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VITTORIO AGNOLETTO, eurodéputé de la Gauche Européenne : EUROPE, QUE FAIRE ?

Publie le mercredi 23 mars 2005 par Open-Publishing

Interview de Vittorio Agnoletto, eurodéputé de la Gauche Européenne,
par Nicola Vallinoto traduit de l’italien par karl&rosa

Après l’approbation de la Constitution européenne par le Parlement européen, Europace interviewe Vittorio Agnoletto, député européen de la Gauche Européenne, pour lui demander comment faire redémarrer l’initiative constituante dans l’Union européenne.

1) Nicola Vallinoto. Mercredi 12 janvier, le Parlement européen a approuvé avec une large majorité la résolution en faveur de la Constitution européenne, par laquelle on en soutient "vivement" la ratification dans les 25 pays de l’Union. Cinq cents OUI, 137 NON et 40 abstentions. Les voix contraires et les abstentions ont recueilli transversalement, et pour des raisons opposées, la position des eurosceptiques et celle de la gauche européenne. Au sein de cette dernière, le NON de Vittorio Agnoletto. Un NON d’un fédéraliste et d’un européiste convaincu. Peux-tu nous expliquer la signification de ton NON, dans la perspective aussi d’un retour au Traité de Nice ?

Vittorio Agnoletto. Mon NON n’est pas un NON contre l’Europe. Je suis même en faveur d’une Europe comprenant tous les Balkans. En effet, le risque actuel est que les Balkans deviennent une "zone de décharge" des tensions politiques et des déchets de l’Union européenne. En plus d’être l’endroit où l’on récupère la main d’œuvre bon marché. Je suis pour une Europe qui comprenne tout le continent et pas seulement les pays les plus riches.

Je suis pour une Europe à totale souveraineté populaire, où ce soit le Parlement européen qui décide, doté de pouvoirs législatifs, élu au suffrage universel, avec une loi électorale égale pour tous les états, sans quoi les parlementaires, pris un par un, auront un mandat de représentation différent d’un Pays à l’autre. Je suis pour une loi proportionnelle unique élisant le Parlement européen et pour un gouvernement européen répondant de ses actes directement au Parlement européen.

Je pense que l’on devrait attribuer encore beaucoup de compétences au Parlement européen et donc les soustraire aux Etats et aux gouvernements nationaux. Il faut donc dépasser la situation actuelle des trois rôles différents attribués au Conseil, à la Commission et au Parlement. Il faut dépasser la logique du vote pondéré par états et de la possibilité de veto.

Je suis favorable à une Europe construite par un "peuple européen" et non comme somme des différents états. Le respect et l’affirmation des droits doivent être de la compétence européenne, en particulier la protection sociale et la santé.

Dans la Constitution, signée le 29 octobre 2004, je ne retrouve pas tous ces thèmes ni cet esprit.

En résumé, mon NON se base sur les critiques suivantes :

1) La constitution prévoit une Europe fondée sur la somme de souverainetés nationales et donc sur une Europe confédérale dont le pouvoir est fortement déplacé vers les gouvernements et vers la Commission qui reste, de toute façon, l’expression d’accords entre gouvernements.

2) Les droits sont mis en condition de subalternité aux choix économiques.

3) La troisième partie de la Constitution place le libéralisme en position centrale, il en devient partie constitutive.

De toute façon, cela n’enlève rien au fait que j’estime qu’une Constitution européenne est nécessaire : une véritable Constitution et non un accord entre les états. Mon NON sous-entend un jugement d’insuffisance et non de trop d’Europe. La permanence d’une présence critique aide à ne pas considérer comme achevée, pour toujours, cette formulation de traité constitutionnel. Il y a entre autre des formes de participation à travers lesquelles les citoyens pourront intervenir dans le processus : je fais référence à la question du recueil d’un million de signatures. Même si la loi d’application n’existe pas encore, ce sera un instrument à utiliser, dés que possible, sur certains grands thèmes qui ont une valeur réelle et symbolique comme, par exemple, le rejet de la guerre. Il est évident qu’à l’intérieur du jeu politique notre vote s’est ajouté au vote raciste et de défense des identités nationales exprimé par la Lega Nord. Il s’agit évidemment d’un NON différent et antithétique au nôtre.

2) N.V. Voter NON à ce traité signifie reculer d’un pas, à savoir revenir au traité de Nice qui, de toute façon, ne prévoit aucun instrument comme celui de la démocratie participative qui pourtant permettrait de dépasser certaines contradictions.

V.A. Ma position n’est pas de revenir au traité de Nice. Je pense que quand la Constitution aura été approuvée sa modification deviendra très compliquée. A cause des équilibres sur lesquels repose l’actuelle Constitution, nous risquons d’attendre des dizaines d’années qu’elle soit modifiée. S’il s’agit de choisir entre le Traité de Nice et cette Constitution, je choisis évidemment cette dernière ; mais j’estime qu’aujourd’hui un éventuel stop pourrait représenter une ouverture et une relance du processus constituant.

3) N.V. Le Parlement européen, avec le traité constitutionnel, aura le droit de convoquer une convention constituante.

V.A. Oui, mais il faut l’accord du Conseil de l’Europe.

4) N.V. Il sera difficile de la part du Conseil de dire non à une demande émanant du Parlement Européen...

V.A. Le Conseil nous dit non sur tout. Un exemple concret en est le destin de la résolution sur le SIDA et sur les médicaments antirétroviraux, votée avec une large majorité à Strasbourg et pour laquelle je m’étais beaucoup engagé. La Commission et le Conseil nous ont répondu qu’ils n’en tiendraient pas compte ; particulièrement en ce qui concerne un engagement précis où il était demandé à la Commission de modifier la politique de l’OMC sur les remèdes.

Et, encore, le Parlement européen a voté le maintien des sanctions envers Cuba et la Commission les a effacées.

J’ai volontairement cité deux exemples de tendances différentes pour mettre mieux en évidence l’attitude du Conseil et de la Commission : là où il n’y a pas d’obligation à décision partagée, ces deux organismes ne prennent aucunement en considération le vote du Parlement Européen.

5) N.V. Cela n’est pas toujours vrai. On pense, par exemple, au cas de la nomination de la commission conduite par Barroso et au rejet de la candidature de Rocco Buttiglione.

V.A. Mais en fait, il s’agissait là d’un choix obligé, si Barroso n’avait pas modifié son équipe, la Commission proposée aurait été rejetée.

6) N.V. Au-delà de l’évaluation du Traité constitutionnel européen, que ce soit parmi ceux qui se sont exprimés en faveur du OUI ou parmi ceux qui ont voté NON, il y a une attitude critique à l’égard de la Constitution européenne parce qu’elle a des limites évidentes. A la lumière des différentes positions exprimées durant la dernière session à Strasbourg, penses-tu qu’une alliance fédéraliste transversale au vote exprimé par le Parlement Européen sur la Constitution soit possible ? Et dans cette optique, ne crois-tu pas que l’intergroupe fédéraliste au Parlement Européen pourrait devenir le lieu d’expérimentation de cette alliance pour redémarrer avec une nouvelle initiative constituante qui puisse dépasser les limites du traité constitutionnel ?

V.A. Ma réponse est OUI.
J’avais envoyé un message à l’intergroupe fédéraliste disant que tant qu’il placerait en position centrale de ses réunions le soutien à la Constitution européenne je n’y participerai pas car ma position est différente. Si nous dépassons la question de la ratification et que nous allons à la recherche de comment construire une Europe fédéraliste dans l’avenir, je crois que l’intergroupe pourra jouer un rôle important à condition de centrer son activité sur la construction d’une Europe fédéraliste sans pour autant devoir épouser un modèle économique spécifique car, de toute évidence, il y a sur ce point des opinions très différentes.

Je pense que l’intergroupe fédéraliste, justement parce qu’il s’agit d’un intergroupe, a un sens au moment où il se positionne transversalement aux groupes politiques européens. Comme je l’ai déjà dit précédemment, je suis favorable à une Europe à souveraineté populaire et là-dessus, je peux peut-être même trouver un accord avec un conservateur de la droite française !

7) N.V. Le processus d’intégration politique de l’Europe ne s’arrête pas le 29 octobre 2004 avec la signature à Rome du traité constitutionnel, en présence des 25 chefs d’état et de gouvernement de l’Union Européenne. Il s’agit d’un pas de plus vers l’Europe fédérale dont ont rêvé Spinelli et Rossi dans le Manifeste de Ventontene. Pour dépasser les obstacles que les gouvernements nationaux et les forces conservatrices mettent à l’objectif d’une Europe fédéraliste, sociale, démocratique et pacifiste, une grande mobilisation d’en bas du peuple européen. De ces citoyen(ne)s européen(ne)s qui depuis Gênes sont descendus dans les rues pour revendiquer une Europe, sujet de paix, qui répudie la guerre comme instrument de résolution des conflits internationaux. Quelles peuvent être les initiatives de ce qu’on appelle les "mouvements constituants" et du Parlement européen pour modifier la constitution européenne ?

V.A. Le mouvement a accompli un parcours. Les mouvements de l’Europe Latine sont arrivés sur le tard à discuter d’Europe. Ce n’est pas seulement le problème des Italiens mais aussi des Grecs, des Espagnols et des Portugais. Ce n’est qu’au cours de ces trois dernières années qu’a démarré une course sur les thématiques européennes. C’est aussi parce qu’une partie de la gauche venait d’une nette position avec le "NON à l’Europe de Maastricht" : on ne voyait l’Europe que comme un simple accord entre les grands capitaux financiers. La prise de conscience qu’il y a une possibilité historique et pas seulement idéale de construire une Europe fondée sur d’autres valeurs n’a été acquise que récemment par les mouvements européens. Avec le dernier forum social européen de Londres, nous avons dépassé les perplexités des mouvements anglais qui ne voulaient pas poser le débat sur l’Europe comme un des axes centraux du forum.

Il y a eu sur ce point une véritable bataille et nous l’avons gagnée.
Aujourd’hui, les mouvements peuvent devenir des sujets fondamentaux pour la construction d’une Europe pacifiste. Je suis certain que les questions de la paix et de la citoyenneté européenne sont des thèmes qui peuvent unir des secteurs, même très différents. La citoyenneté, par exemple, les mouvements ne la voient pas comme une citoyenneté de deuxième catégorie mais soutiennent la possibilité d’une citoyenneté européenne de premier niveau qui concernent tous ceux qui vivent en Europe, y travaillent, y habitent depuis un certain nombre d’années. De là découle un positionnement différent par rapport à la problématique de l’immigration. Et ce mouvement, qui n’a pas pour point de repère l’horizon national mais une dimension globale, est destiné à devenir un allié spontané et important pour ceux qui veulent construire l’Europe.
Le passage par l’Europe est incontournable.

Mais aujourd’hui où l’on parle de l’OMC, du GATT ou des ADPIC, l’Union Européenne est la partie adverse politique des mouvements à cause de la politique qu’elle réalise actuellement ; mais si l’on regarde vers l’avenir, elle reste un sujet politique nécessaire pour la réalisation de politiques globales mais avec des objectifs et des modalités bien différentes et antithétiques du modèle libéral.
En effet l’idée d’un monde multipolaire ne peut passer que par la construction de l’Europe en termes politiques et économiques.
Je pense à un monde où, autour de la construction d’aires économiques comme le Mercosur, l’Europe l’Asean et une aire économique africaine, encore toute à construire, s’engage le parcours vers la définition de régions politiques continentales capables d’entrer en relation sur la base de rapports fondés sur le respect mutuel. Pour atteindre cet objectif la construction de l’Union Européenne représente une étape incontournable.

Dans ce processus, je vois deux contradictions très accentuées qui concernent les partis politiques et les organisations syndicales. Le problème des partis politiques est qu’ils doivent obtenir, leur consensus au niveau national. Leur légitimité découle du vote national, c’est-à-dire qu’elle les contraint à "restituer" les résultats à leurs électeurs et à vivre la politique en termes d’intérêt national. Et à l’intérieur de cette compétition nationale, il y a encore une grande partie des forces syndicales.
Il n’est possible de dépasser la compétition nationale qui a comme objectif la construction européenne que si nous raisonnons en termes mondiaux. Et raisonner en termes mondiaux aide à construire l’Europe.
Il ne suffit pas d’établir que le travailleur italien ne doit pas se trouver en compétition avec le travailleur allemand ; il faut que le travailleur italien ne soit pas non plus en compétition avec le travailleur chinois et que par conséquent on se batte pour une augmentation de salaire de tous les travailleurs.

Il faut donc se remuer pour une réorganisation du monde du travail. La lutte pour les droits des travailleurs des Pays du Sud du monde ne doit pas nécessairement produire du chômage dans le premier monde. Une politique mondiale de redistribution des ressources, capable de se centrer sur la justice sociale et les droits de tous et non sur les profits de quelques-uns est nécessaire. Si l’on applique ce critère au niveau mondial et que l’on évite donc la guerre entre les pauvres, la construction de l’Europe sera alors automatiquement facilitée.

Le regard altermondialiste des mouvements est un élément qui facilite la construction d’une Europe qui puisse dépasser la compétition entre marchés nationaux. Les mouvements, par la façon dont ils se sont situés ces dernières années (à travers un développement accéléré qui doit encore être métabolisé) sont les alliés naturels de ceux qui veulent construire une Europe fédéraliste fondée sur la justice sociale.

8) N.V. Quels sont les points fondamentaux d’où partir pour rouvrir le processus constituant au moyen de l’article sur la démocratie participative ?

V.A. 1) Le premier objectif est la construction d’une Europe pacifiste qui regarde en direction du Sud du monde et qui répudie la guerre comme instrument de résolution des conflits internationaux. Une Europe qui n’ait pas comme objectif la domination du monde et la compétition avec les USA sur leur propre terrain. La compétition avec les USA doit être menée selon un modèle alternatif , substantiellement différent et pas sur un modèle symétrique et spéculaire.
2) Dans l’Union Européenne le respect des droits universels, de la santé au travail en passant par la protection sociale et l’éducation, doit être garanti à quiconque, y compris aux immigrés. Droits exigibles liés à une citoyenneté européenne de résidence.
3) La troisième question concerne une Europe en mesure de construire, sur la base du respect réciproque et de la justice, ses propres relations avec l’autre partie du monde.

Les EPA, pour donner un exemple, sont les accords bilatéraux entre l’UE et les pays du monde les plus pauvres qui devraient être réalisés pour aider leur évolution mais qui sont en fait construits uniquement pour permettre la pénétration des multinationales européennes dans ces pays, en leur supprimant toute forme de défense de leur économie locale. L’Europe que les mouvements ont en tête a un rapport différent avec les pays du sud du monde et, donc, un rapport différent sur les Gatts, c’est-à-dire sur le libre commerce des services où l’OMC demande la disponibilité à insérer aussi les services de la santé et de l’éducation.

Pour l’instant les services de la santé et de l’éducation dépendent de chaque état et sont considérés comme des droits. L’OMC demande d’insérer aussi ces services dans le marché mondial de façon à ce que les services soient gérés par le meilleur offrant, soit par les grandes multinationales.

La Commission européenne actuelle non seulement est favorable à cette position mais demande aux pays du sud du monde d’en faire autant. L’Europe, par exemple, a demandé à l’Indonésie d’insérer les services sanitaires dans le Gatts parce que, de toute évidence, il y a des lobbys européens intéressés à les prendre en charge. Il s’agit là d’une forme de libéralisme qui prévoit la privatisation des grands services.

Au contraire, les mouvements pensent à une Europe qui ne vise pas à la privatisation des services et à obliger les autres pays à faire de même mais qui se donne l’objectif de la définition de relations paritétiques à construire avec des instruments opportuns. Pensons seulement à la demande, avancée à Porto Alegre par les pays du sud du monde, à l’Europe et aux USA, de suspendre les subventions aux exportations agricoles qui comporte la destruction de la production agricole des pays les plus pauvres au poyen du dumping. L’Europe que nous voulons n’est pas celle-là.

Enfin, n’oublions pas que l’article 47 représente, sûrement, un terrain de travail pour le mouvement. La possibilité concrète de l’utiliser dépend de l’émanation concrète des normes d’actualisation. Une fois que cet instrument - limité mais important - de participation populaire sera rendu disponible, le mouvement n’hésitera pas à l’utiliser.

Nicola Vallinoto. Rédaction de Europace.
( L’interview a été enregistrée téléphoniquement samedi 5 février 2005)

http://italy.peacelink.org/europace/articles/art_9151.html