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Européennes et FN : lettre d’un déçu à tous les déçus

par Mustapha Kharmoudi (écrivain)

Publie le samedi 31 mai 2014 par Mustapha Kharmoudi (écrivain) - Open-Publishing
7 commentaires

Lettre d’un déçu à ceux qui sont déçus

On le sait, ce séisme a été prédit de longue date, mais il n’empêche que la secousse a été on ne peut plus rude, dimanche soir. Voici donc qu’un parti politique raciste et fasciste décroche la médaille d’or du peuple de France. Oh là là, comme elle est tout éclaboussée maintenant, notre belle république !
On voudrait croire que c’est un accident politique, mais le cœur n’est plus à ces candeurs. On voudrait aussi croire que ce n’est que de la politique politicienne, mais notre entendement n’entend plus ce genre de détournement de conscience.
En vérité, c’est une question qui transcende tout : elle est d’ordre mental, et culturel. Elle ne peut entrer dans aucun cadre que nos chers politologues déversent sur nous, presque avec jouissance, à longueurs d’élections : d’élections par défaut en élections ratées.

Si ce n’était que politique, à vrai dire je m’en serais personnellement réjoui. Qui, tel que moi, n’aurait pas applaudi des deux mains au naufrage du PS et de l’UMP, ces deux monstres voraces devenus incontrôlables, ou plutôt ce monstre à deux têtes que rien de nos malheurs ne peut plus apitoyer, ni rien de nos pillages le rassasier.
C’est que je suis d’une espèce qui en a marre de ces dirigeants politiques qui se comportent avec autant d’arrogance que d’aveuglement ; ces représentants du peuple qui clament avec un sadique contentement leur incapacité à tenir leurs engagements, comme si leur incapacité était une force pour contenir les revendications les plus triviales du peuple ; et comme si leur impuissance n’était qu’un gage de fidélité envers les possédants.
J’en ai marre de ces journalistes qui savent, mieux encore que les politiques, mettre les mots qu’il ne faut pas sur les maux qui nous rongent. Et qui se moquent comme de l’an quarante que le peuple puisse penser un instant qu’ils seraient dans le faux. Ces journalistes qui savent se réjouir, même de leur propre faillite : même quand ils se trompent, ils nous jettent à la figure qu’ils savent mieux que nous qu’ils se sont trompés, et qui nous le disent avec la même arrogance que lorsqu’ils affirmaient ce qui allait par la suite s’avérer faux.
Je suis de ceux qui n’en peuvent de voir la gauche s’évertuer à ressembler à la droite, et la droite s’égosiller à ressembler à l’extrême droite. Une dérive implacable, inébranlable, d’abord invisible par le passé, mais maintenant de plus en plus grossière, telle la lave d’un volcan qui se répand partout.
J’en ai marre de voir ces élites ne se préoccuper en fin de compte que de leurs carrières personnelles, oscillant du public au privé et du privé au public, alternativement, selon que le vent souffle vers l’une ou l’autre de nos deux droites, celle dite de gauche et celle de droite pure et dure.

Aussi un tel naufrage aurait dû m’enchanter. Mais c’est hélas tout le contraire : j’en suis bougrement affligé. C’est que nous sommes dans le même bateau, le même bateau qui chavire. Et que le peuple ne pourrait que pâtir davantage de ce vote. Puisse l’avenir me démentir.

Ce vote, comme celui de 2002, pourrait avoir deux significations. Celle qui est commune, connue de tous, à savoir l’écroulement d’une certaine élite politique qui a, à la longue, privatisé tous les rouages du pouvoir pour son seul service, et pour le service des plus puissants qu’eux, je veux dire les véritables possédants de la richesse de ce pays.
Mais il y a aussi un second volet à ce vote, plus violent et plus destructeur : en croyant faire la nique à une classe politique devenue nauséabonde, le bon peuple de France n’a fait en fin de compte qu’une sacrée tentative de suicide. Fausse ou vraie, allez savoir, mais la tentation est, elle, bien palpable. Comme si le peuple n’avait plus aucune échappatoire, aucune alternative : c’était soit ces lâchetés qui nous gouvernent, soit cette saleté de parti fasciste.
Ce faisant, d’aucuns font semblant de croire en ce rituel qui consiste à sacrifier l’autre, l’étranger, pour expurger ses propres fautes. Pourtant l’on sait depuis belle lurette qu’il n’y aura rien à sacrifier, à part soi-même, car l’autre est déjà nous-mêmes, tous autant que nous sommes.

La question est donc celle-ci : comment se fait-il que le peuple n’ait point entendu d’autres voix, d’autres appels, lesquels ne manquaient pourtant pas de radicalité. Hasardons-nous à ceci : aucune autre voix ne criait la rage du peuple autant que les fascistes. Aucune autre voix ne s’est suffisamment distinguée des gouvernants, ni de ceux d’hier ni de ceux d’aujourd’hui.
Nous sommes nombreux à avoir essayé, mais nous sommes restés finalement sans voix, car quoi que nous ayons fait, nous sommes apparus malgré tout comme de la même espèce que celle qui gouverne, incapables aux yeux du peuple de porter la colère comme il sied de la porter : au-delà de ce qui est convenu de le faire, en dehors de ce qui est permis de le faire.
Il nous faut une radicalité qui soit à la hauteur du désastre dans lequel on jette quotidiennement des pans entier de la population : jeunes, vieux, femmes, étrangers, etc. Or nous ne l’avons pas, cette radicalité. Quand bien même nous le voudrions, nous en sommes pour l’heure empêchés par cette pratique douteuse qui consiste à dénoncer ceux qui dégradent la vie du peuple, mais à constamment s’allier à eux pour quelques placettes, pour quelques piécettes devrais-je dire. Cette attitude est peut-être bonne ou mauvaise politiquement, mais du point de vue de la morale politique, ou de la morale tout court, elle est purement et simplement honteuse. Car quoi que l’on en dise, il y a là un mensonge qui n’échappe pas au peuple, un camouflage qui se dévoile de lui-même tôt ou tard, et qui nous réduit à une forme d’esclavage politique, à une position de domestiques électoraux qui nous coupe du peuple comme il a coupé ceux qui usent de cette pratique depuis des décennies, et qui se sont peu à peu englués dans une marginalité qui a fini par totalement les inhiber.

Cependant, on ne peut s’arrêter à ces causes. Il y a bien autre chose, hélas : nous autres, nous ne savons pas encore nous frotter au peuple abandonné. Nous avons beau avoir de la jeunesse et du courage, il nous manquera longtemps encore cette proximité quotidienne qui ne peut pas se réduire à des campagnes électorales.
Sans oublier que nous avons aussi un trou générationnel qui nous empêche d’accompagner convenablement les nombreux jeunes qui fortifient déjà nos rangs et ceux qui ne manqueront pas de se joindre à nous.
Et il nous faudrait enfin que notre parole médiatique soit renouvelée. Il nous faut apprendre à vite nous recentrer sur les questions qui touchent les plus démunis, les questions qui touchent les travailleurs dans toutes les catégories.
Il nous faudrait être précis et concis dans notre positionnement concernant toutes celles et tous ceux qui agissent pour l’éducation de la jeunesse : enseignants, travail-leurs sociaux, militants de l’éducation populaire, bref, tous ceux qui doivent suppléer à la démission de tous et de chacun pour une éducation laïque, non discriminante et citoyenne.
En attendant, ce sont les plus haineux qui se font entendre. Ne soyons pas haineux, mais soyons des citoyens en colère, capables de constamment nous dresser face à la terrible paupérisation de nos concitoyens, capables, comme on le fait déjà en partie, d’envahir les rues pour dire notre refus des magouilles et des lâchetés de ceux de là-haut.
Et pour ce faire, il faut d’abord s’armer de patience et de pugnacité, apprendre à poser constamment son regard sur le quotidien peinant de nos concitoyens, et non pas seulement sur les temps électoraux, sans bien sûr négliger ces moments de vérité que sont les consultations régulières du peuple.

Mustapha Kharmoudi
Ecrivain
Besançon le 27 mai 2014

Messages

  • Le grand sujet du jour, ce n’est pas qu’il y ait 3,5 millions de chômeurs....Non vous n’y êtes pas, c’est la cigarette électronique.

  • « Hasardons-nous à ceci : aucune autre voix ne criait la rage du peuple autant que les fascistes. » Si, d’autres voix criaient cette rage, des voix d’extrême-gauche et même, dans une certaine mesure, le Front de Gauche. Mais pour ceux qui ont fait le choix du FN, dans sa radicalité il fait moins peur car il ne vise pas à renverser, faire la révolution mais à renforcer. Donc le système en place reste en place, ce qui est plus rassurant que l’aventurisme (on sait ce qu’on perd mais on ne sait pas ce qu’on gagne).
    Bien sûr que ni le Front de Gauche, ni le NPA, ni LO ne sont révolutionnaires en ce qu’ils n’appelaient pas à une abstention offensive, mais ils sont perçus comme tels car, désignés comme tels par les médias et les autres partis anti-communistes.
    Reste l’abstention qui est quand même le premier parti des prolétaires, plus que le FN, le Front de Gauche ou tout autre. Et cela doit être un motif de satisfaction pour les communistes.
    Justement sur ce point il est quand même intéressant de constater la haine anti-prolétaire que montre la petite-bourgeoisie dans toutes ses tendances.
    Celle des jeunes qui manifestaient contre la montée du FN et qui affichaient leur désarroi en traitant ces abstentionnistes de collabos et celle de la boîte à penser/panser du FN, Riposte Laïque qui dit la même chose (cf. lien).
    Les premiers, manipulés par les socio-démocrates en perte de vitesse et qui ont depuis longtemps perdus une partie du vote ouvrier, ne trouvent rien de mieux que de les injurier pour masquer leur propres choix pro-capitaliste et ses conséquences sociales.
    Les seconds qui se veut être le premier parti ouvrier et qui le croient, estimant que ces mêmes ouvriers n’ont plus à s’abstenir puisqu’ils sont là pour défendre leurs intérêts (ils le croient d’autant plus que les premiers n’arrêtent par de le répéter dans leur haine de l’ouvrier, ce salaud qui vote FN).
    Bien sûr, pour les communistes, le choix est ailleurs et il est plus que temps d’organiser ces prolétaires qui s’abstiennent (et ceux qui votent également) pour construire le camp de la révolution contre la bourgeoisie et le petite-bourgeoisie.
    http://ripostelaique.com/honte-aux-abstentionnistes-egoistes-et-mauvais-citoyens.html

    • Intéressant ce lien vers un site d’extrême droite...

    • Le trou laissé par l’implosion de l’URSS a provoqué la disparition du PCF comme la météorite du Yucatan avait provoqué la disparition des dinosaures.

      Pour que des mammifères reprennent les niches écologiques laissées vacantes, il a fallu un certain temps...

    • Le trou laissé par l’implosion de l’URSS a provoqué la disparition du PCF

      Cette thèse me semble plus que contestable. Entre autres parce que le déclin du PCF a commencé bien avant l’ébranlement de l’URSS.

      S’il fallait donner une date de début du déclin final, je dirais (sans certitude) 1968.

      Et une bonne partie des causes me semble interne, pas à chercher dans l’environnement national ou international.

    • je pense juste le contraire

      la bérézina sovétique a eu des répercussions sur tout le mouvement de l’émancipation sociale aussi bien ( évidemment ) les "pro"- URSS ( staliniens et trotskistes ) que les anti ( socialistes et anarchistes)

      et le déclin du pc démarre dès les années 50 et est entièrement lié à la véritable nature de l’URSS .......

      on nous balancera toujours cette aventure stalinienne à la gueule à chaque fois que l’on voudra parler d’un autre monde quand bien même le système capitaliste nous mène à la destruction civilisationnnelle même quand on est issu de la branche du mouvement de l’émancipation sociale la plus anti , je veux parler des anars.

      pour remonter la pente (dans la mesure où l’on ne "parie" pas sur le pire ), il nous faut à la fois lutter mais aussi construire des alternatives concrètes.

    • je pense juste le contraire

      C’est pas ce qui apparait en lisant ton commentaire...

      la bérézina sovétique a eu des répercussions sur tout le mouvement de l’émancipation sociale

      Je suis entièrement d’accord, je n’ai absolument pas dit le contraire.

      et le déclin du pc démarre dès les années 50 et est entièrement lié à la véritable nature de l’URSS .......

      Cette véritable nature, à part pour les "initiés", n’était pas connue ni analysée, dans les années 50 ou 60. Ce qui n’a pas empêché le déclin du PCF.

      Bref, avant que la chute du bloc de l’Est (1989/1991) n’ait les conséquences dont tu parles, sur toute la gauche, je pense que le PCF s’est petit à petit coupé de la société française à partir de la fin des années 60.