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Aldo Moro est mort, il y a 33 ans et les zones d’ombres demeurent.

Publie le lundi 16 mai 2011 par Open-Publishing
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Le 9 mai 1978, le cadavre d’Aldo Moro, président de la Démocratie Chrétienne, haut serviteur de l’Etat, ex Président du Conseil des ministres, est retrouvé dans le coffre d’une Renault 4 garée via Cateani dans le centre historique.

Le 16 mars 1978, Aldo Moro et son escorte tombe dans une embuscade, via Fani, quartier Montemario. Ses 5 gardes du corps sont abattus. Domenico Ricci, Oreste Leonardi, Raffaele Jozzino, Giulio Rivera et Francesco Zizzi.

Le cinéma, Il caso Moro (Giuseppe Ferrara) et des fictions de la télévision ont souvent reconstitué la scène. L’action perpétrée par 4 tueurs brigadistes.

Aldo Moro est embarqué dans une Fiat 132 bleue. Son cartable et les documents à l’intérieur disparaissent. Les Brigades Rouges revendiquent l’enlèvement quelques minutes plus tard et réclament en échange la libération de leurs leaders incarcérés.

Le gouvernement italien répond par la fermeté. On ne traite pas avec les terroristes.

Après 55 jours de captivité, Aldo Moro est tué par ses geoliers.

La nouvelle fait le tour du monde.

 © Unità

© Unità

Une information claire et sans ambiguité : Un homme politique d’une grande valeur a été victime d’un odieux crime commis par le terrorisme de gauche.

Le 9 mai 1978, un coup de téléphone avertit un proche d’Aldo Moro que la dépouille du Président de la Démocratie Chrétienne se trouve dans le coffre de la Renault 4 via Cateani.

Un des premiers arrivés sur place est Francesco Cossiga, le ministre de l’Intérieur, un proche de la victime. Très vite, il règne un désordre dans la rue qui n’est pas bouclée. Députés, sénateurs, proches, journalistes, policiers et curieux.

Pour la symbolique, la Via Cateani, à l’époque, est à mi chemin du siège de la Démocratie Chrétienne et du Parti Communiste Italien. Aldo Moro le matin où il est enlevé se rend au Parlement pour porter le projet dont il est l’iniateur, le compromis historique, l’entrée des communistes au gouvernement, un sujet sensible pas seulement en Italie mais aussi en Europe plongée dans la guerre froide avec le bloc de l’Est.

Un acte politique novateur et courageux disaient ses plus proches collaborateurs.

Via Cateani, la dernière cérémonie hommage en 2008 pour les 30 ans de sa mort.

 © EricValmir

© EricValmir

Mais d’une manière générale, le 9 mai est l’occasion de venir se recueillir ou déposer une gerbe à la mémoire d’Aldo Moro.

 © EricValmir

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Ce 9 mai 2011, deux parutions nous rappellent que ce drame est avant tout une affaire d’Etat. Derrière un crime des années de plomb se cachent en fait des implications et des responsabilités qui dépassent le cadre du gouvernement italien et impliquent les services secrets étrangers. 

Un livre et un DVD.

Le livre.

 © Einaudi

© Einaudi

Le mémorial de la République sont les confessions et les lettres écrites par Aldo Moro au cours de sa captivité. Elles ont déjà été publiées en italien, en français et en anglais.

Mais cette correspondance est incomplète dit Miguel Gotor, historien romain, auteur du livre. Des écrits plus sensibles ont disparu. Ces “confessions” ont d’une part été livré par ses geoliers et une autre partie a été découverte par le groupe anti terroriste du général Dalla Chiesa. Mais ces lettres n’empruntent pas toutes les mêmes voies, certaines sont remises à la famille, d’autres au gouvernement, d’autres enfin disparaissent.

 Certaines seront “découvertes” après la chute du mur de Berlin. Miguel Gotor cite le témoignage de personnes qui ont pour des raisons différentes pu lire les lignes de Moro avant qu’elles ne soient retrouvées officiellement, mais ces personnes là meurent ou citent des faits qui n’apparaissent nulle part. Pas de preuves de ce qui est avancé. 

Le travail de Miguel Gotor est minutieux. Sa formation d’historien ne laisse pas la place aux arguments fantaisistes et aux rumeurs. Il ne parle plus du mémorial, mais de l’ur-memoriale, un texte censuré parce qu’il contient des informations qui restent insupportable aux yeux du pouvoir et dangereux pour la sécurité nationale. Tant d’affaires sont en jeu dans une époque soumise à la stratégie de la tension : le compromis historique, les clauses du lodo Moro sur le conflit israelo-palestinien qui ne plait pas au Mossad, les activités de l’Otan et de la Cia, les affaires de corruption de Lockheed et Italcasse. Des questions embarassantes pour la politique italienne de la fin des années 70.

Sur 624 pages, Miguel Gotor reprend le processus qui a conduit à l’enlèvement et à l’assassinat d’Aldo Moro. A travers les lettres et les confessions, Aldo Moro fait savoir qu’il n’est pas dupe. Les siens l’ont lâché (Andreotti, Cossiga). Personne ne bougera pour le libérer.

Et 33 ans plus tard, les questions restent en suspens pour l’historien romain. Où sont les écrits originaux ? Pourquoi les terroristes ne les ont-ils jamais rendu public ? S’agissait-il d’un sujet de tractation entre l’Etat et les Brigades Rouges ? Existe t-il des vidéos des interrogatoires ?

33 ans est une longue période pour l’étude historique, pas encore assez longue pour obtenir des réponses à ces questions.

Et pourtant des zones d’ombres ont été levées grace aux témoignages de mafieux repentis, de terroristes et les enquêtes de la magistrature.

Le DVD documentaire Sequestro Moro, sentenza di morte de Franco Fracassi sorti ce lundi 9 mai 2011, le rappelle.

Le film égrène les incohérences survenues dès l’enlèvement. 4 tireurs terroristes. 93 balles tirées provenant de 8 armes différentes. Une opération militaire d’un très haut niveau qui suppose une logistique au delà des possibilités des Brigades Rouges.

Cinq gardes du corps tué. Aldo Moro au centre de la voiture, ne sera même pas blessé dans la fusillade. Dans la deuxième automobile, les deux autres escortes d’Aldo Moro sortent du véhicule, armes au poings pour répliquer aux terroristes mais des tirs venant de l’arrière les tuent aussitôt.

Sur place, à ce moment là, (des années d’enquêtes et de témoignages l’affirment aujourd’hui), se trouvent une personne qui hurle des ordres en allemand, des tireurs embusqués, des hommes de la N’Dranghetta et un colonel du Sismi (services secrets italiens). Ce colonel confirme se trouver dans le quartier à ce moment là pour un rendez vous à déjeuner via Fani. Il est 9 heures du matin.

A travers les interviews de Ferdinando Imposimato, juge du procès Moro, Sergio Flamigni, membre de la Commission parlementaire sur Moro, Ansoino Andreassi ancien fonctionnaire de la Digos, Giovanni Pellegrino, président de la Commission parlementaire sur les massacres, l’auteur Giovanni Fasanella et le juge auteur Giancarlo de Cataldo… le documentaire pointe l’implication des services secrets italiens et étrangers dans l’enlèvement mais aussi les les 55 jours de captivité.

Plus l’ombre d’un doute. Les brigades rouges ont été infiltrées, sans que ses militants ne s’en aperçoivent et certaines de leurs décisions ont été téléguidées. Un des canaux utilisés serait l’école de langue Hyperion fondée à Paris en 1976 par le groupe fondateur des Brigades Rouges et un membre de la bande de la Magliana. Cet institut aurait été infiltré par la Cia, guère favorable au compromis historique d’Aldo Moro Le KGB aussi n’en voulait pas. Bref, la décision d’enlever le président de la Démocratie Chrétienne est sans doute prise à Paris.

Rien ne sera entrepris pour rechercher Aldo Moro. Au delà de cette affirmation, il existe des faits. Comment 13 000 agents entre les Renseignements et la Police ne parviennent pas à trouver le lieu de séquestration de l’homme d’Etat ? retenu prisonnier dans un quartier romain…. qui plus est dans une impasse, la via Gradoli…. dans une zone qui sert en général les opérations logistiques des services secrets italiens….. qui disposent ici de plusieurs appartements. ???

Ne surtout pas intervenir. Apporter une aide logistique pour l’enlèvement et laisser faire, laissez égrener le temps. Message de fermeté de l’Etat et mettre ainsi les terroristes dans l’impasse. Tuer Moro ou perdre la face devant les leurs et la cause ? Mais il y a ces lettres de Moro qui sont écrites, puis diffusées. Un séisme. Dans le documentaire, il est rappellé que le Corriere della Sera à ce moment là publie un édito : Aldo Moro n’est plus Moro. Il est drogué et écrit sous la dictée. L’argument est recevable. Dans le climat passionnel et tendu de l’époque, personne ne pressent qu’une affaire d’Etat se joue.

Pour les intervenants précités et que l’on voit témoigner dans le film, l’implication des services secrets étrangers (Cia, KGB, DGSE, RAF) n’est pas une vue de l’esprit. Aldo Moro devait mourrir.

Titre d’un livre d’entretiens que le juge du procès a accordé au journaliste Sandro Provvisionato. 

 © Chiarelettere

© Chiarelettere

Il existe peu de photos d’Aldo Moro. Comme si avec le temps qui passe, sa mémoire devait aussi être effacée.

Il est beaucoup plus facile de trouver l’image de son cadavre dans la Renault 4 qu’un cliché de son vivant. Seul ce portrait s’affiche encore. La pause de l’homme qui réflechit.

 © Archivio

© Archivio

Mon sang retombera sur vous. Sa correspondance traduite en français par Elisabeth Faure, superbement présentée par d’Emmanuel Laurentin (France Culture, la fabrique de l’Histoire) publiée en 2005 constitue un témoignage qui donne au lecteur le cadre de cette affaire d’Etat, avec des passages personnels bouleversants pour son petit fils Luca. 

 © Tallandier

© Tallandier

Le film de Marco Bellochio “Buongiorno notte” s’attarde sur les errements des geoliers brigadistes qui ne savent plus comment se comporter et qui finiront par tuer leur otage.

 © Bellochio

© Bellochio

Autre film, moins nuancé, il caso Moro de Giuseppe Ferrara.

 © Ferrara

© Ferrara

http://radiofrance-blogs.com/eric-valmir/2011/05/09/aldo-moro-est-mort-il-y-a-33-ans-et-les-zones-dombres-demeurent/

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