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TGV Lyon-Turin : des "flash mob" dans tout le pays

par Maurizio Tropeano

Publie le lundi 5 mars 2012 par Maurizio Tropeano - Open-Publishing

Deux jours après le grave accident d’un opposant au chantier d’extension pour le TGV Lyon-Turin dans le Val de Suse (Piémont), la mobilisation de la population s’étend, dans la région mais aussi dans toute l’Italie. Et la tension risque encore de monter, prévient le journal turinois.

Résister, résister, résister. D’abord sur l’autoroute en direction de la France, où le blocus devrait se poursuivre sans relâche jour et nuit, mais pas seulement. Mardi soir, le blocage du périphérique de Turin à l’heure de pointe n’était qu’une répétition générale de ce que l’Italie pourrait connaître dans les prochains jours. "Nous lancerons des actions à l’improviste qui rendront la vie dure à tous ceux qui nous considèrent comme un parc d’attractions ou comme des Indiens à écraser", a déclaré Alberto Perino, l’un des leaders du mouvement qui s’est regroupé sous le viaduc de l’autoroute à Chanoux [à une vingtaine de kilomètres de Chaumont, dans le Piémont, où devait débuter le chantier d’extension du tunnel Lyon-Turin].

Des flash mob donc, et des actions improvisées comme celle organisée par une dizaine de jeunes qui ont bloqué un TGV à Lecce [dans les Pouilles] pendant une demi-heure, ou encore celle qui s’est déroulée sur la route nationale 23, qui mène à la station de ski Sestrières, dans le Piémont. Mais le cœur de la protestation reste dans le Val de Suse. Là, le mouvement ne faiblit pas. Il n’est donc pas étonnant de voir des sites Internet relayer depuis mardi matin l’appel suivant : "Il nous faut des personnes à Chanoux pour remplacer ceux qui ont besoin de se reposer."

En effet, les blocus routiers rassemblent jusqu’à 300 participants à certaines heures, et seulement 20 à d’autres. "Nous devons nous organiser pour être suffisamment nombreux tout au long de la journée" parce qu’il s’agit "de l’occupation la plus longue que nous ayons jamais faite", précise Perino. Autre dirigeant historique du mouvement, Nicoletta Dosio a été claire : "Ils ont beau avoir des armes, nous sommes déterminés. A présent, nous devons nous organiser et instaurer des tours de garde." Ainsi, les plus âgés sont invités à "passer la journée au sit-in de Bussolin pendant que les jeunes étudient ou travaillent."

Malaise généralisé

Pour l’instant, les rotations sont assurées par les habitants du Val de Suse et les Turinois, mais certains viennent même de Rome ou d’autres régions. "Nous avons l’intention de résister, ici dans la vallée, et nous nous sommes organisés pour y arriver, a lancé Luigi Casel. Pour nous, il est essentiel que le mécontentement résonne dans toute l’Italie." L’interprétation de ce mouvement est limpide : "Comme le prouvent les mobilisations dans toute la péninsule, le Val de Suse traduit le malaise qui règne dans ce pays. Nous allons stimuler la réflexion en Italie pour une meilleure qualité de vie."

Sur Facebook et Twitter, cette mobilisation trouve même écho à Budapest, Barcelone, et dans d’autres villes européennes. Les revendications sont simples : suspendre les opérations sur le chantier. Une demande formulée mercredi matin par les maires de centre gauche accompagnés de Sandro Plano, président de la Communauté de montagne (Parti démocrate), lors de leur réunion avec le préfet de Turin, Alberto Di Pace, avec le soutien de plusieurs partis de centre gauche tels que le SEL (Gauche Ecologie Liberté) ou encore le maire de Naples, Luigi De Magistris. L’humoriste Beppe Grillo a également fait part de son soutien lundi sur son blog : "Truc de malade ! Mais à qui ça sert, ces trucs-là ? J’aimerais comprendre ce qui se cache derrière ce système ! Même un gamin comprendrait qu’un tunnel de 50 km sous une montagne ne sert à rien pour le TGV."

Cette revendication pourrait également être relancée par une manifestation nationale contre les grands chantiers. Dans les blocus, on en parle et on s’y prépare peut-être, mais pour l’instant ce n’est pas à l’ordre du jour, à en croire les leaders du mouvement. Mais ces rassemblements servent avant tout à attirer l’attention des médias. Mercredi soir, par exemple, devant la cathédrale de Suse, les opposants catholiques au TGV organisent un moment de prière pour Luca Abbà, le militant tombé d’un pylône lundi 27 février après s’être électrocuté et qui est toujours entre la vie et la mort à l’hôpital de Turin. La prière s’adressera également "à tous les militants détenus en prison".

CONTEXTE Un débat de société

Autoroutes bloquées, trains à l’arrêt, heurts avec les forces de l’ordre, depuis quelques jours la protestation s’intensifie dans le Val de Suse, en Italie, à quelques kilomètres de la frontière française. "Vingt ans de heurts et de polémiques pour 13 kilomètres de tunnel", écrit La Repubblica, qui rappelle que la protestation contre le chantier du tunnel du Lyon-Turin remonte aux premières heures du projet en 1989.

Un projet rejeté essentiellement parce qu’il est jugé "inutile et coûteux" et parce qu’il mettrait en danger l’environnement dans cette étroite vallée. "La discussion technique sur le tunnel est devenu, en Italie, l’épicentre d’un affrontement idéologique parmi les plus forts depuis la fin des idéologies (...).

Ce qui était né, au début des années 1990, comme une protestation locale pour défendre la vallée (...) est devenu un débat de société", analyse le quotidien de gauche. Le TGV, dont le coût total est estimé à près de 20 milliards d’euros, doit permettre de raccourcir le trajet Paris-Milan à un peu plus de quatre heures, contre sept actuellement, et celui Lyon-Turin à moins de deux heures contre plus de quatre aujourd’hui.

Projet stratégique pour le réseau européen, il devrait ainsi permettre de libérer la route de 700.000 camions par an. La fin du chantier est prévue en 2023.

http://www.courrierinternational.com/article/2012/02/29/tgv-lyon-turin-des-flash-mob-dans-tout-le-pays