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LUMIERES : Sarkozy insiste sur l’utilité de la religion face à la mort...

Publie le mardi 18 janvier 2005 par Open-Publishing
2 commentaires

de Alina Reyes

Que l’on veuille enseigner l’histoire des religions dans les écoles paraît une idée saine, propre à révéler les liens historiques, philosophiques et littéraires entre des textes sacrés trop souvent perçus par les croyants comme porteurs d’une vérité unique, ou par les non-croyants comme de simples impostures intellectuelles. Mais un malaise se fait jour quand M. Sarkozy (un soir sur France3 dans l’émission Culture et Dépendances) insiste sur l’utilité de la religion face à la mort, tout en vantant
l’intérêt de cours sur les monothéismes, plutôt que sur la mythologie grecque, qui ne nous sert à rien.

Qui serait donc ce " nous " qui voudrait bien que les religions lui servent à quelque chose, qui serait-il sinon le pouvoir ?
Comment peut-on affirmer (après que l’enseignement du grec a été supprimé dans les lycées), que la connaissance d’une
civilisation qui a fondé la nôtre ne " nous " sert à rien ?

En maniant l’angoisse de la mort et en jetant aux oubliettes une autre vision du monde, païenne et porteuse d’une lumière unique, notre habile futur présidentiable ne fait que flirter avec l’attrait hypnotique de la foi qui réussit si bien aux puissants d’ajourd’hui. La lumière de Dieu a universellement pris la couleur de l’or noir et plongé le monde dans un état de guerre diffuse et de peur. De toute évidence, les hommes de pouvoir n’ont pas oublié la théorie de Hobbes, selon laquelle la peur est la base du pacte qui lie le souverain à ses sujets. Et la peur, l’angoisse, la terreur, se trouvent parfaitement entretenues par une vision manichéenne du bien et du mal, de la Lumière et des Ténèbres. Alors qu’il n’y a pas une, mais des lumières, et qu’insister sur la menace du règne des ténèbres est une manipulation, un tour de passe-passe « illusionniste » et... diabolique.

Evoquant la période qui précède la Renaissance, Michelet écrit dans La Sorcière : « Permettre une illusion si complète, laisser croire que le Diable est tout... c’est plus que permettre, c’est décider la damnation d’un monde... Etrange mortification ! Des nonnes, bien confessées, l’hostie dans la bouche, avouent qu’à ce moment même elles ressentent l’infernal amant... » Mais lorsqu’on vous a enfermé au couvent, ou que d’une façon ou d’une autre la société vous a privé de votre identité, il est bien plus amusant et satisfaisant de jouer avec le mal, plutôt que de se conformer au sinistre bien que l’on vous veut...

On pourrait peindre l’Histoire à travers le jeu des diverses valeurs de l’ombre et de la lumière au cours des siècles. Dès le XIXème la chambre noire commence à avaler temps et lumière, que l’invention des frères du même nom achèvera bientôt de capturer par la technique. Alors que le XXème siècle sombre dans les ténèbres des génocides à échelle industrielle, de la menace atomique et de la pollution massive, le scintillement artificiel de la photo et du cinéma envahit la planète. La prolifération des images dans le paysage, sur les écrans, dans la presse et au sein des foyers, le viol du monde par la publicité entraîne à son tour, de l’autre côté du miroir, le développement de ses nouvelles faces sombres, obscurantisme et terreur qui marquent l’entrée dans notre ère. Les forces souterraines et aveugles du nihilisme, « venues d’un autre âge », crépitant dans l’instantanéité et la fugacité de la communication, ses millions de flashes éclatant au visage de millions de célébrités d’un quart d’heure et ses millions de pixels usant les yeux de millions d’anonymes.

Comment voir encore le monde dans sa lumière naturelle, autrement dit à la lumière de sa propre vision ? La paresse individuelle, augmentée par le sentiment d’impuissance créé par ce déversement d’images - car les peuples primitifs n’avaient pas tort, il se peut que la caméra nous vole notre âme, ou du moins notre pouvoir d’agir - n’y incline pas davantage que les formidables intérêts en jeu dans la possession de « temps de cerveau humain »... Ainsi les peuples qui se veulent humanistes et progressistes sont-ils massivement complices des impérialismes et des terrorismes qu’ils dénoncent... « Car tout ce qui est médiocre fuit la lumière, écrivit Simone Weil ; et dans toutes les âmes, exceptées celles qui sont proches de la perfection, il y a une partie médiocre. Cette partie est prise de panique toutes les fois qu’apparaît un peu de beau pur, de bien pur ; elle se cache derrière la chair, elle la prend comme voile. Comme un peuple belliqueux a réellement besoin d’un prétexte quelconque, la qualité du prétexte étant d’ailleurs tout à fait indifférente, de même la partie médiocre de l’âme a besoin d’un léger prétexte pour fuir la lumière. »

Si nous continuions de tourner nos regards vers la lumière artificielle auquel ce déluge biblique d’images nous condamne, au lieu de voir le ciel, les arbres, les visages et les mots dans leur force poétique, nous risquerions bien de rater l’embarquement sur l’arche... C’est le monde entier qui a voté Bush, et c’est sous nos yeux fermés que se sont formés les fantômes du mal. La tentation de la fuite dans les avatars de nous-mêmes, rendue d’autant plus vive dans les mondes virtuels de la communication, ou de l’aspiration au salut dans les royaumes de l’au-delà, cette tentation de se passer de la réalité du monde pour en éviter les dangers est bien sûr illusoire et contre-productive, aussi bien d’un point de vue pratique que spirituel. « Il faut vouloir aller vers la réalité », écrivait encore Simone Weil en plein développement des ténèbres ; « alors, croyant trouver un cadavre, on rencontre un ange qui dit : ‘Il est ressuscité’. »

Alina Reyes

http://www.alinareyes.com

Messages

  • Au moins, les choses sont claires. En réclamant la pénalisation du blasphème, comme il l’a fait le 13 janvier sur France 3, Mouloud Aounit, secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), a pris un tournant édifiant dans l’histoire de l’association. En entendant cet appel à la répression, par la justice, de toute critique contre Dieu ou la religion, on comprend que le Mrap s’apparente désormais moins à la lutte antiraciste qu’au combat intégriste. Non seulement Mouloud Aounit fait mine d’oublier que la liberté de critiquer la religion est un droit fondamental en France, mais il rejoint les revendications des réseaux intégristes catholiques, sous la houlette de Bernard Antony, l’un des piliers du Front national. Qu’en penserait le noyau de militants, souvent communistes, souvent juifs, qui ont créé le Mrap en 1949 ?

    Ces dernières années, malgré l’opposition d’une partie de ses militants, le mouvement a tenté de persuader l’opinion qu’il fallait se battre prioritairement contre l’ « islamophobie », diabolisant au passage tous ceux qui critiquent l’islam ou les musulmans et accordant à demi-mot l’indulgence à certains errements antisémites. Puis, accueillant des associations fondamentalistes musulmanes en son sein, il a pris position contre la loi sur le voile. Si le délit de blasphème était rétabli, pourrait-on encore dénoncer les excès de la charia, les fatwas ?

    Mouloud Aounit a précisé plus tard qu’il ne pensait pas au blasphème religieux, mais aux atteintes « à l’intégrité de la personne ». Son lapsus, si cela en est un, n’est peut-être pas innocent. Il sait que le blasphème est prohibé dans beaucoup de pays européens.

  • Belle démonstration d’animisme !

    C’est la caméra qui vole "l’âme" et pas l’usage qui est fait des images, dont le déluge est biblique. Forcément biblique.

    Si on parlait de conscience, et non d’âmes, on éviterait ces dérapages.

    Quant à Sarkozy, il bénéficie avant tout d’une propagande éhontée.
    Il n’est pas sûr qu’il soit "habile", car ses thèses communautarisantes ne sont que peu prisées en France. Ce pays a une histoire et une culture qui le distingue des Etats Unis.