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Sarkozy à la télévision : 4 chaînes et pas un journaliste de gauche pour l’interroger ?

par Bruno Roger-Petit

Publie le jeudi 26 janvier 2012 par Bruno Roger-Petit - Open-Publishing
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LE PLUS. Nicolas Sarkozy répondra dimanche 29 janvier pendant une heure aux questions des journalistes sur TF1, France 2, iTélé, BFMTV et LCI. Il sera interrogé par quatre journalistes, dont trois au moins sont proches de lui sur les plans politique, économique et social. Est-ce digne de la démocratie française ?

Cerné de toutes parts par une presse hostile et acquise à la gauche (si l’on en croit Eric Brunet de RMC et quelques autres), Nicolas Sarkozy, courageusement, disposera de l’antenne de quatre chaînes de télévision pour se défendre, dimanche. Enfin !

TF1, France 2, BFM TV et I Télé accueilleront sur leurs ondes numériques hertziennes un homme sans défense, au bord du gouffre de l’ingratitude nationale, désintéressé mais combatif, tenace et obstiné, décidé à défier un univers médiatique hostile.

Le storytelling élyséen

Un mot d’abord sur le double storytelling élyséen de ce début de semaine. Mardi, le Président était hanté par l’idée de la défaite au cas où il serait amené à se représenter devant les Français. Il en était réduit à envisager son avenir hors politique. Disparaître. Travailler moins pour gagner plus.

Un président désintéressé, qui avait été habité, tout au long de son mandat, par le seul souci du bien public, impopulaire car courageux, finalement victime de l’ingratitude d’un peuple français versatile par nature, comme tant d’autres avant lui. Venise ? La plage irlandaise ? Longwood ? On se demandait où serait immortalisée la dernière image de Nicolas Sarkozy avant que l’on entende plus parler de lui.

L’idée était osée. Il lui fallait sans doute du temps pour s’imposer dans l’opinion. Mais c’était sans compter avec les stratèges de la campagne Sarkozy 2012. A peine levé ce mercredi matin, voici que sur toutes les radios, via Brice Hortefeux sur RTL, Jean-Pierre Raffarin sur Europe 1, voici que l’on nous vendait un Sarkozy requinqué, déterminé, combatif, tenace et surtout humble, à cent mille lieues du Sarkozy abattu de la veille. Le sens du devoir et "l’humilité" avait redonné, en moins de 24 heures, le goût du combat et l’esprit de détermination au mort vivant de la veille.

Les propos présidentiels sont "une marque d’humilité" a répété ce mercredi matin Brice Hortefeux sur RTL, "mais aussi un témoignage de vérité. (...) il y a chez Nicolas Sarkozy, n’en doutez pas une seule seconde, toujours cette envie, cette passion, cette détermination à agir".

Et Jean-Pierre Raffarin, sur Europe 1, en a rajouté : c’est "la guerre psychologique (...) Il s’agit de démoraliser l’adversaire. Mais j’ai vu Nicolas Sarkozy deux fois hier. Il est en forme, il est serein, il réfléchit, il consulte".

Dans ce contexte, les partisans du "Président désormais seul contre tous", donnent rendez-vous aux Français dimanche soir. Là, sur quatre chaînes à la fois (du jamais vu ?) le président pas encore candidat montrera ce qu’il en est de son humilité et de sa détermination. Désormais encerclé, ainsi que l’on nous le raconte aujourd’hui, il affrontera ses nombreux adversaires dimanche soir.

La narration sarkozyste

Le problème, c’est que le dispositif de l’émission contredit la belle narration sarkozyste. Ce soir-là, l’émission sera diffusée sur quatre chaines en même temps. Pour un président empreint d’humilité, désarmé, encerclé, c’est une belle performance.

En outre, Nicolas Sarkozy sera interrogé par Claire Chazal de TF1, Laurent Delahousse de France 2, Jean-Marc Sylvestre d’I Télé et François Lenglet de BFM TV.

L’on serait bien en peine de qualifier les inclinations politiques de l’un des ces quatre mousquetaires du journalisme audiovisuel (je vous laisse le soin de l’identifier). En revanche, trois d’entre eux, et ils ne s’en cachent pas, sont des personnalités bien connues pour être des tenants du conservatisme politique le plus orthodoxe, et sont des libéraux, voire ultra-libéraux sur le plan économique et social (pour tout vous avouer, j’ai même travaillé avec l’une des personnalités, il y bien des années, et elle m’expliquait sans rire que les congés payés de 36 étaient la cause initiale de tous les déboires économiques français du dernier siècle...).

Problème démocratique

De près ou de loin, dimanche soir, Nicolas Sarkozy sera donc interrogé par trois journalistes (sur quatre) qui sont plus ou moins de sa famille politique. Est-ce normal ? Est-ce acceptable ? Est-ce digne ? Est-ce républicain ?

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici de dénier aux intéressés toute compétence et tout droit à interviewer le président de la République dans le cadre d’une émission de télévision multidiffusée. Loin de nous cette idée. En revanche, le caractère monocolore et monopolistique de l’émission en question pose comme un léger problème démocratique.

N’y avait-il pas moyen de glisser dans cette émission au moins un interlocuteur, clairement identifié et identifiable, un peu moins à droite, un peu moins libéral, un peu moins orthodoxe, un plus plus social, un peu plus keynésien, un peu plus social-démocrate, bref un petit peu plus à gauche ?

Pour aller droit au but : est-il acceptable que le président de la République, à trois mois d’une élection présidentielle, réquisitionne selon son bon plaisir quatre chaînes de télévision et se fasse interviewer par trois journalistes (sur quatre) qui partagent plus que largement ses conceptions politiques, économiques et sociales ?

Aux États-Unis, et de manière générale dans tous les pays anglo-saxons, inflexibles sur les questions d’indépendance de la presse audiovisuelle, on se moque de ces pratiques françaises d’autant plus facilement qu’elles n’y ont jamais eu cours.

L’ironie de l’histoire, c’est qu’un tel dispositif de complaisance dessert probablement plus Nicolas Sarkozy qu’il ne le sert aux yeux de l’opinion. "Je ne suis pas un dictateur" aurait déclaré Nicolas Sarkozy au cours de sa séance d’auto-flagellation, source de bien des commentaires. Non, sans doute pas. Mais il n’a pas dit que cette confession valait pour son usage personnel de la télévision.

Certains lecteurs doués pour la polémique et par ailleurs Twittos confirmés, m’ont interpellé sur le concept de "journaliste de gauche". On se permettra de leur signaler que Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP le sait, lui : selon lui, un journaliste tenace serait forcément de gauche.

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/311796-sarkozy-a-la-television-4-chaines-et-pas-un-journaliste-de-gauche-pour-l-interroger.html

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