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La Cour de cassation étend le droit de la presse aux blogs

par Mourad Guichard

Publie le lundi 10 octobre 2011 par Mourad Guichard - Open-Publishing

La Cour de cassation donne raison à un blogueur attaqué par le maire d’Orléans. Selon son arrêt, les lois protégeant la presse s’appliquent aussi aux blogs.

Son blog potache, baptisé « Les amis de Serge Grouard », avait conduit Antoine Bardet, alias « Fansolo », devant les tribunaux. Le tort présumé de ce militant socialiste ? Avoir imaginé, à la veille des municipales 2008, des soutiens imaginaires à Serge Grouard, maire UMP d’Orléans et candidat à sa propre réélection.

Après sa défaite en première instance, confirmée en appel, la Cour de cassation vient de lui donner raison au regard de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse.

Et par-là même, reconnaître à l’ensemble des blogueurs la protection de ladite loi généralement réservée aux seuls médias traditionnels. Depuis son exil parisien forcé, Antoine Bardet transitait de nouveau par Orléans, ce vendredi midi, afin d’animer une conférence de presse et remercier ses soutiens :

« C’est une victoire du droit et je suis content de venir la célébrer le jour de la Saint Serge. Alors, bonne fête à tous les Serge ! »

L’affaire débute le 3 mars 2008, en pleine campagne des municipales, par le débarquement de la garde rapprochée de Serge Grouard dans les locaux du centre de gestion de la fonction publique territoriale où Antoine Bardet était responsable informatique.

En soirée, flanquée d’un huissier, d’un expert informatique et munie d’une autorisation de la directrice des lieux, l’équipe se dirige directement vers le poste de Bardet qu’elle inspecte pour conclure que le blog « Les amis de Serge Grouard » a bien été administré depuis son ordinateur.

« Discréditer les personnes »

Il faudra attendre la fin de la campagne électorale et la victoire de Serge Grouard pour que l’affaire soit portée sur la place publique. L’édile fustige alors, en plein conseil municipal du 26 septembre 2008, des « attaques anonymes » au motif que le blog n’était pas signé :

« Je ne crois pas que nous soyons sur le terrain de la dérision, de la bonne blague, ou de l’humour […]. Derrière les faits, de quoi s’agit-il ? Il s’agit de chercher à chaque fois à tourner en dérision et à discréditer les personnes. […] Jusqu’où va-t-on aller dans ce registre ? J’ai voulu [...] que l’anonymat soit levé. »

S’ensuit la condamnation du blogueur en première instance, puis en appel, malgré la demande insistante de requalification des faits de « dénigrement ».

Le blog désactivé depuis la fin mars 2008 est alors hébergé par Reporters sans srontières (RSF) au même titre que les blogs... d’opposants chinois. Son contenu, truffé de fautes volontaires et moquant le cursus aérospatial du maire d’Orléans, est de nouveau visible :

« Allez Louya ! Serge Grouard a annoncé le 2 novembre qu’il annoncerai sa candidature lors d’une annonce au Palais de Charbonnière le 17 novembre prochain. Nous n’en pouvions plus de rester sans nouvelles de notre excellent maire de tous. Nous Orion tellement bien aimé qu’il annonce son annonce sur notre blog mais à quoi ça sert des amis dans le cas contraire qu’on se demande que c’est pas si grave ? Nous lui restons fi-d’ailes ! ».

Le blogueur doit verser plus de 11 000 euros d’indemnités et les ennuis ne s’arrêtent pas là. L’employeur d’Antoine Bardet s’appelle Michel Grillon, il est conseiller général UMP et visiblement bon camarade de clan. Il convoque aussitôt un conseil de discipline. Le blogueur est sanctionné.

« Connivence et inféodation »

Serge Grouard s’offre, en pleine période de délibéré d’appel, une tribune dans l’unique quotidien local. Mais malgré tout, la solidarité se structure. Un comité de soutien récolte des fonds et remonte le moral dépité du cadre sup’.

Conscient des difficultés à venir dans une ville aux relents balzaciens, il quitte Orléans avec femme et enfants, direction la banlieue parisienne. Son épouse n’est pas prête d’oublier :

« Je suis très contente, c’est une magnifique victoire, mais je n’arrive pas à me satisfaire pleinement, de manière éclatante. J’ai dû déraciner mes deux jeunes filles, changer d’emploi, de logement, le tout sans la moindre réserve financière. Et tout cela par la volonté d’un seul homme.

Rien ne pourra effacer ce voile posé sur ma famille. Je suis d’Orléans, je connais bien le système de réseaux qui tiennent la ville. Ici règne un mélange de connivence et d’inféodation dont nous avons clairement souffert.

Il aura fallu un regard extérieur, celui de la Cour de cassation, pour mesurer le déséquilibre entre les faits et la condamnation ».

Une nouvelle jurisprudence

L’arrêt de la Cour de cassation est on ne peut plus clair. Il ne reconnaît, dans le contenu du blog potache d’Antoine Bardet, que le fruit de la classique liberté d’expression.

L’arrêt ordonne à Serge Grouard de rembourser tous les frais engagés depuis la première instance jusqu’à la cassation. Et ajoute 3 000 euros d’indemnités.

Pour Antoine Bardet, la victoire est d’autant plus aboutie, qu’il a également gagné, le 27 septembre dernier, son recours devant le tribunal administratif d’Orléans visant à annuler la sanction prise à son encontre par le centre de gestion.

L’arrêt de la Cour de cassation n° 904 du 6 octobre 2011 (10-18.142) de la première chambre civile vient d’être mise en avant par l’institution sur son site Internet. Ce qui en fait une jurisprudence de référence, traitement de faveur réservé à 1% seulement des décisions de cette juridiction suprême.

Dans un communiqué publié par la ville d’Orléans, le maire fait part, étrangement, de sa « victoire morale ».

http://www.rue89.com/2011/10/08/la-cour-de-cassation-etend-le-droit-de-la-presse-aux-blogs-225347