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Retour sur la commission d’enquête parlementaire sur la faillite de Dexia...

par Paul Jorion

Publie le dimanche 20 novembre 2011 par Paul Jorion - Open-Publishing

« VOTRE PROPOSITION DE PLAFONNER AU NIVEAU DU TAUX DE L’USURE LE TAUX DES CONTRATS DE PRÊT ABOUTIRAIT À LIMITER LA RÉMUNÉRATION DES CRÉANCIERS ET LEUR OCCASIONNERAIT DES PERTES », par zébu

Les commissions d’enquêtes parlementaires sont des outils parfois édifiants et surprenants.

Edifiants parce que les enquêtes parlementaires traitent d’objets très divers mais dont l’analyse permet de tirer parfois des enseignements importants pour la démocratie. Surprenants, lorsque ces mêmes enquêtes permettent, en sus de traiter de leur objet, de comprendre les mécanismes globaux dans lesquels les objets traités s’inscrivent.

C’est tout particulièrement le cas de la « Commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux », commission qui examine notamment, mais pas uniquement, le ‘cas Dexia’. Ces emprunts toxiques, c’est le cas de le dire, « pourrissent » la vie de nombreuses collectivités locales et la Commission d’enquête dirigée par Claude Bartolone (PS) avec l’aide du rapporteur (UMP) Jean-Pierre Gorges s’était fixée comme objectif premier de pouvoir rencontrer les différents acteurs concernés par ces produits financiers, dont on connaît maintenant grâce aux médias ,mais aussi plus précisément grâce à la Commission, la dangerosité et la perversité.

Cette commission a largement ouvert ses portes à ces acteurs, depuis les collectivités locales, petites comme grosses, avec des cas spécifiques (Saint-Etienne, Saint-Maur-des-Fossés) mais aussi un ancien préfet, un trésorier-payeur général, des anciens édiles et conseils de collectivités locales, des hôpitaux, des organismes de logement sociaux et dernièrement, des magistrats des Cours Régionales des Comptes. C’est cette dernière audition, ‘Comment évaluer l’encours des emprunts toxiques ?’, qui nous intéresse en l’occurrence, dont le titre ne laisse a priori rien présager d’autre qu’une exégèse quant aux modalités méthodologiques et statistiques, passées et en cours, sur l’identification par les magistrats en charge d’examiner les comptes des institutions locales de ce qui relèverait ou non de la toxicité pour les emprunts contractés par les collectivités locales (notamment) et du degré de toxicité, comme il y aurait une échelle d’intensité pour les tremblements de terre ou pour les accidents nucléaires.

Force est de constater qu’ils ont finalement assez peu parlé de l’objet de l’audition, prétexte sans doute à une invitation à échanger sur l’ensemble de l’objet, à savoir les emprunts toxiques, depuis leur point de vue on ne peut plus spécifique. Ce faisant, les dits magistrats ne se sont pas arrêtés en si bon chemin, tant et si bien que l’on a l’impression en lisant leurs dépositions de monter sur une échelle comme pour mieux identifier l’étendue des dégâts après un brusque événement naturel, que les différents décombres empêcheraient à la vue d’analyser. Et de là où est produit le discours des magistrats, on constate que leurs horizons sont plus étendus et même qu’ils livrent des éléments qui figurent de manière récurrente dans les colonnes du blog de Paul Jorion. Les lecteurs ne seront donc pas surpris par les paroles de ces acteurs, ils le seront sans doute plus par le fait qu’ils proviennent de magistrats de Cours Régionales des Comptes, comme ces banquiers qui s’en viennent en catimini révéler combien le système est à bout de souffle mais mezza voce. Sauf qu’en l’espèce, c’est en tant qu’audités et prêtant serment que ces mêmes magistrats viennent à dévoiler un certain nombre de choses sur le sujet de la Commission mais aussi sur le fonctionnement même des marchés financiers, des banques, les représentations que les institutions de la République ont des problématiques ainsi identifiées, auxquelles ils appartiennent aussi, nous permettant ainsi de savoir d’où provient le discours et pour quelles raisons il est ainsi produit. Plus largement, encore, c’est une confirmation très claire des thèses que Paul Jorion avance depuis plusieurs années déjà, bien qu’indirecte et involontaire par ces magistrats.

En premier lieu, la nature de ces emprunts est décrite : « Il est impossible de prédire l’avenir de ces produits : Comment va évoluer la parité entre l’euro et le franc suisse ? Quelle sera la forme de la courbe des taux dans les prochains mois ? Je ne suis pas en mesure de le savoir » (M. Alain Levionnois, président de la CRC Picardie). « Le fait que les responsables financiers et commerciaux des banques ne comprenaient parfois pas eux-mêmes les caractéristiques de ces produits nous a confirmés dans la conviction qu’ils posaient problème. » (M. Marc Larue, président de section à la CRC PACA).

Cette complexité ne date cependant pas d’hier puisque « Dès 2005-2006, nous avons attiré l’attention dans nos contrôles sur ces nouveaux produits et mis en garde les gestionnaires contre leur complexité et leurs risques » (id.), ce qui permet aussi d’identifier les responsabilités diverses des différents acteurs sur ce sujet, notamment des dits gestionnaires, à savoir les responsables financiers et les élus des collectivités locales, notamment : « Cette question renvoie d’ailleurs à celle du partage de la responsabilité. Ce n’est pas parce que l’on est incapable d’évaluer le risque lorsqu’on analyse un contrat d’emprunt, que l’on ne peut pas voir qu’il existe un risque dans cet emprunt. » (M. Martin Launay). Reste que comme le note Marc Larue, « La logique des emprunts structurés est d’échanger une bonification de taux à court terme contre un risque important. Le vice de départ de ces produits c’est le taux bonifié inférieur au marché qui a été affiché, et anesthésié la perception du risque ».

La cause de la création de tels produits financiers, si complexes, est clairement établie pour les magistrats des CRC : « Les prêteurs voulaient placer leurs produits, leur démarche était commerciale ; les stress-tests n’étaient pas adaptés et les prêteurs considéraient les risques comme inexistants lorsqu’ils ont proposé leur souscription. » (M. Alain Levionnois), confirmant par ailleurs la confiance des organismes de crédit dans leurs propres modèles. Pour M. Martin Launay, premier conseiller à la CRC Pays de la Loire, les choses sont plus précises encore : « Les raisons du développement des produits structurés sont à rechercher dans le souci des banques au début des années 2000 d’améliorer leur rentabilité alors que leurs marges sur les produits « classiques » proposés aux collectivités locales étaient très faibles, ce qui les a poussées à commercialiser des emprunts structurés, plus rémunérateurs pour elles. Aujourd’hui, ces produits structurés ne sont plus proposés en l’état par les banques en ce qui concerne les nouveaux prêts. »

Quel est donc l’avenir selon eux des collectivités locales qui ont contracté ces prêts ? « L’affaire Dexia est un sujet grave, qui conduit à s’interroger sur le coût de la ressource financière pour les collectivités à l’avenir, car on peut s’attendre à ce que les taux s’élèvent à l’avenir. Les marges bancaires ont déjà augmenté. De plus, le coût des ressources bancaires est majoré par le taux des CDS qu’elles doivent acheter pour garantir leurs prêteurs. Le marché interbancaire est aujourd’hui très dégradé. En outre, la mise en œuvre des dispositions sur les ratios de liquidité de l’accord de Bâle III va contribuer à majorer le coût du crédit. La dette des collectivités s’est à nouveau mise à augmenter, son coût va se renchérir » (dit en passant, on retrouve ici quelques thématiques abordées sur le blog : CDS, Bâle III, marché interbancaire, …)

Face à ce constat, les élus de la Commission leur posent donc à de multiples reprises (parfois de manière récurrente), la question des solutions existantes qui permettraient de sortir de cette nasse. Et face à ces questions, les réponses opérées sont intéressantes à plus d’un titre. En premier lieu parce qu’elles dressent la carte des possibles pour ces institutions : où l’on verra que cette carte est parfois des plus réduites. En second lieu parce que (cela ne surprend pas outre mesure) ces institutions de contrôle partagent nombre de représentations quant au fonctionnement du crédit, du marché financier et des banques. Enfin, parce que les solutions préconisées retracent a contrario les concepts définis sur ce blog, que ce soit sur la formation des prix ou sur les solutions proposées.

La première des solutions qui apparaît dans leurs propos est le provisionnement : « Le système de la provision, que la Cour a préconisé déjà trois fois, remédierait à cette faiblesse de la loi relative à la présentation des comptes des collectivités. Nous sommes conscients du fait que le principe du provisionnement obligatoire (réglementé) a soulevé des réticences. Par exemple, une première version de la réglementation M 14, apparue en 1996, prévoyait une provision pour différé d’amortissement applicable aux emprunts obligataires. Ce système a été abandonné en 2006 ; toutes les provisions réglementées ont été supprimées, et il ne reste plus que des provisions pour risques et charges. Il nous paraît utile de prévoir un complément au système actuel pour améliorer la fiabilité et la sincérité des comptes » (M. Alain Levionnois). Sauf que le dit système provoque effectivement quelques ‘réticences’ mais aussi quelques difficultés : « Je comprends l’intérêt de votre proposition de mettre en place des provisionnements pour prendre en compte les risques. Mais en comptabilité privée, il s’agit de provisionner le risque avéré et non hypothétique, quitte à l’ajuster en fonction de la réalisation de ce risque. Dans le cas des collectivités, comment mesurer ce risque ? » (M. Jean-Louis Gagnaire). D’autant que « Si on veut provisionner par rapport au risque de sortie, on aura une difficulté. Si on neutralise cet avantage par l’obligation de provisionner, on fait perdre l’intérêt de recourir à ces produits » (M. Marc Larue), ce qui évidemment n’est pas l’objet des prêteurs. Et « Si pour l’avenir, ce système aura un effet préventif, en dégradant immédiatement la qualité des comptes des collectivités concernées, il ne règle pas le passé » (M. Jean-Louis Gagnaire).

Reste alors la solution de la soulte de sortie (somme d’argent à payer pour réaliser une sortie anticipée). Sauf que « La soulte, comme le problème du stock de dette, est effectivement un obstacle difficilement surmontable pour les collectivités ayant déjà souscrit des emprunts structurés. Il n’y a pas, à cet égard, de solution miracle (M. Martin Launay) car « Une question essentielle est celle de la soulte demandée pour sortir de ces prêts : on ne connaît pas sa valeur a priori, qui est réactualisée en permanence. » (M. Jean-Louis Gagnaire). ‘Valeur’, ‘a priori’ : des termes qui là encore permettent d’appréhender les modes de calcul issus du monde financier au travers du concept de la valeur. Enfin, la dite soulte est le plus souvent prohibitive, surtout pour les petites collectivités, soulte par ailleurs indexée sur les contrats vendus par Dexia à ses banques partenaires, étrangères le plus souvent et qui font payer le prix fort pour pouvoir sortir de ces contrats.

L’autre solution est elle, bien connue depuis plus de 3 ans maintenant : celle de donner du temps au temps, dans l’espoir qu’un jour de meilleurs configurations naîtront d’elles-mêmes du ventre fécond des marchés : « Si la collectivité a souscrit certains produits assis sur le cours du yen ou du franc suisse, il est possible d’aménager cette dette pour limiter les frais financiers pendant un ou deux ans, en espérant que le marché s’améliore. (…) Cela pourrait permettre aux collectivités d’attendre et de saisir les opportunités qui se présenteraient pour sortir de certains produits, alors qu’aujourd’hui le risque joue à plein. » (M. Marc Larue). C’est donc pour cette raison (raison reprise d’ailleurs instantanément par le gouvernement pour justifier récemment sa réponse) que « Le rapport ne propose pas une structure de défaisance, mais il nous semble possible d’améliorer le traitement actuel, un peu artisanal, de l’encours de dette toxique, étant entendu que les collectivités les plus importantes ne sont pas celles qui en ont le plus besoin. (…) Il est donc possible à nos yeux d’améliorer la gestion actuelle du risque sans avoir besoin de créer une structure de défaisance » (id.), structure réclamée depuis longtemps par de nombreuses collectivités fortement touchée par ces emprunts toxiques. Il est vrai que si les collectivités locales étaient un peu moins artisanales dans leurs gestions, le risque serait alors mieux géré …

Mais si l’espoir fait vivre, il y a tout lieu de penser pour ces magistrats que cela restera insuffisant. Dès lors, ils proposent d’agir… sur la formation du prix, en regroupant les acteurs concernés, soutenus en cela par les membres eux-mêmes de la Commission : « J’ai le sentiment qu’elle est calculée à la tête du client, en fonction de la capacité à négocier des petites communes ou des établissements hospitaliers qui eux, avaient un réseau à leur appui » (M. Jean-Louis Gagnaire). Propos confirmés par M. Christian Chapard, premier conseiller à la CRC du Nord-Pas-de-Calais : « Il faudrait aussi inverser le rapport de force avec les établissements bancaires afin d’être en mesure de renégocier dans de bonnes conditions. ». Mais « Au terme des négociations, il demeurera un volant incompressible d’emprunts structurés. Les collectivités territoriales concernées souhaitent pouvoir transférer ces encours vers une structure de mutualisation qui serait en position de négocier avec les banques, à charge pour elles de rembourser leur quote-part de capital et d’intérêts. C’est un modèle assez différent de celui de la bad bank de Dexia », confirme le même membre de la Commission (M. Gagnaire). Plus largement, on notera que dans toutes ces interventions, on définit tout simplement ce que le concept de formation du prix a pu définir avec l’interprétation de Paul Jorion, quant au fait que c’est, dans un contexte défavorable à l’acheteur, le statut social de celui-ci qui permet de négocier le prix avec le vendeur plus favorablement, plutôt que l’offre et la demande de crédit. Ou le concept de formation des prix explicité dans ce cas par l’existence de rapports de force sociaux entre les banques et les collectivités locales …

La ‘négociabilité’ ainsi regagnée doit néanmoins servir un objectif : permettre aux collectivités de rembourser leurs prêts. « L’expression « renégociation d’emprunt » prête à confusion. Elle est souvent comprise de travers, faisant croire qu’il est possible d’alléger la charge d’un emprunt, alors qu’il s’agit d’un reprofilage, d’un agencement différent d’une dette qui reste la même. Le premier rapport public particulier de la Cour des comptes avait attiré l’attention sur ce point dès 1991, et ces phénomènes y sont très bien expliqués. En pratique, l’emploi de ce terme par les professionnels devrait être banni. Et si cela avait un sens, on pourrait même souhaiter qu’il soit interdit par la loi. » (M. Alain Levionnois). « On peut certes allonger les durées de remboursement, mais on ne peut penser que l’on fera des économies. » : les choses vont mieux en le disant … mais ne répondent pas vraiment aux problèmes des collectivités, qui de toute évidence, ne pourront pas rembourser leurs prêts, même avec un ‘reprofilage’ de ceux-ci.

Reste alors la diversification des prêts « (…) mais la période actuelle se caractérise par une pénurie d’offres de prêts. Comment diversifier l’offre de prêt dans ses conditions ? Les grandes collectivités pourraient s’adresser au marché obligataire, comme auparavant, libérant capacités de financement pour les collectivités plus petites, mais l’audition du gouverneur de la Banque de France par la commission des Finances a montré que cette raréfaction de l’offre de prêt n’a pas été encore correctement appréhendée » (M. Jean-Louis Gagnaire). Au passage, nous sommes heureux d’apprendre que la Banque de France n’appréhende que très moyennement le phénomène de raréfaction de l’offre de crédit …

Alors, que faire ?

Restent les solutions, disons, plus ‘fermes’ et diversement ‘appréciées’ par les magistrats mais aussi bien par les membres parlementaires de la Commission.

Limiter les taux d’intérêt au taux d’usure (ce qui est le minimum acceptable pour les particuliers) mais cette mesure aurait de multiples désavantages dont, rien moins, que de mettre en péril tout le secteur bancaire : « J’ajoute que votre proposition de plafonner au niveau de l’usure le taux des contrats de prêts en cours aboutirait à limiter la rémunération des créanciers et leur occasionnerait des pertes en raison du fait que les banques retournent les positions pour neutraliser le risque dans leur bilan et doivent se refinancer. » (M. Martin Launay, premier conseiller à la CRC Pays de la Loire). Il faut effectivement le lire pour le croire : ‘aboutirait à limiter la rémunération des créanciers et leur occasionnerait des pertes’ ! ‘Capons’ donc les taux d’intérêt, en lieu et place de les limiter à l’usure, même largement. Mais « L’idée de caper les taux par la loi se heurte peut-être à un problème de constitutionnalité ; il faudrait l’étudier ; cela aurait en tout cas des conséquences importantes sur le marché financier, qui ne le supporterait sans doute pas » (M. Alain Levionnois) ! Si ce n’est par la constitutionnalité de cette proposition (atteinte à la propriété privée, droit fondamental reconnu par la Constitution et les Droits de l’Homme !), il faut bien se garder néanmoins, sous condition de constitutionnalité, que celle-ci ne vienne tout simplement là encore faire s’effondrer un marché ‘qui ne le supporterait sans doute pas’, si faible qu’il est actuellement.

A supposer donc que le marché puisse le supporter, il sera nécessaire de démontrer que la notion d’’intérêt général puisse se faire prévaloir dans ces contrats privés, tant il est vrai que la Constitution, malheureusement, reconnaît néanmoins comme supérieur au principe de propriété privée celui de l’intérêt général (bien que fortement borné, Dieu soit loué !). « Les contrats de prêts des collectivités ne sont pas des contrats relevant du droit administratif, domaine dans lequel l’autorité publique peut, lorsqu’un motif d’intérêt général le justifie, résilier unilatéralement le contrat sous réserve de dédommagements. Si l’on s’inspirait de cette idée pour encadrer les conditions de l’offre de prêt, dans le cadre du droit privé, l’opération serait déséquilibrée, ce qui découragerait les banques de prêter, ou bien elles se prémuniraient en facturant leur manque à gagner éventuel d’une autre manière ». Et forcément, « On ne voit pas là de solution », quand on ne veut pas en voir. « (…) c’est pourquoi la règle de la provision présente des avantages. ». « Par ailleurs, pour le juge judiciaire, le contrat fait loi entre les parties et l’intérêt général n’y a guère sa place » (M. Alain Levionnois).

Et les magistrats d’apporter néanmoins UNE solution, qui leur semblerait réalisable : le contrôle de légalité a posteriori. « S’agissant de la réaction des autres instances de contrôle et notamment du rôle joué par le contrôle de légalité et les comptables publics, nous abordons dans notre rapport le problème posé par les contradictions des textes applicables en ce qui concerne les documents à produire au contrôle de légalité en matière d’emprunts. De notre point de vue, même si le contrat de prêt est un contrat privé, il nous semble qu’il devrait être transmis obligatoirement au contrôle de légalité » (M. Marc Larue, président de section à la CRC PACA). N’ayant donc point peur de se contredire éventuellement et nonobstant l’opposabilité constitutionnelle, les magistrats affirment : « La complexité ne se justifie pas. Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales n’empêche pas que le législateur contrôle et encadre les conditions d’exercice de cette liberté locale. La jurisprudence du Conseil constitutionnel l’a réaffirmé à de nombreuses reprises : ainsi, sa décision relative à la loi du 2 mars 1982 avait partiellement censuré le texte adopté car il prévoyait que certains actes des collectivités territoriales seraient exécutoires de plein droit. À la suite de cette décision, il a été précisé que les actes seraient exécutoires après publication et transmission au préfet. Il y a donc une place pour le contrôle » (M. Alain Levionnois). Ce faisant par ailleurs là encore, le magistrat délivre un message assez clair sur l’argutie trouvée par le gouvernement pour ne point créer de structure de défaisance de se retrancher derrière la libre administration des collectivités locales, garantie par la Constitution. Décidément, la Constitution a beaucoup à voir avec les emprunts structurés …

Et le même magistrat d’enchaîner ensuite, d’un contrôle de légalité à une législation, qui « (…) pourrait interdire les produits à effet de levier et assis sur des indices hors zone euro. Nous l’avons écrit et nous le confirmons. ». Sauf que plus loin, il admet volontiers que « La question d’une éventuelle interdiction de certains types d’emprunts pose de multiples difficultés. ». Insurmontables, forcément.

Lesquelles, en l’occurrence ? « Je reviens sur l’interdiction des produits structurés. (…) Cependant, la créativité des banques n’a pas ralenti pour autant. Il me semble donc inopérant d’interdire dans la loi certains types de produits risqués qui ne sont plus commercialisés et encore moins d’interdire ceux qui pourraient apparaître dans le futur, le législateur ne pouvant être aussi réactif que les financiers sont créatifs » (M. Martin Launay, premier conseiller à la CRC Pays de la Loire).

La créativité, c’était donc cela ! Les financiers, créatifs par nature, auront donc toujours un ‘coup d’avance’ par rapport au législateur : il ne sert donc à rien d’interdire. Tout au plus, réguler par un contrôle, a posteriori, de légalité, mais de laquelle, on se demande bien.

Nonobstant donc d’avoir pu identifier tous les artefacts langagiers qu’utilisent à longueur de temps les thuriféraires de l’ordre établi et du respect du rapport de force en faveur des financiers, ces créatifs incompris, on peut aussi y lire tous les mécanismes mis à nu par ces mêmes discours sur les marchés financiers en question mais aussi de leurs (apparemment) énormes faiblesses actuelles, qui feraient qu’elles ne supporteraient pas une seule régulation supplémentaire : ce serait folie pure … Quant à interdire, vous n’y pensez pas.

Sauf que justement, c’est bien en creux de cette explicitation de haute-voltige et très artistique que nous donnent ces magistrats que l’on peut déceler aisément toute la nécessité d’une des propositions de Paul Jorion, à savoir justement celle de prendre de vitesse définitivement ces financiers si productifs, tel le neutrino doublant la lumière : interdire les paris sur les fluctuations des prix. De cette sorte, les magistrats n’auront alors plus le loisir de s’inquiéter de la capacité du législateur à pallier son indéfectible retard (inné, en fait) qu’il aura toujours sur le financier : pourquoi dès lors créer des fluctuations si les paris sur ceux-ci sont interdits ? Et ce sera la fin de la ‘créativité’ financière, d’elle-même. Ce qui permettra du même coup de ne réaliser que les solutions préconisées par les mêmes magistrats, à savoir le contrôle de légalité sur les collectivités locales concernant les emprunts contractés.

Plus avant, et entre-temps (c’est en cours), on pourra même réintroduire tranquillement l’intérêt général dans le crédit délivré aux collectivités locales, en faisant qu’il redevienne public : « Les contrats de prêts des collectivités ne sont pas des contrats relevant du droit administratif, domaine dans lequel l’autorité publique peut, lorsqu’un motif d’intérêt général le justifie, résilier unilatéralement le contrat sous réserve de dédommagements. » Etrangement, avec les institutions créées après la crise de Dexia, on finira donc par relever du droit administratif … mais toujours avec les mêmes magistrats.

Ces auditions montrent combien les commissions d’enquête parlementaires sont pleines d’enseignements. Sur les discours qui y sont tenus, révélant combien les membres des différentes institutions, chargées de contrôler les financiers ou leurs effets, que ce soit certains magistrats des CRC ou certains parlementaires, partagent leurs discours. Ils en partagent les mêmes codes et les mêmes (fausses) peurs mais aussi les mêmes limitations. Il apparaît ainsi clairement qu’outre ceux qui honnêtement cherchent à définir des (nouvelles) issues de secours, quel que soit d’ailleurs leur bord politique, le salut ne viendra point de ceux qui gardent les portes de sortie actuelles. Reste que l’on ne pourra quand même pas ne pas souligner le fait que ces mêmes magistrats, qui partagent tant et si bien les représentations du monde financier, ont fait partie dès 2005 de ceux qui ont averti de la ‘complexité’ de ces produits et plus largement, de cette finance qui produira 2 ans plus tard la crise que nous connaissons actuellement. Et que ces mêmes magistrats ont aussi averti les édiles des dérives qu’ils risquaient d’encourir, et que certains ont néanmoins encourus, informés comme non informés. Les responsabilités sont donc partagées.

Si celles-ci doivent être recherchées, cette recherche ne peut donc faire office de solution à elle seule, que ce soit pour les emprunts toxiques comme pour la grande perdition dans son ensemble.

La solution pourrait sans doute se lire dans la trame du fil cousu main que ces hommes ont dressé pour protéger le cadre, leur cadre, actuel : la véracité du concept de la formation des prix tel que décrit par Aristote et prolongé par Paul Jorion au travers des phénomènes décrits, soit comme causes, soient comme solutions et la nécessité de l’interdiction des paris sur les fluctuations des prix, a reverso de ce qu’ils en décrivent sur le sujet.

http://www.pauljorion.com/blog/?p=31192