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Hollandisme révolutionnaire

par Philippe Marlière

Publie le lundi 14 avril 2014 par Philippe Marlière - Open-Publishing
1 commentaire

Il y a deux ans, un démographe donnait une interview choc dans les colonnes du Nouvel observateur. Contre la droite sarkozyste « inégalitaire » qui désignait des boucs émissaires (immigrés, jeunes, chômeurs) comme responsable de la crise, il saluait l’« appréciation très perspicace du sens de l’histoire » de François Hollande, ainsi que son plaidoyer pour une présidence « normale ». Il voyait un candidat socialiste « revenu au principe d’égalité », qui « prend le parti du peuple ». Il pariait sur un « hollandisme révolutionnaire » qui poserait la question du pouvoir de la finance une fois aux commandes de l’État, car les circonstances économiques et politiques du moment « l’amèneraient à se radicaliser ». [1]

N’accablons pas l’auteur de ces fortes paroles : le pronostic de notre démographe s’est en partie avéré pertinent : d’une part, les « circonstances » ont effectivement amené le président de la république à se radicaliser. Seulement c’est une radicalisation à droite, et non à gauche, qu’il a opérée. D’autre part, le hollandisme est effectivement de nature « révolutionnaire » dans le paysage politique français : Thatcher avait son ennemi de l’intérieur, les mineurs, Hollande a désormais le sien : la gauche de transformation sociale. Deux ans à peine après son élection, je propose une ébauche topographique du hollandisme présidentiel : où se situe-il et où nous amène-t-il ?

À droite du New Labour

Le cap a été fixé dès le lendemain de l’élection présidentielle. Contrairement à la promesse de campagne, il n’y a eu aucune renégociation du pacte de stabilité germano-européen qui condamne virtuellement l’eurozone à des politiques d’austérité ad aeternam. La politique sociale et économique du gouvernement est uniquement au service des intérêts des possédants. Le monde de la finance et de l’actionnariat, vivement décrié dans le discours du Bourget, est choyé. Il n’est pas une semaine sans que le gouvernement ne lui a octroie de nouveaux abattements fiscaux au nom d’un surréaliste « ras-le-bol fiscal ». Les patrons du CAC 40 ou de start up menacent et leurs vœux sont aussitôt exaucés. Le pacte de responsabilité est la caricature de ce hollandisme antisocial : faire des milliards d’euros d’économie sur le dos des travailleurs, petits et moyens, pour les redistribuer aux patrons et actionnaires sans contrepartie économique et sociale. Le hollandisme révolutionnaire n’est vraiment pas l’adversaire de la finance. Il est, au contraire, son plus fidèle et dévoué allié.

François Hollande a prétendu avoir entendu le message du peuple et tiré les enseignements de la déroute des municipales. Dans la foulée, il a nommé le plus droitier des dirigeants socialistes. Insouciance, mépris des électeurs, légèreté dans l’exercice de ses fonctions ? C’est possible. N’écartons pas cependant une décision mûrement réfléchie : le néolibéralisme autoritaire de Manuel Valls tient aussi de feuille de route du hollandisme.

J’ai vécu l’arrivée de Tony Blair à la tête du Parti travailliste (en 1994), puis son accession au pouvoir (en 1997), ainsi que ses réélections (en 2001 et 2005). Pendant cette période, la « troisième voie » blairiste était considérée à Solferino comme une variante soft du thatchérisme. À l’automne 1997, j’accompagnais une délégation du Parti socialiste emmenée par François Hollande à Downing Street. En sortant de la résidence du premier ministre, il me glissa : « Nous, en France, on ne fera jamais du blairisme ».

Bisounours politiques

Je le dis aujourd’hui sans forcer le trait : le hollandisme est une variante de droite du blairisme. Hollande partage avec Tony Blair la même conception du monde dans lequel les classes ont disparu (« We’re all middle class now ! »). Dans cet univers apaisé, les luttes de classes n’ont donc plus lieu d’être. La gauche et la droite sont devenues des notions désuètes puisque les représentants des deux camps s’entendent pour mener les mêmes politiques. Sur la planète des bisounours politiques, Hollande croit jouer dans la cours des Grands : Angela Merkel, Barak Obama ou le monde du business.

Blair cultivait un atavisme étatsunien qui nous valut une guerre d’Irak fabriquée de toutes pièces. Hollande nous offre « l’Europe, l’Europe, l’Europe ! ». Chez Hollande, l’Europe n’est jamais celle des peuples, de la culture ou de la solidarité. C’est l’Europe des élites, des possédants, des marchés et des entreprises. Il ne reculera pas, n’en démordra pas : l’Europe des dominants est son unique projet. François Mitterrand l’avait rejointe après avoir tourné le dos à la social-démocratie de gauche au moment du tournant de la rigueur. [2] Hollande l’avait déjà adoptée avant d’entrer à l’Élysée. Le retour en Hollandie de Jean-Pierre Jouyet, ami intime, ex-ministre sarkozyste et autre cabri européen, corrobore mon développement. En nommant Jouyet secrétaire général de l’Élysée, Hollande réaffirme la ligne droitière décomplexée inaugurée lors de la conférence de presse de janvier dernier.

Cessons les médiocres débats sémantiques : François Hollande n’est ni un socialiste, ni un social-démocrate. Il ne se rattache pas non plus à la tradition sociale-libérale. Hollande est un centriste qui se positionne dans le sens du vent néolibéral. C’est ici que réside la nature historiquement révolutionnaire du hollandisme : il est fondamentalement hostile aux valeurs et aux politiques de la gauche.

Notes

[1] Emmanuel Todd, « Je parie sur le hollandisme révolutionnaire », Le Nouvel observateur, 5 mars 2012, http://tempsreel.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/20120304.OBS2872/emmanuel-todd-je-parie-sur-l-hollandisme-revolutionnaire.html

[2] Philippe Marlière, « Republican King », London Review of Books, Vol. 36, No. 8, 17 avril 2014, http://www.lrb.co.uk/v36/n08/philippe-marliere/republican-king

Messages

  • « il est fondamentalement hostile aux valeurs et aux politiques de la gauche. »

    Encore faudrait-il que les deux notions aient un sens :

     les valeurs de la gauche ? Quelle gauche, d’abord ? Et si valeurs il y a, elles paraissent très hétérogènes dans les différentes familles qui sont sensées composer cet OVNI qu’est la gauche...

     les politiques de la gauche ? Entre Mendès France, Mitterrand, Jospin, Rocard et Delors , Strauss-Kahn et Mélanchon, où se situe la cohérence ?

    Hollande n’est pas à gauche en premier lieu parcequ’il n’y a pas de gauche !