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LE RESTE DE RIEN

Publie le lundi 11 avril 2005 par Open-Publishing

de Enrico Campofreda traduit de l’italien par Karl&rosa

Admirablement interprétée par la lusitaine Maria De Medeiros, Eleonora De Fonseca Pimentel - une intellectuelle d’origine portugaise et héroïne malgré elle - vit tous les profonds sentiments de civilisation, de liberté et d’utopie pendant les journées de la République Parthénopéenne ré évoquée par la réalisatrice De Lillo. Le film, en reparcourant la voie tracée par le texte de Striano, est intense, raffiné et délicat comme la noble dame qui l’inspire.

On en rappelle la malheureuse existence, faite d’un blason auquel ne correspond aucune prospérité économique, d’une union matrimoniale sans bonheur et de circonstance, d’une maternité brisée, de l’insatisfaction pour les qualités littéraires et poétiques (la Pimentel entra à l’Accademia dei Filareti et ensuite de l’Arcadia) qui ne trouvent aucun terrain fertile dans une ville rendue vulgaire par les Bourbons.

L’attention pour les conditions sociales de la plèbe des lazzaroni qui voit un cercle, même s’il est restreint, d’intellectuels sensibles au problème, est différente. Ce sont les Vincenzo Cuoco, les Mario Pagano, les Vincenzo Russo qui se battent pour les idéaux illuministes de l’égalité et de la liberté qui, avec la Révolution Française, ont pris le visage jacobin.

Le rêve de les voir réalisés chez soi prend corps quand le roi Ferdinand IV, devant l’avancée de l’armée napoléonienne, s’enfuit le 21 décembre 1798 en Sicile. La ville est occupée par les bandes de la Sainte Foi du cardinal Ruffo et dans ce vide de pouvoir s’introduit la tentative des patriotes jacobins de proclamer la République. Les troupes de Championnet arrivent et leur prêtent main forte mais il s’agira d’un feu de paille : les Français, après une razzia d’œuvres d’art, demandent au gouvernement provisoire de l’argent pour rester et, vue l’impossibilité d’en recevoir, laissent les jacobins napolitains à leur destin.

Ce sera un destin tragique, puisque les lazzaroni pour lesquels ils combattaient donneront main forte à la réaction sanfédiste en renversant la République, qui ne dure que cinq mois. Ruffo propose un acte de clémence envers les insurgés, en misant sur le retour des Bourbons, sans accroître le fossé qui les sépare de l’intelligentsia, rangée toute entière sur des positions anti-monarchistes. Mais l’amiral Nelson, qui suit sur place les opérations pour la couronne britannique et s’oppose à la présence française en Italie, insiste pour que des punitions exemplaires soient décidées. C’est ainsi que plus de cent patriotes, dont nombre d’intellectuels et même la Pimentel, sont condamnés à la peine capitale.

L’ouvrage montre toute la beauté de l’idéal et le côté désespérément impraticable de l’utopie de la République dans un milieu arriéré, ignorant, abandonné, affamé. Le salon de la noblesse illuminée où les saintes et justes idées d’égalité et de justice bouillonnent est à mille lieues des masures des quartiers espagnols où les lazzaroni et leurs femmes volent et se prostituent. Deux mondes séparés et non communicants que la Pimentel, avec son intuition intellectuelle, essayera de rapprocher par la publication du "Monitore Napoletano". Ses efforts et ceux de Pagano de parler au peuple et de parler des maux du peuple sont multiples, mais ils ne suffisent pas. La plèbe, ce n’est pas seulement qu’elle est analphabète et communique par un dialecte strict, mais c’est qu’elle ne voit pas au delà des besoins immédiats et les intellectuels parthénopéens n’ont ni un langage ni des propositions concrètes par lesquels la mobiliser, pris, comme l’écrira Cuoco "plus par la crainte de ne pas dégoûter dix mille puissants que de gagner les âmes de cinq millions..." C’est plus facile pour les sanfédistes, sur la base des principes de la tradition, d’une religiosité superstitieuse, de la haine anti-jacobine diffusée par toutes les monarchies européennes et du rétablissement pour les paysans de quelques faveurs féodales que les républicains avaient abolies.

Malgré les espoirs, l’ombre de l’échec se balade jour après jour parmi les protagonistes de la belle utopie, et pourtant orgueilleusement et dignement personne ne recule même face à la tragédie qui se dessine. "Je suis un homme libre, toi un serviteur", affirme un des chefs républicains au juge sanfédiste qui, après la répression, le condamne au gibet. Et de toute façon, ces patriotes incompris et inadaptés préparent la voie à ce qui arrivera dans la Péninsule dans les décennies suivantes avec les mouvements et les guerres du Risorgimento. Mais il n’y aucune trace du lourd film historique, malgré les précieuses, admirables reconstructions de mobilier et de coutumes. Au premier plan, il y a toujours la figure sensible d’Eleonora, laquelle, en affrontant de grandes questions comme le programme du gouvernement républicain ou en traitant avec les serviteurs, montre toujours de la grâce, du style et un âme très élevée. Une femme d’un tempérament, d’un courage, et d’une capacité à s’adapter aux revers de la vie - en commençant par ceux de sa propre sphère privée - vraiment exceptionnels.

La précieuse présentation photographique contribue à l’élégance de la pellicule. Des scènes d’intérieurs et de nuit offrent une palette chromatique et de clair-obscur dignes des tableaux de tant de tradition picturale napolitaine. Et une touche extravagante mais absolument originale sont les dessins d’Oreste Zevola, qui entrecoupent le récit. Un très beau travail collectif (Evènement Spécial à la 61.ème Mostra du Cinéma de Venise) qui mériterait d’être apprécié pas seulement par un public confidentiel.

Réalisation : Antonietta De Lillo
Scénario : Giuseppe Rocca, Antonietta De Lillo, Laura Sabatino
Tiré du roman : “Il resto di niente” de Enzo Striano
Directeur de la photographie : Cesare Accetta
Montage : Giogio’ Franchini
Principaux interprètes : Maria De Medeiros, Rosario Sparno, Raffaele Di Florio, Imma Villa, Lucia Ragni
Musique originale : Daniele Sepe
Dessins : Oreste Zevola
Production : Factory
Origine : Italie, 2004
Durée : 103 minutes

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