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Restitution de palmes académiques en soutien à des enseignants sanctionnés

Publie le mercredi 31 août 2011 par Open-Publishing
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Gattières, le 28 août 2011

Lettre ouverte de Jacques Jourdanet (j.jourdanet1 at gmail.com)

à

Madame l’Inspectrice d’Académie
Directrice des Services départementaux
de l’Éducation nationale du Loir-et-Cher

et à

Monsieur l’Inspecteur d’Académie,
Directeur des Services départementaux
de l’Éducation nationale de Loire-Atlantique

Madame l’Inspectrice d’Académie, Monsieur l’Inspecteur d’Académie,

Ancien inspecteur, je constate avec tristesse et désarroi la dégradation accélérée des conditions de formation et d’exercice des enseignant.es, en raison d’une politique éducative qui fait trop peu de cas de l’intérêt des usagères, des usagers et de la bientraitance due aux personnels. En sont une illustration les lourdes sanctions que vous avez infligées à François Le Ménahèze (Loire-Atlantique) et à Philippe Wain (Loir-et-Cher) : pour le premier, retraits de salaire et refus de détachement à temps partiel auprès de l’IUFM (réitéré cette année) ; pour le second, mesure juridiquement infondée, s’apparentant à un déplacement d’office. Par mes précédents courriers, j’avais tenté de vous convaincre de l’existence d’un possible malentendu et du risque que vous couriez de commettre une injustice. En vain. Aussi, par souci de cohérence personnelle (1), j’ai décidé de vous restituer mes distinctions dans l’Ordre des Palmes académiques afin de rendre concrète ma protestation, tout en assurant de mon entière solidarité ces collègues (que je connais, estime et dont je peux me porter garant), mais aussi des enfants et des autres adultes conséquemment concerné.es.

Pour les trois raisons suivantes, je considère en effet que sont profondément injustes ces sanctions.

1- Il est abusif de considérer que nos collègues ne respectent pas leurs obligations professionnelles simplement parce qu’ils refusent d’alimenter le fichier Base-élèves et d’entrer dans le nouveau dispositif d’évaluations nationales. Tout au plus, il ne pourrait s’agir que d’une part minuscule desdites « obligations ». Or je crains que soit ici fort malmené un principe supérieur du droit : le respect de l’égalité de traitement.

En effet, l’observation directe du fonctionnement d’un millier de classes me conduit à témoigner, en conscience, n’avoir jamais rencontré un.e enseignant.e satisfaisant à toutes ses obligations professionnelles : par choix, par méconnaissance ou par impossibilité matérielle, notamment en raison de prescriptions institutionnelles parfois contradictoires ou matériellement infaisables dans toute la rigueur attendue. Il n’empêche que ces praticien.nes exercent leur profession avec sérieux, dévouement et, le plus souvent, de manière globalement acceptable ou même honorée par l’Éducation nationale. Ne sont pas non plus sanctionné.es ces mêmes enseignante.s qui, en majorité, ne respectent pas certains aspects pourtant cruciaux de la réglementation. Par exemple, le volume horaire à consacrer impérativement à chaque discipline d’enseignement ou encore l’interdiction maintes fois rappelée de la prescription de devoirs écrits hors temps scolaire. Il ne s’agit pourtant pas de la simple contestation d’instruments d’une politique ministérielle mais bien de choix pédagogiques délibérés qui peuvent retentir gravement sur la qualité de la scolarité de certain.es enfants. Par ailleurs, nous savons qu’il arrive aussi à l’administration de l’Éducation nationale de ne pas respecter à la lettre telle loi ou tel règlement... Impunément, le plus souvent.

2- De surcroît, François Le Ménahèze et Philippe Wain manquent-il réellement à cette (minuscule) part de leurs obligations professionnelles ? Ayant enseigné l’éthique professionnelle et la législation à l’IUFM Célestin Freinet - Académie de Nice, je répondrais oui, à la lettre mais non dans l’esprit. Or quand la lettre va à l’encontre de l’esprit – le meilleur pour les enfants –, la première ne doit-elle pas s’incliner devant le second ? Et même si l’on voulait s’en tenir à la lettre, encore faudrait-il qu’il n’y ait aucune contestation possible d’interprétation. Si l’article 28 de la loi n° 83.634 du 13/07/83 dispose qu’un.e fonctionnaire « doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique », il est aussitôt précisé « sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ». Doit-on considé­rer comme légal un dispositif qui contrevient, entre autres, à la Convention internationale des droits de l’enfant, pourtant ratifiée par la France ? Et n’y a-t-il pas grave compromission de l’intérêt public lorsque le devenir des enfants risque d’être obéré par l’exploitation de bases de données dont la sécurité ne peut être totalement assurée ou même, pour le pire, qui pourrait faire l’objet d’un dévoiement institutionnel, si s’instau­rait un régime politique particulièrement autoritariste ? L’Histoire comme l’actualité mondiale nucléaire, biotechnologique ou financière nous rappellent pourtant avec force que la répartie mi-fataliste mi-narquoise « le risque zéro n’existe pas » gagnerait à être remplacée par le responsable principe de précaution. A fortiori quand sont largement contestées ces nouvelles « évaluations » par des syndicats d’enseignant.es, d’inspecteurs/trices et des fédérations de parents, particulièrement en raison de la place de ces épreuves à mi-parcours dans l’année scolaire, de la non-pertinence de certains contenus, de la dérisoire notation binaire, de la diversité des conditions de passation (publication anticipée des épreuves, pratiques semi-clandestines de non-respect volontaire des consignes...).

3- Mais le plus grave réside peut-être dans la volonté réitérée de ne pas reconnaître, dans ces refus, la sincérité d’une objection de conscience raisonnée, qui ne lèse aucunement les enfants mais, au contraire, vise à respecter et à protéger celles-ci, ceux-ci. Vous sanctionnez des collègues dont les qualités profession­nelles ont été reconnues lors d’inspections et qui, dans leurs fonctions d’éducation, d’enseignement, de formation, donnent pleinement satisfaction aux usagères et usagers, mais aussi à la communauté éducative, à l’IUFM des Pays de la Loire, pour l’un, aux communautés villageoises et municipales du R.P.I. Bauzy-Neuvy pour l’autre. Outre ces qualités, ces enseignants parviennent à conjuguer éthique de conviction et éthique de responsabilité en considérant que la conduite de stricte obéissance dénaturerait leur mission auprès des enfants qui lui sont confié.es. Les punir alors même qu’ils font ainsi honneur au service public constitue, à mes yeux, le comble de l’injustice. Et je sais combien leur personne en est profondément affectée.

J’apprécie d’avoir été souvent en mesure de constater, dans mon département, la capacité de l’administra­tion de l’Éducation nationale à faire preuve de discernement, de compréhension et d’interprétation positive à l’égard de personnels comme François Le Ménahèze et Philippe Wain, dès lors qu’était reconnue la bonne foi, la compétence et les effets positifs de leurs actions auprès des enfants ou adultes en formation. À l’occasion, la loyauté hiérarchique peut en effet devenir seconde devant la loyauté due aux enfants et/ou adultes en formation. Aussi terminerai-je en vous faisant part de ma grande perplexité quant aux raisons qui ont pu sous-tendre ce qu’il faut bien considérer comme un acharnement, là où nombre de vos collègues ont su adopter des attitudes compréhensives et constructives.
 
Néanmoins, je ne désespère toujours pas de vous voir revenir sur ces sanctions. Dans cet esprit, je vous prie de croire, Madame l’Inspectrice d’académie, Monsieur l’Inspecteur d’académie, à l’assurance de ma profonde considération et de ma haute estime pour un service public d’Éducation nationale que j’aime et défends quand il se place délibérément au service de ses usagères et usagers.

Jacques Jourdanet
inspecteur de l’Éducation nationale, en retraite

P.J. pour M. Bernard Javaudin, I.A. D.S.D.E.N. de Loire-Atlantique : ma nomination « chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques », par décret du Premier Ministre, en date du 25 juillet 1996.
P.J. pour Mme Agnès Picot-Grandjean, I.A. D.S.D.E.N. du Loir-et-Cher : ma promotion « officier dans l’Ordre des Palmes académiques », par décret du Premier Ministre, en date du 31 octobre 2002.

Considérations complémentaires et personnelles, à propos de François Le Ménahèze
La première fois que j’ai rencontré François Le Ménahèze, dans une co-intervention au congrès international de l’École moderne – pédagogie Freinet (Valbonne 2005), j’ai été sensible à son honnêteté foncière, la clarté de ses vues, l’authenticité de son engagement pour le meilleur développement des potentialités de chaque enfant. Puis ce furent des travaux coopératifs bénévoles d’édition qu’il coordonnait (Collection Pratiques et recherches aux Éditions de l’ICEM-pédagogie Freinet) : se confirmaient alors les qualités déjà citées et se révélaient à mes yeux sa rigueur de conception et d’exécution, son discernement évaluatif et cette éthique de responsabilité qui sous-tend aussi ses positions actuelles. Bien que je ne l’aie pas vu dans l’exercice de ses fonctions professionnelles, je suis assuré qu’ont de la chance les enfants et l’équipe pédagogique qu’il anime, comme ont pu l’avoir les enseignant.es qui ont bénéficié de ses tâches de formation à l’IUFM. Ne serait-ce qu’en raison de sa capacité à faire preuve de réserve par rapport à ses choix lorsqu’il était en situation de contribuer à la formation de l’identité professionnelle de professeur.es stagiaires.

Considérations complémentaires personnelles, légales et réglementaires à propos de Philippe Wain
Si je n’ai pas eu la chance de travailler avec Philippe Wain, j’ai régulièrement apprécié ses contributions à des débats pédagogiques, au sein de l’ICEM. Comme pour François Le Ménahèze, cette appréciation positive s’est transformée en une profonde estime à la suite de récents échanges. Son authenticité, sa loyauté et son investissement envers les enfants s’inscrivent dans des techniques de vie d’essence profondément humaniste. L’injustice à son encontre est d’autant plus pénible à vivre que la sanction s’affranchit de tout cadre légal et/ou réglementaire. Serez-vous alors sanctionnée à votre tour, Madame l’Inspectrice d’Académie ? Pour mémoire, dans la lettre recommandée envoyée à Philippe Wain, est évoqué un retrait des fonctions de directeur, alors même que cet enseignant n’est pas « directeur d’école de deux classes ou plus » mais « chargé d’école ». Quoi qu’il en soit, la conséquence mécanique de ce retrait est, de fait, un déplacement d’office, autrement dit la sanction maximale du second groupe, ce qui constitue une peine manifestement dispropor­tionnée. De plus, en C.A.P.D., vous auriez indiqué que Philippe Wain n’était pas sanctionné – ce qu’accrédite le déroulé, effectivement très éloigné des procédures légales en vigueur. Pourtant, s’il ne s’agissait pas d’une sanction, Philippe Wain aurait dû être invité à participer au premier mouvement du personnel, les positions de cet enseignant par rapport à Base-élèves et aux remontées des évaluations nationales étant connues en temps utile. « Offrir » maintenant à Philippe Wain une fin de mouvement ne peut que recevoir la qualifica­tion de « sanction de fait ». Mais mon incompréhension est encore grande lorsque j’apprends qu’une « raison de service » serait maintenant invoquée. Cela m’étonne car, au contraire, l’intérêt du service, éducatif et pédagogique, plaide pour la continuité, surtout quand l’enseignant concerné est totalement dévoué aux enfants et à sa mission d’éducation et d’instruction. Au demeurant, en quoi le déplacement de Philippe Wain modifierait-il ses convictions et ses actes en cohérence ?

(1) Si j’avais travaillé sous votre autorité, Madame l’Inspectrice d’Académie ou sous la vôtre, Monsieur l’Inspecteur d’Académie, et compte tenu de vos attitudes à l’égard de MM. Wain ou Le Ménahèze, je me doute que je n’aurais pas bénéficié de la confiance que m’ont toujours accordée vos homologues des Alpes-Maritimes, notamment lorsque j’ai eu à intercéder à propos de situations équivalentes. Il est même fort probable que ma défense inconditionnelle de l’intérêt des enfants m’aurait valu, avec vous, davantage condamnation que reconnaissance. Puisque je conteste moi aussi le bénéfice, pour les enfants, du fichier Base-élèves et des évaluations nationales telles qu’elles sont devenues, nul doute que vous n’auriez retenu que cette unique facette de mon action et ne m’auriez pas proposé pour l’Ordre des Palmes académiques.

Messages

  • Ce sont les canards qui portent des palmes.

    Il faut que tous les enseignants refusent d’obéir, il faut ka grève et pas que le 27 septembre...

  • Bravo, je vous approuve totalement et vous félicite.
    De mon côté, je viens de restituer mes propres Palmes Académiques par une lettre ouverte qui dénonce la démagogie, l’hypocrisie, la lâcheté et l’incompétence de notre hiérarchie :

    Denis DELFORN
    Professeur de mathématiques tout juste retraité

    Lettre ouverte à Monsieur le Recteur de l’Académie de Montpellier

    Perpignan, le 1er novembre 2012

    Monsieur le Recteur,

    En ce premier jour de retraite qui lève mon devoir de réserve, je veux, en justifiant ma démarche, renoncer publiquement et par lettre ouverte aux Palmes Académiques qui m’ont été décernées en 1998.
    Cette démarche ne fait suite à aucun contentieux qui m’aurait opposé à l’Administration, je l’inscris dans un cadre collectif pour dénoncer la situation des personnels enseignants face à un métier dont l’exercice est devenu épouvantable au fil des années, dévalorisant, démoralisant, cruel et peu rémunérateur. La démagogie et le laxisme de nos autorités hiérarchiques en sont la cause première alors que celles-ci mettent en exergue, pour tenter de masquer leur propre responsabilité, l’évolution de la Société et l’incivisme de plus en plus grand de trop nombreux parents. Cette hiérarchie, tous niveaux confondus, refuse de prendre les responsabilités et les décisions qui lui incombent et préfère éluder hypocritement et inutilement les problèmes posés aux enseignants qui veulent accomplir leur mission ; pire encore, elle stigmatise ces derniers. Chaque rouage de cette hiérarchie n’a d’autre intérêt que son déroulement de carrière et son confort de travail, la compétence à ces niveaux-là étant évaluée à la capacité de ne pas mettre dans l’embarras son supérieur qui mettrait lui-même dans l’embarras son propre supérieur s’il n’arrivait pas à stopper ce qui est malencontreusement remonté jusqu’à lui. Rien ne peut donc jamais être réglé sur le fond et l’école de la République voit aujourd’hui des enseignants complètement isolés et démunis, même s’ils ont de nombreuses années d’une expérience réduite à l’impuissance face à la lâcheté et à l’incompétence dogmatiques de leurs supérieurs.
    Je n’ai pas plus qu’un autre de mes collègues mérité les Palmes Académiques qui ne sont malheureusement attribuées à un enseignant ni pour ses compétences pédagogiques ni pour ses qualités professionnelles, comme le dénonçait en son temps Marcel Pagnol dans « Topaze » ; elles m’ont été données pour mon implication et mon action volontaires dans la prévention de la violence à l’école au niveau départemental. Cet engagement m’a confirmé que c’est l’école qui ne joue principalement pas son rôle pour les causes que je viens de dénoncer. Un comble quand on demande à la Police, à la Gendarmerie et à la Justice de s’impliquer pour régler les problèmes que nos supérieurs choisissent d’occulter au moment où leur traitement est encore possible. L’école crève un peu plus chaque matin au sortir du petit déjeuner. Ma participation à la fois éducative et répressive comme assesseur au Tribunal Pour Enfants de Perpignan m’a confirmé pendant quinze ans que des équipes solidaires, responsables, motivées, animées et soutenues par une hiérarchie dynamique et respectueuse, obtenaient des résultats sur le long terme. Sans stigmatisation ni dénigrement de la base, mais grâce à la participation, à l’implication, à la solidarité, à la volonté de tous les échelons qui restent mobilisés sur le terrain au contact direct du public au lieu de s’isoler confortablement dans la tour d’ivoire de leurs bureaux, principale tare de l’Education.
    Recevez, Monsieur le Recteur, l’expression de mes salutations.

    Signé : Denis DELFORN