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LE SAUVEUR SE SAUVE

par provola

Publie le jeudi 10 novembre 2011 par provola - Open-Publishing

L’épilogue d’une catastrophe prévue de longue date, la résultante d’une gabegie programmée, la fin de Berlusconi est l’agonie d’un pays qui aura cru détenir le Sauveur et qui devra en avaler toutes les couleuvres et les mortelles conséquences. Le Cavaliere au cheval cabré, aura été le voleur global, le menteur absolu, le violeur autorisé, le mal-élevé au dessus de toutes les lois, le faiseur de lois ad personam.

Sa chute n’a rien d’étonnant, elle était inscrite dans ses gênes, ce qui l’est plus, c’est la rapidité avec laquelle les événements se bousculent actuellement. Le spread, c’est à dire la différence entre les taux d’intérêts de la dette italienne par rapport aux taux de la dette allemande sont désormais de 500 points de base, soit 5 % plus élevés. Plus la botte se pare de bonnes intentions, moins les marchés lui font confiance et plus les taux augmentent. La course contre la montre est désormais lancée qui ne s’arrêtera qu’avec la mort clinique du patient.

Nous assistons à “la resa dei conti” comme disent les Italiens ,”nous en sommes au bout du compte”, au résultat mille fois annoncé d’une série noire, celle des coups fourrés du plus grand des truands, celui que l’illustre professeur d’économie Nouriel Roubini a nommé ” le vulgaire incapable”. Mais Roubini se trompe, ce n’est pas faire injure à cet économiste de renommée internationale que de lui rappeler que rien dans la tactique de Berlusconi ne laisse croire en une quelconque incapacité car le bouffon est loin d’être un imbécile, il est au contraire un remarquable bonimenteur de foire, un vendeur d’illusions en même temps qu’un distributeur de postes prestigieux et de libertés individuelles pour les copains.

Il est le Michelange de la voûte céleste du capitalisme, attaché à sa fresque Sixtine comme l’artiste au pinceau divin l’était sur son échafaudage génial.

Le petit farceur à la sauvette qui entama sa carrière sur un paquebot comme animateur de pacotilles, se transforma vite en redoutable exploiteur des temps modernes, en entrepreneur de grand vol, sorte de Francis Bouygues à la botte des clans, bénéficiant de ses amitiés haut placées, Craxi en l’occurrence (le socialiste délinquant, obligé jusqu’à sa mort de se réfugier en Tunisie pour échapper à la justice italienne ), alors 1er ministre, attribuant tous les grands projets à une entreprise de construction surfant sur ses cartes de visites.

Les relations troubles avec la mafia, en plus ou en même temps que l’appui du puissant homme d’état, permirent que la société de construction de Berlusconi s’adjuge les grands travaux de la nouvelle ville de Milan, puis se lance dans la télévision privée. Le fourbe se lança alors dans l’aventure des médias comme un vautour se jette sur ses carcasses.

Des jolies filles, plus dévêtues qu’intelligentes, des paillettes plus que de la réflexion, le succès de l’audimat participa de cette lobotomisation radicale de la société, sous la protection tacite de l’église, qui voyait en ce masque des mille une nuits un rempart contre les menaçantes troupes de gauche.

Berlusconi a coutume de dire : “il suffit que je mette une belle fille à l’antenne pour qu’elle devienne célèbre immédiatement et qu’elle endosse d’un coup une incroyable valeur marchande”

La femme à forte poitrine devint alors le produit phare, qui comme une action en bourse, prend de la valeur par la magie du petit écran, asservissant l’inconscient collectif de tout un peuple. La dérive people s’accomplit, le spumante coula à flot, la parade de minuit rassembla les cohortes de caddies ? Les chaînes de télévisions du magnat diffusèrent une petite musique enivrante :

“Chers téléspectateurs regardez ces belles cuisses, à quoi cela vous sert-il de penser à autres chose, à quoi bon vous paralyser l’esprit de choses sérieuses ?

Et le plus improbable se produisit, ce discours minimaliste toucha sa cible, la partie tendre du cortex du consommateur, cela hypnotisa les foules durant un quart de siècle. Les soubrettes occupèrent le champ politique, participant à la foire aux idées, la démocratie se mit à ressembler à une kermesse géante à une affaire trop compliquée pour un électorat conditionné à la sauce ketchup.

Berlusconi avait désormais les moyens armés de son intention finale : conquérir le pouvoir pour mettre à l’abri son empire.

La première mesure de son premier mandat de premier ministre fut de supprimer les droits de succession, ce qui devrait bénéfier en premier lieu à ses propres enfants, lui le détenteur de la trentième fortune mondiale ; la suite fut un déchaînement populiste basé sur une course folle à la suppression de tout type de taxation.

Cette rhétorique libérale, ce slogan “je supprime les impôts ” devait relancer la machine, redonner confiance aux riches qui dans un élan de mansuétude pour les petits citoyens, devaient se ruer dans une consommation effrénée, apte à ramener la croissance. N’entendez-vous pas derrière ce macabre présage, le ” je n’ai pas été élu pour augmenter les impôts” de De Funès ? Les impôts des riches bien sûr.

Bien évidemment, rien de tout cela ne se produisit, l’évasion devint la règle, la Suisse une destination, les déficits s’accumulèrent, les exilés fiscaux ne rentrèrent jamais, et l’État, devenu le dindon de la farce se trouva bien dépourvu, le jour venu, le jour du testament dernier.

Il ne reste que les décombres du royaume, de la farce, comme un air de fin du monde, du genre du monde d’après, dans Terminator. Le chevalier noir,désarçonné, a quitté la place, sa dernière volonté sera de placer sur le trône tremblant un sous-fifre, un Bernardo qui saura le moment venu planquer les casseroles qui ne manqueront pas de resurgir, comme un tocsin fatal.

Le cheval cabré a laissé la place aux vaches maigres.