé Bernard Bouveresse, patriote de la première heure. Et le médecin capitaine Henry Du Buit. Celui-ci, homme de droite, s’était engagé dans le service de santé des FFI. Il n’avait pas caché ses opinions à Fabien, et ce dernier lui avait dit : « Nous sommes ici pour nous battre contre les Boches. » C’est l’abbé Bouveresse qui le premier a conçu des soupçons : il sait que la mine, une Riegelmine 43, a été démontée dans la nuit de Noël et désamorcée à l’armurerie avant d’être livrée à Fabien. Un militaire, le commandant Chagneau, a pu déclarer : « Les vexations, les embûches, les chausse-trapes que certains se sont acharnés à rassembler tout au long de la route glorieuse de la colonne Fabien témoignent assez du fait que l’explosion du 27 décembre fut un assassinat. »

Mais, nous l’avons dit, c’est à une station de métro que reste peut-être le plus lié le nom de Fabien. Le jeudi 21 août 1941, il est près de neuf heures, deux coups de feu claquent dans la station Barbès. Ils mettent fin à la carrière d’Alfons Moser, assistant d’intendance aux magasins d’habillement de la Kriegsmarine à Montrouge, et font passer la résistance française à l’occupation et à la collaboration à la vitesse supérieure. Le tireur ? C’est Pierre-Félix Georges. Au cours de cette action, celui-ci est notamment accompagné par Gilbert Brustlein. Gilbert, qui a une vue épouvantable, à l’approche du 14-Juillet, a lancé un pavé en direction de la vitrine de la permanence du RNP de Déat, boulevard des Filles-du-Calvaire. Il a raté sa cible et un copain a dû rectifier le tir. Le jour de la fête nationale, Gilbert a participé à la manifestation du côté du boulevard de Strasbourg et de la porte Saint-Denis. Il n’a échappé que de peu à l’arrestation. L’intervention d’un ancien combattant médaillé, et surtout muni d’une canne, l’a sauvé. Tous n’ont pas eu cette chance. Le 24 juillet, l’ouvrier André Masseron est fusillé pour avoir chanté la Marseillaise. Le 13 août, nouvelle manif. À Saint-Lazare. Les Allemands ouvrent le feu. Henri Gautherot, jeune communiste, membre du service de protection, est blessé et arrêté. Un autre jeune, Samuel Tiszelman, réfugié dans une cave, en est débusqué. Le 19 août, tous les deux sont passés par les armes au Plessis-Robinson ; le blessé attaché à sa civière dressée à la verticale pour la circonstance.

La direction du PCF décide de développer la lutte contre l’envahisseur et de passer à l’action armée, comme le font les patriotes soviétiques depuis le 22 juin 1941. Mais on ne passe pas facilement à la lutte armée. Fabien a l’expérience des armes, son passage par l’Espagne la lui a donnée. Pour autant, entrer en guérilla urbaine n’est pas simple. Tuer un homme à bout portant n’est pas évident : et si, sous l’uniforme, battait le coeur d’un ouvrier ? Fabien a dû multiplier les réunions pour convaincre. Finalement, il choisit de prêcher l’exemple. L’assassinat d’Henri Gautherot et de Samuël Tiszelman, bien connus des jeunes communistes parisiens, joue le rôle de détonateur. Le 20 août 1941, Fabien fixe à Gilbert Brustlein et à Robert Gueusquin rendez-vous pour le lendemain, huit heures, métro Barbès, quai Porte-d’Orléans. Au cours de la nuit du 20 au 21, Brustlein a tenté de saboter la voie ferrée de l’Est, à Nogent-sur-Marne. Il était accompagné par Christian Rizo, Tony Bloncourt, Pierre Milan, Roger Hanlet, Fernand Zalkinov et Acher Semahya. L’arrivée d’une patrouille a fait échouer l’opération. Fabien arrive au rendez-vous armé d’un 6,35 « emprunté » à la mère d’un étudiant communiste : Jacques D’Andurain. Brustlein arrive escorté de Fernand Zalkinov, dont le sac a dos est plein de matériel de sabotage. Fabien demande à celui-ci de s’éloigner. Il charge Brustlein de sa protection et demande à Robert Gueusquin d’observer le déroulement de l’opération. Gilbert Brustlein, qui lui aussi est armé, a pu raconter la suite : « Je suis Fabien vers l’escalier de descente et de sortie situé face au wagon de première classe. Je serre instinctivement mon revolver. Sur le quai, la foule des ouvriers se rendant à leur travail va et vient, attendant l’arrivée de la rame. Un Allemand en uniforme bleu marine descend et pénètre sur le quai, près de nous. "Tu vois, c’est lui qui va payer", me chuchote Fabien. Le poinçonneur ferme le portillon d’entrée car la rame entre. Elle stoppe, et le wagon de première est devant nous. Les portières s’ouvrent. L’Allemand pénètre dans le compartiment ; alors Fabien se précipite derrière lui et tend son 6,35. Deux coups de feu : pan, pan ! Je suis à côté de Fabien ; j’ai sorti mon arme pour le protéger. » Puis c’est la fuite. L’équipe, essoufflée, se retrouve au square Willette. Fabien est là. Brustlein : « Il respire profondément et fait un mouvement d’expiration avec ses bras. Il s’exclame : "Titi (Samuel Tiszelman pour les copains - NDLR) est vengé." »

Avec ce geste, la France outragée redresse la tête. Le sol national commence à brûler sous les bottes allemandes. Le gai Paris cesse d’être un haut lieu pour parties de plaisir. On peut encore s’y balader. Mais il convient de surveiller les arrières...

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