Accueil > Des universités des Etats-Unis s’accaparent de terres en Afrique

Des universités des Etats-Unis s’accaparent de terres en Afrique

par Bruno Sans-terre

Publie le lundi 5 septembre 2011 par Bruno Sans-terre - Open-Publishing

Des universités états-uniennes utilisent les fonds de dotation pour passer des accords qui risquent d’expulser de leurs terres, des milliers d’Africains.
Bruno sans terre
Une nouvelle étude montre que Harvard ainsi que d’autres grandes universités états-uniennes travaillent par l’intermédiaire d’un hedge fund britannique et de spéculateurs financiers européens à acheter ou louer de vastes étendues de terres agricole africaines, ce qui dans certains cas pourrait provoquer l’expulsion de milliers d’Africains.

Pour les auteurs de l’étude les investisseurs étrangers tirent profit de cet « accaparement des terres » qui n’apporte pas souvent de créations d’emplois, ni le développement promis, mais au contraire, peut entraîner des problèmes sociaux et écologiques dans les pays les plus pauvres de la planète.

Ce rapport sur les acquisitions de terres dans sept pays africains laisse entendre que Harvard, Vanderbilt et de nombreuses autres universités états-uniennes possédant des fonds de dotations importants, ont lourdement investi, ces dernières années, dans le foncier africain. Une bonne partie de cet argent passe par le canal de Emergent, entreprise londonienne de gestion de patrimoine, qui gère un des fonds d’acquisition de terres en Afrique les plus importants, dirigé précédemment par la banque d’affaires JP Morgan and Goldman Sachs.

Les chercheurs de l’ Oakland Institute, basé en Californie, pensent que les clients états-uniens d’Emergent ont investi jusqu’à 500 millions de dollars dans certaines des terres les plus fertiles, dans l’espoir d’obtenir des retours d’investissements de 25%.

Emergent a affirmé que les contrats sont passés de façon responsable. Un porte-parole nous dit : « Oui, des fonds de dotations des universités et des fonds de pension sont des investisseurs à long terme. Nous investissons dans l’agriculture africaine, établissons des entreprises et donnons de l’emploi aux gens. Nous le faisons de façon responsable. ( …) Les sommes sont importantes. Il peut s’agir de centaines de millions de dollars. Il n’y a pas d’accaparement de terre. Nous voulons augmenter la valeur des terres. Le fait d’être grand, nous permet d’avoir un impact et les économies d’échelle peuvent être plus productives ».

Jusqu’à maintenant, on avait pointé du doigt les Chinois et les pays du Moyen Orient comme étant les accapareurs de grandes étendues de terres dans les pays en voie de développement, afin de produire à bas prix de la nourriture pour leurs populations. En fait, l’Oakland Institute constate que derrière de nombreux contrats - et parmi les plus importants - on trouve des fonds occidentaux.

La compagnie qui gère les fonds d’investissements de Harvard a refusé tout commentaire. Un porte-parole a simplement dit : « C’est la politique de la compagnie de gestion de Harvard de ne discuter ni des investissements, ni des stratégies d’investissements. Je ne peux donc confirmer le rapport ». L’université de Vanderbilt a aussi refusé tout commentaire.

Pour l’Oakland Institute, les investisseurs surestiment les bénéfices des contrats pour les populations concernées. « Les compagnies ont réussi à créer un empilement complexe de compagnies et filiales, afin éviter le contrôle de faibles autorités de régulation ». Pour Anuradha Mittal, la directrice de l’Oakland Institute, « L’analyse des contrats révèle que la plupart d’entre eux ne fourniront que peu d’emplois et vont expulser des milliers de personnes de leurs terres ».

En Tanzanie, le gouvernement local et l’entreprise de développement agricole états-unienne, AgriSol Energy, qui travaille avec la Iowa University, ont passé un protocole d’accord. Il stipule que les deux emplacements principaux pour leurs projets – les camps de réfugiés de Katumba et Mishamo qui comptent 162 000 personnes - devront être fermés avant que le projet d’une valeur de 700 millions de dollars ne commence. Les réfugiés ont pourtant cultivé ces terres pendant 40 ans.

En Ethiopie, un processus de « villagisation » mené par le gouvernement, déplace des dizaines de milliers de personnes de leurs terres traditionnelles vers de nouveaux centres, tandis que gros contrats fonciers sont conclus avec des compagnies internationales.

Le plus gros contrat conclu au Soudan - où, d’après des analystes norvégiens, près de 9% du territoire ont été achetés en quelques années - a été conclu entre une firme texane, Nile Trading and Development et une coopérative locale gérée par des chefs locaux absents. Il s’agit d’un bail de 49 ans, d’une surface de 400 000 ha dans la région de Central Equatoria, pour un montant de 25 000 dollars et qui autorise la compagnie à exploiter toutes les ressources naturelles y compris le pétrole et le bois. Cette compagnie dirigée par l’ancien ambassadeur des Etats-Unis, Howard Eugene Douglas, a l’intention de solliciter des crédits carbone - système soutenu par les Nations-Unis - ce qui pourrait lui rapporter des millions d’euros annuellement.

Dans le rapport, on peut lire qu’au Mozambique, où près de 7 millions d’ha de terre sont potentiellement disponibles pour les investisseurs, des hedge funds occidentaux travaillent conjointement avec des compagnies sud-africaines pour acheter de vastes étendues de terres agricoles et de forêts pour des investisseurs en Europe et aux Etats-Unis. Les contrats montrent que le gouvernement renonce à lever des taxes parfois pendant 25 ans, mais peu d’emplois seront créés.

Pour Obang Metho du Mouvement de Solidarité pour une Nouvelle Ethiopie, « Personne ne peut croire que ces investisseurs viennent pour nourrir les Africains qui meurent de faim, ou pour créer des emplois et améliorer la sécurité alimentaire. Ces accords – dont beaucoup sont en place pour 99 ans – ne représentent aucun progrès pour les populations locales et ne vont pas remplir leurs estomacs de nourriture. Par contre, ils remplissent de dollars les poches des dirigeants corrompus et des investisseurs étrangers ». Pour Mittal « L’ampleur des accords fonciers conclus est choquante. Les petites fermes et les forêts africaines sont transformées en stratégie d’investissement à haut rendement, basée sur le patrimoine naturel. Cela peut provoquer la hausse des prix alimentaires et une aggravation des risques de bouleversements climatiques. »

Des études menées par la Banque Mondiale et d’autres organisations montrent que près de 60 millions d’ha, soit la surface de la France, ont été achetés ou louées par des compagnies étrangères en Afrique, ces trois dernières années.

Toujours d’après le rapport, « La plupart de ces accords sont caractérisés par leur opacité, malgré les implications profondes que pose une consolidation du contrôle qu’exercent les compagnies financières sur les marchés alimentaires mondiaux et les ressources agricoles. »

Frederic Mousseau, le directeur des politiques de l’Oakland Institute, ajoute : « Nous avons vu des spéculateurs s’emparer de terres agricoles et traiter les petits paysans comme des squatteurs que l’on expulse de force, sans compensation. Cela provoque une insécurité sur le système alimentaire mondial qui pourrait être une menace pour la sécurité mondiale, bien plus importante que le terrorisme. Plus d’un milliard d’humains vivent avec la faim au ventre. La majorité des pauvres de la planète dépendent toujours de petites fermes pour leur subsistance et les spéculateurs les leur prennent en leur promettant un progrès qui ne vient jamais ».

Article de John Vidal et Claire Provost. The Guardian, mercredi 8 juin.

Traduction Amis de la Terre

http://www.amisdelaterre40.fr/spip/prive/vignettes/pdf.png