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Le "Portoalegrisme", un risque ou une chance ?

Publie le mardi 1er février 2005 par Open-Publishing

Porto Alegre (Brésil),

envoyé spécial.

« Pour un socle commun de propositions du mouvement altermondialiste et de ruptures avec le néo-libéralisme au niveau international ». Présenté dans le programme comme organisé par ATTAC France - au sein de la direction de l’association, personne ne se souvient d’avoir fait une telle proposition, ni même d’en avoir entendu parler -, ce séminaire n’aura finalement pas eu lieu. À l’heure dite, samedi matin, sous la tente réservée pour l’occasion, une dizaine de participants au cinquième Forum social mondial (FSM) profitent du calme et de l’ombre. Un peu plus tard, dans la journée, autre espace, autre image : le thème « Un autre monde est possible sans prendre le pouvoir : de l’antimondialisation à l’altermondialisation » attire une foule compacte, venue écouter Michael Hardt, co-auteur d’Empire et de Multitudes avec Toni Negri, et John Holloway, philosophe anglais proche des zapatistes et auteur de Changer le monde sans prendre le pouvoir. Deux ou trois mille participants sont là : il y a tellement de monde qu’au bout de quelques minutes la salle est vidée de ses chaises. Sans heurts : nouveau miracle d’un événement qui supporte déjà de lourdes carences techniques ayant fait disparaître la traduction dans la plupart des débats.

Comment renforcer l’efficacité du FSM ?

Mais ça pourrait bien barder prochainement dans le mouvement et, en particulier, au sommet, dans les instances de coordination, entre les papes de l’altermondialisation eux-mêmes. Élaboration programmatique centralisée contre multiplication des rencontres horizontales, diffuses et non contraignantes ; logiques de prise du pouvoir ou dynamiques du contre-pouvoir : face à la préoccupation à peu près partagée par tous les acteurs du mouvement quant à l’efficacité du processus des forums, les solutions préconisées par les uns et les autres sont, en revanche, opposées, voire carrément contradictoires. Et entre ces options, au beau milieu d’un FSM qui doit s’achever ce lundi, le duel se déroule désormais à ciel ouvert, sans fleurets mouchetés.

Prenant l’exact contre-pied de Chico Whitaker pour qui les difficultés de Lula donnent raison au processus des forums tel qu’il est et illustrent le fait que le changement ne passe pas seulement par la prise de pouvoir (lire notre entretien dans l’Humanité du 26 janvier), François Houtart, du Centre tricontinental (Belgique), estime que « le Venezuela de Chavez démontre l’importance décisive du champ politique pour transformer le monde ». « C’est magnifique de discuter, de chanter, de danser, lance-t-il dans un débat du forum, mais ça ne suffira jamais si on veut le changement. Comment fera-t-on la réforme agraire si on ne prend pas le pouvoir ? Si un parti propose l’abolition de la dette, nous devons le soutenir ; s’il s’oppose à la guerre en Irak, nous devons le soutenir. »

Un manifestepour une rupture

Dans ce contexte de tensions sur la stratégie du mouvement, l’initiative surprise, lancée samedi soir devant la presse par Bernard Cassen et Ignacio Ramonet dans un hôtel luxueux de Porto Alegre, fait l’effet d’une bombe : résonnant singulièrement avec l’objet du séminaire fantôme d’ATTAC France, il s’agit d’un document de deux pages, intitulé « Manifeste de Porto Alegre : douze propositions pour un autre possible », signé par quelques-uns des plus grands noms du mouvement (entre autres, Aminata Traoré, Adolfo Pérez Esquivel, Eduardo Galeano, José Saramago, François Houtart, Boaventura de Sousa Santos, Riccardo Petrella, Ignacio Ramonet, Bernard Cassen, Samir Amin, Emir Sader, Walden Bello). Le « portoalegrisme », selon une expression d’Ignacio Ramonet, vient de naître : il prend la forme d’une base de « consensus » (à l’occasion du précédent FSM à Mumbai, Bernard Cassen avait proposé d’opposer au néo-libéral « consensus de Washington », un « consensus de Porto Alegre » altermondialiste) qui exige notamment l’annulation de la dette des pays du Sud, la mise en place de taxes internationales sur les transactions financières, le droit à l’emploi et à la protection sociale, la promotion du commerce équitable contre le libre-échange, la souveraineté alimentaire, l’interdiction du brevetage des connaissances et du vivant, la lutte contre les discriminations, etc. « Nous voulons donner un coup d’accélérateur vers une traduction politique de nos propositions, explique Bernard Cassen. On ne peut pas désespérer les gens qui attendent de nous des changements. »

« ce ne sont que de vieilles célébrités »

Tout porte à croire que cette initiative irritera les organisations syndicales, latino comme européennes, très attachées à l’identité des forums sociaux comme espaces ouverts sans prises de décision. Autre fait notable : parmi les concepteurs brésiliens des FSM, aucun, en dehors d’Emir Sader, n’a signé le manifeste du « portoalegrisme ». Hier, dans le journal du forum, Terraviva, l’un d’eux, sous couvert d’anonymat, a même eu cette saillie cruelle : « Les signataires ne sont que ces vieilles célébrités qui ne peuvent pas supporter de se fondre dans les masses qu’elles ont jadis guidées. »

Thomas Lemahieu