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Andrea Rios : « Changer la manière dont on joue dans le cinéma vénézuélien »

par Thierry Deronne

Publie le jeudi 3 janvier 2013 par Thierry Deronne - Open-Publishing

Thierry Deronne – Sans doute le plus beau prix pour une cinéaste est-il d’apprendre que dans les rues de son pays on revend des copies pirates de son film. Selon toi quel est le secret du succès populaire d’”un regard sur la mer” ?

La directora

La réalisatrice

Andrea Rios – Je crois d’abord que le fait que la protagoniste soit une fillette donne au film une touche particulière. L’histoire tourne autour d’un enfant plein d’humour, d’espièglerie et d’audace, c’est quelque chose de nouveau. Cela a permis la rencontre du film avec un public d’enfants et d’adolescents, et que le film puisse être reçu en famille. Il y a le fait d’aborder des thèmes intimes, la participation de nouveaux acteurs et le portrait de paysages de la côte vénézuélienne. Et le fait de narrer une histoire loin des films traditionnels vénézuéliens qui en général dénoncent de graves problèmes dans la société. “Un regard sur la mer” problématise la réalité conflictuelle d’une fillette qui a perdu ses parents face à un adulte âgé, récemment devenu veuf, et c’est cette dimension particulière qui a valu un tel accueil au film.

T. D. – Qu’as-tu appris en réalisant ce film, comme réalisatrice et sur un plan personnel ?

A. R. – Pour moi cela a toujours été un défi de filmer les enfants de la manière la plus naturelle possible. J’y ai beaucoup réfléchi pour conclure que le secret est dans la manière dont les enfants vivent l’expérience cinématographique.

Je voulais que les enfants de jouent pas en tant qu’ « acteurs » mais qu’ils vivent les scènes, qu’il les remettent en question, qu’ils les pensent et abordent le jeu comme un processus plus que comme une finalité…

Yucemar y Andrea Rios

avec Yucemar

Ça m’a captivé, de voir ces enfants croître dans la mise en scène et comment a été atteint l’objectif que nous recherchions. Ils n’ont jamais lu le scénario, ils avaient une idée du thème mais jamais nous ne leur avons demandé d’apprendre par coeur telle ou telle scène… On leur a demandé d’oublier les paramètres de la télévision et de relier le tournage avec le ludique …

Une autre affaire est d’obtenir la même chose des acteurs adultes… c’est plus difficile car certains oublient de jouer, d’imaginer et se contentent de répéter le texte du scénario… nous devons revoir sérieusement la manière dont on joue dans le cinéma vénézuélien… Comme réalisatrice et comme personne, je fus frappée de voir comment le cinéma comme système te mène à des lieux communs, à des clichés. Toute la complexité est : comment en extraire quelque chose ? Je crois que notre imaginaire collectif tient pour vérité établie qu’une scène « Y » doit être jouée et filmée de la manière « Y » … C’est pourquoi si peu d’interprétations nous surprennent…

Actores adultos

avec les acteurs adultes

T.D. – Qu’a appris la jeune héroïne, en tant que personnage et en tant que personne ?

A.R. – Ana E a toujours été, dès l’écriture du scénario, un personnage fort. L’actrice avait déjà une expérience théâtrale et dans ce cas elle a dû opérer le passage au format du cinéma, de nature fragmentaire. Constamment nous réfléchissions sur la scène que nous allions filmer et elle donnait son opinion personnelle sur telle chose, marquant son accord ou son désaccord. Elle a toujours été une fillette expressive mais à mesure qu’elle acquérait de l’expérience, sa capacité de tisser un discours verbal et corporel a énormément grandi tant vis-à-vis de la caméra que vis-à-vis du public. Elle remettait toujours en question le personnage dans le bon sens de l’expression, et faisait des réflexions sur ce qu’elle pensait personnellement et ce que son personnage Ana E devrait faire. Je suppose qu’elle a emporté cette expérience avec elle…

T.D. – La mer, quel est son rôle dans ta dramaturgie ?

A.R. – La mer dans ce film exprime le besoin de vivre d’un personnage qu vient de perdre son épouse. Rufino décide de reprendre les choses au début et ce début est la mer, c’est le lieu où elle l’a connue et c’est aussi le lieu où il rencontre la fillette. Par ailleurs je sens que l’écrivaine voulait brosser une narration hors de la ville, peindre nos paysages pour les relier au monde intérieur de nos personnages. J’ai tenté autant que possible de créer la métaphore de la solitude des deux personnages principaux face à une mer : énorme, belle et furieuse à la fois. Pour moi le paysage naturel possède un pouvoir mystérieux et c’est une source merveilleuse pour l’être humain qui se sent petit face à lui.

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Photo de tournage

Photo de tournage

Fiche technique et artistique de « Un regard sur la mer » (Una mirada al mar »).

Assistante des acteurs enfants : Rossana Fernández. Son direct : Frank González, Post-production sonore : Gregorio Gómez. Direction artistique : Antonio Alfonzo. Musique originale : Ignacio Barreto. Montage : Armando Silva, Carlos Mendoza, Andrea Ríos et Liana Domínguez. Direction de photographie : Vitelbo Vásquez. Caméra : Luis Martínez. Production générale : Victor Fernández.

Interprètes : Fernando Flores, Asdrúbal Meléndez, Yucemar Morales, Zoe Bolívar, Loly Sánchez, Juliana Cuervos, Bebsabe Duque, Leonardo Pinto, Amilcar Marcano, Mariangela Fernández, Crismariangel Pimentel, Jonathan Carrizalez, Jaiberlyn Sánchez, Anastasia Stoliarov, Eduardo Núñez, Valery Cáceres, Sasha Sojo, Sheiner García.

Production exécutive : La Villa del Cine.

Idée et scénario originaux : feu María Nela Alas.

Réalisation : Andrea Ríos, République Bolivarienne du Venezuela juillet 2011.

URL de cet article (FR) : http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/01/01/andrea-rios-changer-la-maniere-dont-on-joue-dans-le-cinema-venezuelien/

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