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Italie : le scandale éclate, la TV parle de mafia

Publie le mercredi 19 janvier 2005 par Open-Publishing

La droite se déchaîne pour une enquête de "Report". Et Cuffaro obtient une émission
réparatrice
Le scandale éclate. La TV parle de mafia


de CURZIO MALTESE

Une belle enquête de Report sur Raitre (la troisième chaîne de la TV publique,
NdT) a interrompu pour une soirée les années d’omerta télévisuelle sur la mafia, à l’exception
de quelques bonnes, mais inoffensives fictions.

La censure de la majorité s’est déclenchée ponctuellement. Tous au premier rang,
les élus siciliens de Forza Italia, le Président de la Région, Cuffaro, le maire
de Catane, Scapagnini, pour combattre non la mafia, mais plutôt le journalisme
anti-mafia.

Pour défendre "leur" Sicile "diffamée et offensée" par "de vieilles histoires",
fruits d’un préjugé politique. Sans même se rendre compte qu’ils utilisent les
arguments, le langage, les phrases toutes faites d’un Toto’ Riina ou de tant
de mafieux de cinéma.

En vérité, les liens entre Cosa Nostra et politique avaient été à peine effleurés par le programme de Raitre, peut-être dans l’illusion d’échapper à la censure. Mais désormais dans la majorité des "61 circonscriptions électorales sur 61" (la Sicile compte 61 circonscriptions électorales, NdT) le seul mot "mafia" suffit à déchaîner des réactions hystériques, violentes et parfois ridicules. Comme la demande d’obtenir une "émission réparatrice" sur Raidue (la deuxième chaîne de la TV publique, NdT) pour "montrer l’autre visage de la Sicile", avancée par Cuffaro et accueillie illico par l’épouvantail de droite placé à la direction de la TV publique, Flavio Cattaneo. Que vont-ils nous montrer, des charrettes et des bals folkloriques ? Cela fait des années qu’à la TV, Rai ou Mediaset (entreprise groupant les TV commerciales de Berlusconi, NdT), on nous montre l’autre visage de la Sicile, le faux, où la mafia n’existe pas.

Le tort de Milena Gabanelli (conductrice du programme Report, NdT) et des envoyés de Reporter est d’avoir rappeléque la mafia existe, au contraire, et qu’elle contrôle à nouveau le territoire. On n’a pas vu de scoop ou de révélations sensationnelles dans l’émission d’hier soir.

On n’a vu que le récit obstiné, intelligent de ce qu’ est la nouvelle criminalité organisée, à travers de grands et de petits épisodes. Les trois incendies du local géré par le chef des commerçants anti-racket de la zone de Syracuse, scandés exactement tous les neuf mois, dans l’impuissance incroyable des forces de l’ordre. Les étranges cavales à deux doigts d’être arrêté de Bernardo Provenzano, qui doit être depuis trente ans l’homme le plus chanceux de la planète ou bien quelqu’un qui a de bons informateurs dans les institutions. Une enquête sérieuse, documentée, équilibrée, qui pour une fois a donné la parole à la Sicile du courage et de l’honnêteté, l’a fait se sentir moins seule. Un très bon exemple de ce service public que tous le monde, en paroles, désire de la Rai.

La censure de Report est le dernier épisode d’une longue histoire de télévision de régime, commencée en 2001 avec la victoire de Berlusconi et le bannissement de Biagi et Santoro (journalistes interdits d’antenne depuis, NdT), poursuivie avec l’épuration de la satire et de l’information indépendante, jusqu’à la suspension grotesque du Molière de Paolo Rossi dimanche dernier. Mais c’est aussi l’épisode le plus grave et triste, dans sa cynique prévisibilité.

Il est prévisible mais déprimant qu’un personnage comme Toto’ Cuffaro, qui doit répondre en justice de l’inculpation de connivence avec la mafia, déchaîne publiquement l’énième campagne contre l’anti-mafia. Et il est tout autant escompté mais triste que Forza Italia, dont le fondateur Marcello Dell’Utri a été condamné en première instance à neuf ans pour concours extérieur en association mafieuse, mette au pilori ceux qui enquêtent sur la mafia.
Est-il possible que personne, dans le centre-droit, ne soit embarrassé par ce procès à l’envers ? Nous ne nous attendons pas à de grandes preuves du sens de l’Etat de la part de la majorité. Mais s’il est vrai que "la Sicile n’est pas que mafia", on peut dire la même chose de l’Udc et de Forza Italia.

Pourquoi donc ne laisser parler sur ces thèmes qu’une brigade d’enquêtés et de condamnés ?

Quant au dommage que ces enquêtes et même quelques fictions causeraient à l’image de la Sicile et de l’Italie, vieille accusation de Berlusconi, il faut se mettre d’accord. Un épisode comme celui-ci est destiné à faire le tour de la planète, colportant l’image la plus désolante d’une Italie de l’omerta, gouvernée par les amis des amis.

Il y a quelques mois le Monde a publié un dessin avec Berlusconi qui présentait son équipe. D’un côté un groupe d’aveugles avec la canne et les chiens : "Mes électeurs". De l’autre une poignée de sales têtes à casquette et lunettes de soleil : "Mes collaborateurs". La boutade a été reprise par toutes les télévisions du monde, sauf une. Vraiment un beau coup d’image, pas de comparaison avec "La Pieuvre".

Traduit de l’italien par Karl & Rosa de Bellaciao

http://www.repubblica.it/2004/j/sez...