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BOLKESTEIN : LA DIRECTION DU PS TROMPE LES FRANÇAIS

Publie le jeudi 3 mars 2005 par Open-Publishing

de Raoul Marc JENNAR

Un texte de la direction du PS est intitulé "Pourquoi le traité est un
rempart contre les dérives libérales type Bolkestein ?
" Une fois de
plus, cet argumentaire est un outil de désinformation. Il est destiné à
tromper.

La direction du PS affirme que « la directive Bolkestein contredit,
notamment, l’article I-3 qui prévoit que : « l’Union œuvre pour...une
économie sociale de marché qui tend au plein emploi et au progrès
social.un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de
l’environnement...Elle promeut la justice et la protection sociales ».

Ce que la direction passe sous silence c’est ce que dit l’article 177 :
« Aux fins de l’article I-3, l’action des Etats membres et de l’Union
comporte l’instauration d’une politique économique (...) conduite
conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où
la concurrence est libre. » A 68 reprises dans le traité
constitutionnel, le plein emploi, le progrès social, la justice et la
protection sociales sont soumis au « respect d’une économie de marché
ouverte ou la concurrence est libre et non faussée . » C’est-à-dire non
pas à une économie de marché comme nous l’avons connue depuis la
Libération, limitée, encadrée, conditionnée, mais une économie de
marché néolibérale, une économie où l’Etat est réduit à des fonctions
sécuritaires (article 5), une économie où la concurrence n’est plus
limitée par des droits sociaux, par des obligations fiscales, par des
contraintes environnementales, par des choix politiques légitimes. Une
économie de marché sur le modèle des accords de l’OMC. A l’opposé du
modèle européen.

La direction du PS cite l’article III-209 de la manière suivante :
« L’Union et ses Etats, conscients des droits sociaux fondamentaux ...
ont pour objectifs la promotion de l’emploi, l’amélioration des
conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le
progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le
développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi
élevé et durable... Ils estiment qu’une telle évolution résultera tant
du fonctionnement du marché intérieur qui favorisera l’harmonisation
des systèmes sociaux que des procédures prévues par la Constitution et
du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et
administratives des Etats membres ».

Complétons d’abord le texte. Les mots qui manquent (là où il y a ...
sont les suivants : « tels que ceux énoncés dans la Charte sociale
européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et dans la Charte
communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de
1989 »

Une fois qu’on dispose de la totalité du texte, on peut en déduire :

a) que l’Union et les Etats sont « conscients des droits sociaux »,
c’est-à-dire qu’ils savent que ces droits existent ; on est bien
heureux de l’apprendre ; mais cela ne signifie pas que ces droits
sociaux sont désormais des droits consacrés, comme ils le sont dans la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (à laquelle l’Union
n’adhère pas) ou comme ils le sont dans certaines Constitutions et
législations nationales ;

b) que l’Union n’adhère ni à la Charte sociale européenne de Turin, ni
à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux ; le texte y
fait référence, il n’annonce pas l’adhésion qui créerait des
obligations ;

c) que l’évolution (c’est-à-dire la réalisation des objectifs énumérés)
se fera par une harmonisation désormais soumise aux fluctuations du
marché. Cette information capitale nous ramène à la proposition
Bolkestein qui abandonne l’harmonisation au profit de la loi du marché.

Evoquant les services publics, une fois de plus, la direction du PS
confond « service d’intérêt économique général » (SIEG) et « service
public » alors que le Livre Blanc de la Commission européenne, approuvé
par le Conseil des Ministres, précise (p. 23) que ces deux expressions
« ne doivent pas être confondues ». La direction du PS indique que la
Constitution prévoit qu’une loi-cadre européenne peut être votée pour
permettre que « ces services fonctionnent sur la base de principes et
dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leurs missions. »,
mais il s’agit des SIEG. Pas des services publics, totalement absents
d’une « Constitution » qui ne consacre nulle part la notion de service
en vue de créer une égalité de droits, notion incompatible avec le
principe d’une « concurrence libre et non faussée » à laquelle sont
soumises toutes les politiques de l’Union.

Evidemment, la direction du PS passe totalement sous silence les
articles essentiels du traité constitutionnel en ce qui concerne les
services :

 article 4 : « Libertés fondamentales et non-discrimination. La libre
circulation des personnes, des services, des marchandises et des
capitaux, ainsi que la liberté d’établissement, sont garanties par
l’Union... » On notera l’usage du verbe « garantir » qui n’était pas
employé lorsqu’il s’agissait des droits sociaux.

 Sous section 3, Liberté de prestation des services , article 144 :
« Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la
libre prestation des services sont interdites à l’égard des
ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que
celui du destinataire de la prestation. » Qu’est-ce qu’une
« restriction à la libre prestation des services » ? On ne nous le dit
pas, mais chacun le sait. Il s’agit des obligations de service public,
du financement public qui fausse la concurrence, de dispositions
légales ou réglementaires adoptées par les pouvoirs publics dans
l’intérêt général. Il n’est pas indifférent de savoir que la Commission
européenne considère « le pouvoir discrétionnaire des autorités
locales » comme un obstacle à la concurrence (document IP/02/1180 du
31 juillet 2002) !

 article 147 : « La loi-cadre européenne établit les mesures pour
réaliser la libéralisation d’un service déterminé. »

 article 148 : « Les Etats membres s’efforcent de procéder à la
libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en
vertu de la loi-cadre européenne... »

La libéralisation des services, c’est-à-dire l’obligation de les
soumettre aux lois de la concurrence, déjà imposée par l’Accord Général
sur le Commerce des Services (AGCS), figure, sans contestation
possible, au programme du traité constitutionnel que la proposition
Bolkestein ne fait qu’anticiper. La proposition Bolkestein est une mise
en œuvre aggravée de l’AGCS et une anticipation de ce que va favoriser
le traité constitutionnel européen.

Rappelons que la proposition Bolkestein se donne pour objectif de
« renforcer la position de négociation » de l’Union européenne dans le
cadre de la mise en oeuvre de l’AGCS (P. 16). Or, on sait avec quelle
agressivité l’Union européenne tente d’imposer la privatisation des
services partout dans le monde. On sait les positions que le socialiste
Pascal Lamy a défendues dans ce sens à l’Organisation Mondiale du
Commerce (voir www.urfig.org ­ AGCS), proposant à la table des
négociations de l’OMC un texte qui annonce que la mise en œuvre de
l’AGCS doit se faire « aucun secteur de service n’étant exclu a
priori » tout en écrivant, au même moment, dans le journal « Le Monde »
« qu’on ne touchera pas à l’enseignement, à la santé et à la culture »
(5 sept. 2003). La duplicité des libéraux de gauche sur l’AGCS conduit
tout naturellement à leur duplicité sur le traité constitutionnel
européen. Puisqu’ils défendent la même soumission des peuples aux lois
du marché.

Rappelons que le chef de file des députés européens socialistes
français, M. Bernard Poignant, est un grand défenseur de l’AGCS (il a
même publié une brochure à ce propos) et du traité constitutionnel.
Rappelons aussi que plusieurs députés européens, membres du PS et
partisans de la Constitution européenne, ont émis un vote favorable à
une résolution du Parlement européen demandant à la Commission de
présenter une proposition de directive libéralisant les services et
considérant le principe du pays d’origine comme « essentiel à
l’achèvement du marché intérieur des biens et des services » (voir
note URFIG « Quelques vérités sur Bolkestein » et « Bolkestein : les
preuves » www.urfig.org ­). Cette résolution du Parlement est
d’ailleurs explicitement citée dans l’exposé des motifs de la
proposition de directive (page 7).

Rappelons aussi que la direction du PS, qui justifie son soutien à la
Constitution européenne notamment par l’appui de tous les autres partis
socialistes et par la nécessité de « ne pas être socialiste tout seul »
(il est bien loin le temps où le socialiste Jaurès n’avait pas peur
d’affronter la social démocratie ...), passe sous silence l’appui,
beaucoup plus cohérent, des amis « socialistes » allemands et des amis
« socialistes » britanniques à la fois à la Constitution et à la
proposition Bolkestein.

Ainsi, le gouvernement allemand dont les politiques néolibérales vont
jusqu’à provoquer l’éclatement du principal parti gouvernemental, le
SPD, vient de déclarer par la voix de son ministre de l’économie,
M.Wolfgang Clement, que l’Allemagne soutient la proposition de
directive sur les services et il a ajouté : "La position actuelle du
gouvernement est que nous devons garder le principe du pays d’origine
et c’est ce qui va se passer » (Source : Centre for a Social Europe
(Londres), 23.02.2005).

Et de son côté, le Commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson,
un travailliste Britannique qui déclarait « « face au besoin urgent de
supprimer les rigidités et d’inclure de la flexibilité dans les marchés
des capitaux, du travail et des marchandises, nous sommes tous des
thatchériens » (The Times,10 juin 2002), vient d’affirmer : « Les
adversaires de la directive sur les services veulent protéger des
règles protectionnistes nationales qui continuent d’imposer des prix
élevés aux consommateurs.(...) La Commission ne devrait pas reculer
devant ces pressions illégitimes » (The Guardian, 15 février 2005).

Les précisions qui précèdent, on ne les retrouve pas dans les textes de
la direction du PS. On ne les trouvera pas davantage dans la plupart
des médias français qui semblent, sur l’Europe, avoir renoncé au
pluralisme des opinions et se livrent à de la désinformation
systématique. Dernier exemple, à propos de la proposition Bolkestein :
« la directive n’est plus d’actualité à Bruxelles » affirme Le Figaro
(2 mars). On vient de voir ce qu’il en est.

On nous trompe sur Bolkestein. On nous trompe sur le traité
constitutionnel européen. Allons-nous dire « oui » à ceux qui nous
trompent ?

Raoul Marc JENNAR

Chercheur ; animateur de l’URFIG