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Trois questions à Gérard Filoche sur la loi Ump contre les 35 h, pour le Nouvel obs.

Publie le jeudi 3 février 2005 par Open-Publishing
2 commentaires

de Gérard Filoche

1. En quoi, cette proposition de loi est un recul pour les travailleurs, sachant qu’ils pourront choisir de travailler plus ?

Il s’agit en fait d’être contraint de travailler plus en gagnant moins (et en vivant plus mal).
Quel était “le droit” avant cette proposition de loi Ump acceptée par M. Larcher et le gouvernement ? La durée légale était à 35 h, mais la durée maxima était restée à 48 h hebdomadaire. Il y avait donc place pour 13 heures supplémentaires qui étaient majorées avec des taux variables !
Le gouvernement ne touche pas aux 35 h légales mais pousse à augmenter le nombre d’heures supp entre 35 et 48 h les faisant payer moins cher.
- entre 35 et 39 h, dans les entreprises de moins de vingt salariés, la majoration était limitée à 10 % provisoirement jusqu’en 2005.
- entre 39 et 43 h, la majoration était de de 25 % avec un repos compensateur de 50 % à partir de la 42° heure,
- entre la 44° et la 48° heure, la majoration était de 50 % avec un repos compensateur de 50 %
- Au-delà il y avait, pour limiter les abus d’heures supp’ (qui nuisent à la santé et à l’emploi) un contingent annuel de 130 h autorisées. Abaissé même à 91 h dans la métallurgie, par voie contractuelle en 1996, ce contingent a hélas augmenté, de 130 h à 180 h dans les petites entreprises (y compris sous la gauche).
- Au-delà du contingent annuel, qui pouvait être dépassé avec une autorisation préalable de l’inspection du travail, chaque heure était sur-majorée de 100 % de repos compensateur (dans les entreprises de plus de 10 salariés).

La proposition de loi Ump discutée au Parlement et acceptée par M. Larcher augmente ce contingent à... 220 h (avec droit de négocier au-delà, ce qui fait, dans la poissonnerie... 230 h). Les heures entre 130 h, puis 180 h puis 220 h ne seront donc plus majorées à 100 % ce qui est une perte de salaire sèche pour ceux qui étaient ou seront soumis à ces heures.
L’Ump prolonge la majoration de 10 % pour les heures comprises entre 35 et 39 h jusqu’en 2008 ce qui est une autre perte sèche de salaire... Cela pose un problème car le conseil constitutionnel n’avait accepté, en 2000, cette inégalité de traitement que de façon provisoire jusqu’en 2005 !
Enfin le gouvernement permet de racheter les jours de congé et les Rtt placées dans les “compte épargne-temps” mais au taux en usage : ce qui fait des heures supplémentaires, en fait, à taux zéro.
L’effet de tout cela est un recul de salaire net.
Et du chômage, car si toutes ces heures supp’ sont effectuées, il y aura autant d’embauches en moins.
En plus, les salariés ne “choisiront” rien, car ils sont, par leur contrat de travail, « subordonnés » juridiquement et c’est l’employeur, seul, qui décide. Donc, la notion “d’heures supplémentaires choisies” est totalement mensongère (autant que “l’opt out” britannique actuellement en discussion dans une directive européenne).

2. Ne peut-on pas compter sur la barrière des accords de branche pour éviter que les salariés ne "subissent" les changements et puis surtout, les chefs d’entreprise disent eux -mêmes qu’ils ne veulent pas revenir sur des 35 h qu’ils ont peiné à mettre en place (et les arrangent souvent...)

L’immense majorité des chefs d’entreprise, (66 %) déclare volontiers que les heures supp’ sont la seule solution pour eux, en matière de flexibilité de la durée du travail. Il les apprécient car elles sont de leur seul ressort et ils ne sont pas obligés de signer avec un syndicat contrairement à tout ce qui concerne une annualisation, les modulations, les compte épargne temps, etc.. .
En vérité, tant que certains effets de la loi resteront soumis à des “accords” avec les syndicats, il peut y avoir un frein à l’usage des CET, et aux modulations.
Mais l’autre problème réel, c’est qu’il y a actuellement des centaines de millions d’heures supplémentaires non majorées, voire totalement impayées et dissimulées... La durée réelle dans les petites et moyennes entreprises est plus proche de 40, 45, ou 50 h quand ce n’est pas plus : il n’y a pas assez de contrôles ! La loi Borloo vient de déduire le temps de transport imposé par l’employeur du temps de travail effectif rémunéré. Il y a encore des “équivalences” dans la restauration. Les temps d’astreintes ne sont plus payés... Autant de dépassements de la durée du travail avec perte de salaires...

3. Alors que faut-il faire pour ces 18 % de salariés (sondage du JDD) qui souhaitent pouvoir travailler plus pour gagner plus ?

Ils sont vraiment une minorité... Il faut les protéger contre eux-mêmes : les durées du travail relèvent de l’ordre public social, ces lois sont faites pour protéger la santé et l’emploi. Le progrès, c’est de travailler moins en gagnant plus, pas l’inverse. La France n’a jamais été aussi riche et aussi productive, les actionnaires n’ont jamais fait tant de profits, il est temps de redistribuer les richesses produites par le travail, pourquoi retourner au 19 ° siècle ?

Gérard Filoche, membre du Bn du Ps (auteur de “carnets d’un inspecteur du travail” Ramsay 2004 et de “on achève bien les inspecteurs du travail”, ed JC Gawsevitch, déc. 2004)

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