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Le réseau Ponzan, des anarchistes dans la guerre secrète

par PACO

Publie le vendredi 15 août 2014 par PACO - Open-Publishing
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Les éditions Le Coquelicot ont publié en 2009 un livre passionnant sur le réseau d’évasion animé par Francisco Ponzan, anarchiste espagnol qui fut fusillé par les nazis le 17 août 1944. En contre-point des commémorations racoleuses, voici un ouvrage capital pour comprendre l’action de ces libertaires dans la guerre secrète menée contre le franquisme et le nazisme entre 1936 et 1944. Une page d’histoire gommée par les commentateurs officiels.

L’auteur, Antonio Tellez Sola, a mis pas moins de dix-huit ans pour finaliser ses recherches. C’est dire si le projet lui tenait à cœur. Avec une infinie précision et un grand respect, alliant documents et témoignages, il explore la vie de Francisco Ponzan Vidal, alias François Vidal, Paco pour les intimes.

Né le 30 mars 1911 à Oviedo (Asturies), Ponzan préférait Victor Hugo et Jules Verne aux Saintes Écritures. Allergique aux messes, il fut vite viré du collège religieux où sa mère l’avait inscrit. Rebelle, mais taillé pour les études, Francisco entra à l’École normale. En fait, ses cours, il les passa en partie au Palais de Justice qui jouxtait l’École normale. C’est là qu’il se forgea une conscience politique axée sur deux principes intangibles : la lutte contre l’injustice et la défense de la liberté.

À la fin de ses études, Ponzan fut nommé instituteur à Ipas, dans un petit village montagnard. Puis il devint titulaire dans la commune de Mazaricos où il milita activement avec la Confederacion national del trabajo (CNT, anarcho-syndicaliste). La vie politique espagnole en 1936 était des plus tendues. Au triomphe du Front populaire répondit le terrorisme de droite. Francisco, comme tous les antifascistes, mesurait la gravité de la situation. Il voyait juste. Les militaires se soulevèrent contre la République. Commencé au Maroc le 17 juillet, le putsch s’étendit à toute l’Espagne.

Les militant-e-s de la CNT furent les premiers à pressentir l’hécatombe qui s’annonçait. Francisco Ponzan entra dans le Conseil régional de défense d’Aragon, majoritairement composé de responsables cénétistes. Son engagement le conduisit notamment à Barcelone où il frôla vite la mort. Arrêté sur les barricades par un groupe communiste qui s’apprêtait à le fusiller, il fut sauvé in extremis par des compagnons libertaires. Sur ordre de Staline, les communistes étaient prêts à tout pour empêcher qu’une révolution anarchiste aboutisse en Espagne. La presse stalinienne se déchaînait contre la CNT, la FAI, les jeunesses libertaires et tout ce qui pouvait représenter les idées révolutionnaires. Les anarcho-syndicalistes n’étaient pas les seuls visés par les sbires de Moscou. Le Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) eut aussi à souffrir des crimes de Staline.

Finalement, sain et sauf, Ponzan intégra la 127e Brigade appartenant à la 28e Division commandée par le camarade Jover Cortes. Il y retrouva un groupe d’amis guérilleros appelé Libertador. Depuis le début de la guerre, ce groupe s’infiltrait en territoire ennemi pour obtenir des informations militaires, commettre des actes de sabotage, capturer des prisonniers et exfiltrer les camarades qui se trouvaient en zone factieuse. Libertador avait à son actif des prouesses. Ces hommes sauvèrent des familles entières dans plusieurs villages. Ils firent également passer en zone républicaine les premières femmes tondues par les fascistes.

En août 1937, le groupe Libertador fut contacté pour intégrer le Service d’information du 10e Corps d’armée. Il accepta sous certaines conditions et composa le Service d’information spéciale périphérique (SIEP). Un groupe curieusement « oublié » par les historiens officiels. Le SIEP comprenait huit militants de la CNT et trois de l’UGT. Ponzan fut le « lieutenant » responsable du groupe devant l’État major. Le groupe Ponzan s’illustra dans de nombreux sabotages périlleux et dans de précieuses missions d’espionnage chez les factieux. Quand les franquistes déclenchèrent l’offensive finale, le groupe Ponzan fut contraint de passer la frontière à Bourg-Madame le 10 février 1939. Avant de faire connaissance avec les gendarmes français, les combattants enterrèrent des armes dissimulées dans des bidons de lait. Elles allaient être bien utiles.

Après 937 jours de révolution, de rêves et de désillusions, les réfugiés espagnols passèrent les premières nuits françaises à la belle étoile, sous la neige, protégés par de rares couvertures. Des mottes de terres arrachées au sol gelé furent empilées pour faire de piètres murets. En mars, le groupe Ponzan échoua dans le redoutable camp de concentration du Vernet, en Ariège, où la solidarité et les évasions s’organisaient à nouveau avec diverses complicités.

Deux jours après l’invasion de la Pologne par les nazis, le 3 septembre 1939, la France et la Grande-Bretagne déclarèrent la guerre à l’Allemagne. 50 000 Espagnols furent intégrés aux Compagnies de travailleurs pour construire des fortifications dans le nord-ouest de la France. D’autres s’enrôlèrent dans la Légion étrangère ou dans les unités de choc placées en première ligne. Des dizaines de milliers ont aussi rejoint les usines d’armement. Ponzan chercha d’autres voies pour poursuivre le combat antifranquiste. Il envoya des propositions concrètes au Conseil général du Mouvement libertaire (CNT-FAI-FIJL) pour adapter l’action à la nouvelle situation. Propositions rejetées. Cette dissension créa des tensions et toutes sortes de calomnies circulèrent, ajoutant de la confusion à la confusion.

Ponzan et d’autres anarchistes se mirent à la disposition des Alliés dès le début de la guerre. Paco, comme les autres, n’avait aucune sympathie particulière pour les Anglais. Pour lui, l’objectif restait la lutte anti-franquiste. Sa stratégie semblait logique. En effet, comment Franco pourrait-il rester à la tête de l’Espagne si Hitler était battu par les armées alliées ? On connaît la triste suite. Malgré la victoire des Alliés, Franco mourut dans son lit, en 1975...

Quelques mois avant l’occupation de Paris, Ponzan se mit donc en rapport avec les services secrets britanniques en France. Il entra également en contact avec les services secrets français. Le lieutenant Robert Terres, alias El Padre, agent du contre-espionnage, témoigne sur les accords conclus avec Paco dans un livre paru chez Grasset : « Ce jeu dont nous avions fixé les règles devait subsister jusqu’à la fin de la guerre et permettre le passage de centaines d’aviateurs, d’agents et d’officiers du SR (service de renseignement) français, anglais, belges, gaullistes, polonais, sans compter les innombrables courriers de la résistance dont l’acheminement régulier devait conduire quatre ans plus tard à la libération du territoire et à la victoire des alliés. »

Ce « jeu », pas toujours idyllique, Paco le développa notamment dans le réseau Pat O’Leary du nom pris par le médecin colonel belge Albert Guérisse qui s’appelait aussi Joseph Cartier dans la clandestinité. Fort de son expérience et de ses contacts (passeurs, faussaires, imprimeurs, groupes de résistants…), Ponzan créa, entre Bruxelles et Lisbonne, le plus important réseau d’évasion de la Seconde guerre mondiale. Parmi ses plus fidèles soutiens, Paco pouvait particulièrement compter sur Jean Bénazet, un militant communiste.

Ponctuée de périples longs et dangereux, d’arrestations, de tortures, de morts violentes, de déportations, d’infiltrations ennemies et de trahisons, l’action du réseau était épuisante. Au passage, Paco aida de nombreux compagnons français à survivre. Il trouva même le moyen d’éditer clandestinement un livre de l’anarcho-syndicaliste Eugène-Pierre Besnard.

Les activités de Francisco Ponzan n’étaient pas inconnues de la police espagnole. Les franquistes ont établi en janvier 1942 une biographie assez fidèle de l’anarchiste. Un profil assez flatteur en un sens. « En accord avec son idéologie et comme toute personne droite et digne, force est de reconnaître que sa vie privée n’offre aucune part d’ombre, notent les flics. Son attachement à la solidarité et son altruisme n’ont pas de limites. L’argent ne l’attire pas ; il conserve sa personnalité intacte et ne fait que les choses qui lui paraissent bien. » Naturellement, les nazis s’intéressaient aussi à lui, le « pire ennemi » des Allemands selon le responsable de l’Abwehr, le service de renseignement ennemi, à Toulouse.

Après plusieurs alertes, la chasse à l’homme lancée contre Paco s’est conclue par son arrestation le 28 avril 1943 à Toulouse. Il logeait chez des camarades basques de la CNT. Ponzan qui s’était teint les cheveux s’est fait cueillir dans la rue, au crépuscule, sans arme, par un policier isolé. La Gestapo n’étant pas encore dans le coup, il pouvait espérer passer à l’as. Il devait être jugé pour un délit mineur : défaut de papiers d’identité (il avait avalé ses faux papiers). C’était compter sans les salauds, simples mouchards ou flics franquistes venus prêter main forte aux nazis. Le 15 septembre 1943, le tribunal correctionnel le condamna à six mois de prison (couverts par la préventive), mais un nouvel ordre d’emprisonnement pour « activités antinationales » tomba en guise de libération. Le procès eut lieu le 5 juin 1944. Il fut condamné à huit mois (couverts par la préventive). En théorie, la liberté attendait Paco. Au pire, il pouvait être remis au Service des étrangers qui l’aurait envoyé dans un camp. Au lieu de cela, il fut piégé par son statut de détenu politique. Les nazis tenaient l’ennemi n°1. La Gestapo vint le chercher le 6 juin 1944.

Les troupes alliées avaient débarqué en Normandie. À Toulouse, personne ne savait si Ponzan était mort ou vivant. Les efforts déployés pendant huit semaines par sa sœur Pilar n’aboutirent pas. Une amie, militante socialiste, pu enfin avoir de ses nouvelles en trouvant un message dans du linge sale. Paco était vivant. En août 44, l’évacuation des troupes allemandes, très nerveuses, semblait imminente pour tous. Mais les nazis n’avaient pas capitulé. Le 17 août, Francisco Ponzan, à la tête d’une file de prisonniers de Saint-Michel, montait dans un camion allemand. Vers 19 heures, les habitants du village de Buzet-sur-Tarn, à vingt-cinq kilomètres de Toulouse, virent passer le camion, accompagné d’un camion de soldats de la Wehrmacht qui chantaient frénétiquement et d’une voiture de la Gestapo. Ensuite, des coups de feu claquèrent pendant de longues minutes.

Les autorités locales découvrirent la tuerie dans un bois le 19 août. Dans les décombres de deux granges incendiées, on ne retrouva que des cendres, des dents, des morceaux d’os calcinés, des bagues, des boutons... Parmi la cinquantaine de suppliciés (il fut impossible de les compter précisément), se trouvait Francisco Ponzan Vidal. Il avait trente-trois ans.

Si les anarchistes n’ont pas toujours rendu à leur compagnon l’hommage qu’il mérite, les gouvernements alliés ont salué ce héros sans dieu ni maître « mort pour la France », comme il est dit sur son certificat de décès. Les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni, de France et de Belgique l’ont même décoré à titre posthume. Lui l’antimilitariste qui exécrait les médailles, lui qui disait « Ma patrie est le monde ».

Antonio Tellez Sola ne verra hélas pas l’aboutissement de son travail très bien servi par les éditions Le Coquelicot. Né en 1921 à Tarragone, militant des jeunesses libertaires, résistant qui participa à la libération de Rodez, il est mort en 2005 à Perpignan.

¡ Que viva hasta siempre el recuerdo de los combatientes de la Libertad !

Antonio Tellez Sola, Le Réseau d’évasion du groupe Ponzan - Anarchistes dans la guerre secrète contre le franquisme et le nazisme (1936 – 1944), éditions du Coquelicot (publications libertaires de Toulouse... et du reste du monde), 410 pages. 22€. Au fil des chapitres, de nombreuses photos présentent des membres du réseau et des évadés (médecins, ingénieurs, officiers, étudiants, résistants...) de diverses origines qui ont été sauvés par le réseau Ponzan.

Concernant l’action des anarchistes espagnols dans la 2ème DB, on lira La Nueve, 24 août 1944 - Ces républicains espagnols qui ont libéré Paris, l’ouvrage incontournable d’Evelyn Mesquida

Messages

  • Je viens de voir que vous signalez le livre d’Antonio Tellez " le
    réseau d’évasion du groupe Ponzàn " très bien chroniqué par Paco.
    Nous venons de rééditer le livre de Marie Claude Rafaneau Boj "
    Odyssée pour la liberté", avec une préface de Geneviève Dreyfus Armand.
    reproduite ci-dessous :
    Cordialement
    pour les éditions
    Juanito
    commandes : http://lecoquelicot.info/commandes.html

    Marie-Claude Rafaneau-Boj, Odyssée pour la liberté. Les camps de
    prisonniers espagnols, 1939-1945,, 348 p.

    Lorsque le livre de Marie-Claude Rafaneau-Boj est sorti, en 1993, il
    était parmi les premiers à paraître, en France et en langue
    française, sur les premières années de l’exil politique espagnol,
    situées en prolongement des années de guerre et de révolution en
    Espagne. Jusque-là, il existait peu d’études historiques proprement
    dites sur l’exil espagnol en France, alors qu’en Espagne les travaux
    avaient commencé à être publiés au milieu des années 1970. Dans le
    pays où les républicains espagnols s’étaient réfugiés en 1939, c’est
    essentiellement au tournant des années 1989-1990 que des recherches
    émergent, dans des ouvrages collectifs publiés quasi simultanément.
    La quasi-totalité des écrits sur l’exil émanaient alors des exilés
    eux-mêmes, parus en nombre depuis les années 1960 et portant
    notamment sur l’expérience des camps français, en métropole ou en
    Algérie, sur les camps nazis et sur l’ensemble des années de la
    Seconde Guerre mondiale, marquées par la difficile arrivée en France,
    le travail forcé dans les Compagnies de travailleurs étrangers, la
    guerre dans des unités militaires françaises, l’engagement dans la
    Résistance ou la déportation.

    Marie-Claude Rafaneau-Boj a entrepris de reprendre, compléter et
    développer son mémoire de maîtrise présenté à l’université Paris-7 en
    1979, en s’appuyant sur les archives alors disponibles, sur la presse
    française contemporaine des événements, sur les nombreux témoignages
    écrits et les entretiens qu’elle a réalisés elle-même. Et elle
    retrace la longue odyssée qui commence avec la révolution manquée en
    Espagne et se poursuit en France jusqu’au lendemain de la Seconde
    Guerre mondiale.

    Une première partie rappelle les différentes vagues de réfugiés
    espagnols venus en France tout au long de la guerre d’Espagne, en
    fonction de l’évolution des fronts. Un retour en arrière permet de
    comprendre l’évolution politique de l’Espagne depuis la proclamation
    de la République en 1931 et l’importance de l’enjeu espagnol dans les
    relations internationales d’une période marquée par la montée en
    puissance des fascismes. Les troisième et quatrième parties abordent
    les conditions de l’arrivée des réfugiés en France, l’univers de type
    carcéral des camps, les brimades et les épidémies, mais aussi le
    travail dans les Compagnies et Groupements de travailleurs étrangers
    ou l’enrôlement dans la Légion étrangère ou dans l’organisation Todt.
    L’auteur suit les parcours des internés depuis les camps – encore
    plus répressifs sous le régime de Vichy – jusqu’aux maquis de la
    Résistance, aux réseaux de passage clandestins des Pyrénées ou dans
    les rangs de la 2e division blindée, au sein de la Nueve, compagnie
    longtemps oubliée lors des commémorations ultérieures de la
    libération de Paris.

    Même si des recherches postérieures ont pu préciser différents
    aspects de cette histoire, de cette « odyssée », notamment diverses
    monographies portant sur des camps précis, le livre – qui ne fait pas
    mystère de son caractère engagé – est complet, agréable à lire, et
    marque, sans doute possible, une étape dans cette redécouverte
    progressive d’une page d’histoire douloureuse longtemps occultée.

    Geneviève Dreyfus-Armand

    Plages d’exil : les camps de réfugiés espagnols en France, 1939,
    coordination de Jean-Claude Villegas, Nanterre, BDIC, Dijon,
    Hispanistica XX, 1989 ; Les Français et la guerre d’Espagne. Actes du
    colloque tenu à Perpignan les 28, 29 et 30 septembre 1989, édités par
    Jean Sagnes et Sylvie Caucanas, Perpignan, Centre de recherche sur
    les problèmes de la frontière, 1990 ; Italiens et Espagnols en
    France, 1938 à 1946, pré-actes du colloque tenu à Paris les 28-29
    novembre 1991, sous la direction de Pierre Milza et Denis Peschanski,
    Paris, 1991 (publié à L’Harmattan en 1994 sous le titre Exils et
    migrations. et Espagnols en France, 1938 à 1946).