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La cible d’Israël n’est pas le Hamas mais un futur Etat palestinien

par Dan Glazebrook

Publie le jeudi 4 septembre 2014 par Dan Glazebrook - Open-Publishing

Une véritable souveraineté des Palestiniens mettrait fin au droit actuel présumé d’Israël de voler leur terre, de contrôler leurs frontières, de les assiéger et de les bombarder à volonté.

Tous les Etats coloniaux sont basés sur la dépossession par la violence des peuples natifs – et, par conséquent, leur objectif primordial a toujours été de maintenir ces peuples natifs aussi faibles que possible. L’objectif d’Israël pour les Palestiniens n’est pas différent.

Un Etat palestinien constitue manifestement un obstacle à cet objectif : un Etat palestinien renforcerait les Palestiniens. Une véritable souveraineté des Palestiniens mettrait fin au droit actuel présumé d’Israël de voler leur terre, de contrôler leurs frontières, de les assiéger et de les bombarder à volonté. Voilà pourquoi la plate-forme du parti Likoud de Netanyahou « rejette catégoriquement la création d’un Etat arabe palestinien à l’ouest du Jourdain ». C’est la raison pour laquelle Yitzhak Rabin a été assassiné pour avoir suggérer ne serait-ce qu’une autodétermination limitée pour les Palestiniens, et qui explique pourquoi toutes les propositions d’un Etat palestinien, même limité et conditionnel, ont été volontairement sabotées par les gouvernements israéliens successifs, quelle que soit leur couleur politique.

A titre d’exemple, dans les trois ans qui ont suivi la déclaration d’Oslo, en 1993, laquelle promettait l’autodétermination aux zones palestiniennes, Ariel Sharon, alors ministre des Affaires étrangères, exhortait « tout le monde » à « saisir autant de sommets de collines qu’ils peuvent » afin de minimiser la taille et la viabilité de la région qui serait administrée par l’Autorité palestinienne. En 1999, l’élection d’un Premier ministre travailliste, Ehoud Barak, ne fit aucune différence. Selon Jimmy Carter, elle a ouvert la voie à « un engagement soutenu du gouvernement israélien pour éviter la mise en œuvre complète des accords d’Oslo », plus particulièrement sous la forme de la plus forte augmentation des implantations illégales israéliennes de tous les temps. La version communément répandue selon laquelle Ehoud Barak avait fait une « offre généreuse » sur un Etat palestinien lors des négociations de Taba en 2001 s’est avérée être un mythe complet.

Dans les années 2000, les enjeux se sont accrus avec la découverte de 1.400 milliards de m3 de gaz naturel dans les eaux territoriales de Gaza, conduisant immédiatement Israël a renforcer son blocus maritime de Gaza pour empêcher l’accès des Palestiniens à ces réserves. De toute évidence, la souveraineté des Palestiniens sur ce gaz renforcerait énormément la position économique de tout Etat palestinien futur. C’est pourquoi les Israéliens sont plus que jamais déterminés à empêcher un tel Etat de voir le jour.

Ensuite, le plan de paix saoudien de 2002 s’est avéré être un problème pour Israël. Accepté par 22 membres de la Ligue arabe, il proposait une normalisation complète des relations israélo-arabes en échange d’un Etat palestinien basé sur les frontières de 1967 (soit 22% de la Palestine historique). Ce plan fut accueilli favorablement par les Etats-Unis et suivi par une déclaration de George W. Bush en soutien à un Etat palestinien – la première déclaration de ce type de la part d’un président américain. Cela ne veut toutefois pas dire que les Etats-Unis sont engagés d’une façon ou d’une autre envers une véritable souveraineté palestinienne. Ce que les Etats-Unis recherchent est plutôt une entité parfaitement compromise, dépourvue de tous les attributs d’un Etat (contrôle de ses frontières, de son espace aérien, etc.) et dépendante d’Israël, mais qu’ils appelleraient un Etat – fournissant ainsi aux Etats arabes un prétexte pour collaborer ouvertement avec Israël. Ainsi que Jeff Halper [1] l’a expliqué, pour les Etats-Unis, l’idée derrière le plan de paix saoudien était réellement de renforcer Israël en facilitant le soutien arabe aux actions israélo-américaines contre l’Iran, établissant ainsi une solide hégémonie israélienne sur tout le Moyen-Orient. Autrement dit, l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe voulaient qu’un Etat palestinien (faible) voie le jour, afin de justifier la collaboration avec le sionisme qui était exigée d’eux par leurs maîtres étasuniens. Mais Israël ne veut pas du soutien arabe ou n’en perçoit pas particulièrement la nécessité. En effet, l’image de la petite victime courageuse, assiégée par des « ennemis hostiles » de tous les côtés, est un argument fondamental de la psyché nationale israélienne, nécessaire pour garantir l’identification continuelle de la population à l’Etat militariste et à sa politique expansionniste. Et, ce qui est plus important, dans le jeu à somme nulle de la politique « colons contre natifs », tout Etat palestinien, aussi inefficace soit-il, représente un recul intolérable pour les sionistes.

Ce problème – d’un consensus croissant au soutien à un Etat palestinien – a été aggravé pour Israël en 2003, lorsque le « Quatuor » (ou Quartette : USA, ONU, Russie et UE) a produit sa « feuille de route » pour la paix, basée, comme le plan saoudien, sur le principe d’un Etat palestinien constituant un préalable fondamental à une paix durable. Tandis que les Israéliens, en public, acceptaient cette « feuille de route », dans les coulisses, ils dressaient la liste de 14 « points d’opposition » et refusaient toute concession que ce soit, tant que les Palestiniens ne seraient pas totalement désarmés et leurs principales organisations dissoutes. Par ailleurs, d’autres points d’oppositions dépouillaient tout « Etat » pouvant émerger d’une façon ou d’une autre de tous les attributs essentiels de la qualité d’Etat et de la souveraineté, juste au cas où.

Depuis lors, il y a eu diverses tentatives de la part des Etats-Unis de redémarrer les « négociations » à partir de cette feuille de route, malgré l’évidente hostilité d’Israël envers l’objectif déclaré d’un Etat palestinien. Dans la dernière série de négociations, qui a débuté en juillet 2013, les Palestiniens – qui avaient déjà concédé 78% de la Palestine historique conquise avant 1967 – ont même accepté de renoncer à leur exigence que les pourparlers se basent sur les frontières de 1967. Pourtant, cela ne fit ni chaud ni froid à Israël, qui s’activa à faire capoter les négociations du mieux qu’il pouvait. Ainsi que l’historien Avi Shlaim le formule, « Durant les neuf mois des pourparlers israélo-palestiniens orchestrés par le secrétaire d’Etat John Kerry, Netanyahou n’a pas avancé la moindre proposition constructive et a continué, tout du long, à étendre les colonies israéliennes en Cisjordanie. Kerry et son conseiller, le Général John Allen, ont tracé un plan de sécurité, lequel, pensaient-ils, permettrait à Israël de se retirer de la majeure partie de la Cisjordanie. Israël, en bon refuznik systématique, l’a écarté avec mépris comme ne valant même pas le papier sur lequel il était écrit ». Après neuf mois de cette entreprise futile d’auto humiliation, John Kerry a jeté l’éponge de désespoir, disant que les deux camps devraient résoudre le problème entre eux.

L’excuse d’Israël pour sa réticence à prendre les négociations au sérieux a toujours reposé sur deux arguments : a) le « terrorisme » palestinien et b) la « désunion » palestinienne. Ces deux points, prétend Israël, signifient qu’il n’a aucun « partenaire pour la paix », personne avec qui négocier – soit parce qu’ils sont des terroristes, soit parce qu’il n’y a pas une entité unique représentant la population palestinienne avec laquelle ils peuvent parler. En 2006, à la suite de l’élection du Hamas, les Etats-Unis et l’UE ont effectivement soutenu cette ligne et ont joint leurs forces à Israël en refusant de reconnaître le Hamas comme corps gouvernant de l’Autorité palestinienne. De la même manière, lorsqu’un gouvernement d’union nationale a été formé l’année suivante avec le Fatah (combinant les deux partis qui représentaient ensemble 86% des suffrages), celui ci ne fut pas reconnu comme légitime par les soutiens internationaux d’Israël qui ont soutenu à la place un gouvernement dirigé par Salam Fayyad, dont le parti avait remporté tout juste 2% lors de l’élection de l’année précédente.

Cependant, la réaction au récent gouvernement d’unité inter-palestinienne annoncé en avril de cette année a été très différente. Un gouvernement de « technocrates » – ne comprenant pas un seul membre du Hamas – a été soutenu à la fois par le Fatah et le Hamas dans une tentative de mettre fin à l’isolement et à l’étranglement de la Bande de Gaza. Ainsi que le remarquait l’Independent à ce moment-là, ce nouveau gouvernement « adhérerait aux conditions du Quatuor pour le Proche-Orient [Les USA, la Russie, l’ONU et l’UE], reconnaîtrait Israël, ratifierait tous les accords signés et renoncerait à la violence », selon un « haut responsable palestinien » cité sur le site Internet du Times of Israel. Il fut bien accueilli en tant que tel, à la fois par les Etats-Unis et l’UE. Israël n’avait plus comme excuse la « désunion palestinienne » pour refuser d’engager des pourparlers. Les Israéliens n’avaient pas non plus le « terrorisme » comme excuse, puisque le Hamas s’en était tenu fermement aux conditions du cessez-le-feu de 2012, non seulement en cessant ses propres tirs de roquettes, mais en réussissant à empêcher les attaques à la roquette par d’autres groupes palestiniens à Gaza.Et tout cela, malgré les violations continuelles du cessez-le-feu par Israël avant même que l’encre de l’accord n’ait eu le temps de sécher – du refus de lever le blocus (comme exigé par les conditions du cessez-le-feu) aux attaques incessantes contre les Palestiniens, faisant 4 morts et près de 100 blessés au cours des seuls trois premiers mois du « cessez-le-feu ». Même après l’intensification des attaques israéliennes au cours des derniers précédents, avec quatre enfants palestiniens tués par les forces israéliennes entre décembre 2013 et mai 2014, dont un adolescent de 15 ans abattu d’une balle dans le dos tirée à 100 mètres, le Hamas n’a pas riposté.

La version de Netanyahou sur des négociations impossibles à cause du terrorisme palestinien et de la désunion palestinienne était de plus en plus minée par la réalité – et, fait décisif, ses soutiens américains et européens n’y croyaient pas. Le gouvernement israélien a riposté au nouveau gouvernement d’union nationale par« ce qui ne peut être décrit que comme une guerre économique. Il a empêché les 43.000 fonctionnaires de Gaza de devenir salariés du gouvernement de Ramallah, et non plus du Hamas, et a resserré le siège autour des frontières de Gaza, annulant ainsi les deux principaux bénéfices de cette fusion » (Avi Shlaim). Et pourtant, le Hamas a maintenu son cessez-le-feu.

Ce dont Netanyahou avait véritablement besoin était d’une provocation contre le Hamas, à laquelle ils seraient forcés de riposter. Une telle riposte lui permettrait à nouveau de les dépeindre comme des terroristes assoiffés de sang avec lesquels on ne peut jamais négocier, fournirait l’occasion d’une nouvelle vague de dévastation à Gaza et exacerberait les tensions au sein du gouvernement d’union nationale entre le Fatah et le Hamas.

Neuf jours près l’investiture de ce gouvernement, le 1er juin [2014], Tsahal a mené une attaque contre Gaza dans laquelle à été tué un jeune garçon de 10 ans circulant à bicyclette. Mais le Hamas s’est encore abstenu de riposter.

Le jour suivant, cependant, le kidnapping apparent de trois jeunes Israéliens en Cisjordanie a fourni l’opportunité d’une provocation à une toute autre échelle. Ayant accusé le Hamas de ce kidnapping (sans jamais produire ne serait-ce qu’un début de preuve), Netanyahou s’en est servi comme d’une excuse pour attaquer l’ensemble de la direction du Hamas en Cisjordanie, tandis que son ministre des Finances, Naftali Bennett, déclarait : « Nous transformons la carte de membre du Hamas en ticket pour l’enfer ». L’opération Gardien de nos Frères fit exactement cela, avec l’arrestation de 335 cadres du Hamas (dont 50 venaient juste d’être libérés dans le cadre d’un échange de prisonniers) et largement plus de 1.000 rafles (laissant les habitations attaquées « comme si un tremblement de terre avait eu lieu » selon un activiste palestinien). Noam Chomsky observe : « Les 18 jours de saccage [.] ont réussi à saper le gouvernement d’union nationale qui était craint et a brutalement accru la répression israélienne. Selon des sources militaires israéliennes, les soldats israéliens ont arrêté 419 Palestiniens, dont 335 affiliés au Hamas, et tué six Palestiniens, fouillant également des milliers de sites et confisquant 350.000 dollars. Israël a également mené des dizaines d’attaques à Gaza, tuant 5 membres du Hamas le 7 juillet. Le Hamas a finalement réagi avec ses premiers tirs de roquettes en 19 mois, ont rapporté des responsables israéliens, fournissant à Israël le prétexte pour l’opération Bordure Protectrice, le 8 juillet ». Ayant donc tué onze Palestiniens en moins d’un mois, Israël s’est servi ensuite des tirs de représailles à la roquette, qui n’ont tué personne, pour lancer le plus grand massacre de Palestiniens depuis des décennies.

L’opération Bordure Protectrice a tué ou blessé plus 12.000 Palestiniens au cours du mois qui a suivi. Mais pour Israël, cela lui a permis de faire avancer son principal objectif – la prévention de la création d’un Etat palestinien en état de marche – sur un certain nombre de fronts. Premièrement, cela a aidé à raviver les tensions entre le Fatah et le Hamas, que le gouvernement d’union nationale avait menacé d’apaiser. Les accords de coopération existants entre le Fatah et la sécurité israélienne ont obligé ce dernier à coopérer avec les mesures sévères prises contre le Hamas en Cisjordanie, qui étaient censées être une « chasse aux kidnappeurs ». Cette « collaboration » a évidemment conduit à éveiller des soupçons et la méfiance entre les deux parties. En outre, ainsi que Fadi el-Husseini [conseiller politique et médiatique à l’ambassade de Palestine en Turquie] l’a fait remarquer, « Bordure Protectrice » a asséné un énorme coup au nouveau gouvernement palestinien qui agaçait Israël. Tout plan de ce nouveau gouvernement pour mettre en œuvre l’accord de réconciliation et préparer des élections nationales est tombé à l’eau alors que les priorités ont changé face à l’agression israélienne. Aussi, Israël parie – comme il l’a toujours fait – sur les positions contradictoires parmi les Palestiniens quant à la manière de faire face à cette agression, accroissant le risque d’un recul dans la réconciliation palestinienne ». Evidemment, la rupture du gouvernement d’union nationale fournirait une nouvelle fois à Israël le prétexte pour éviter les négociations avec les Palestiniens en raison du fait qu’ils ne sont pas unis.

Deuxièmement, même s’elle a rendue furieuse [une partie de] l’opinion publique mondiale, la guerre éclair d’Israël a réussi a réaligner les gouvernements sur la ligne de propagande « on ne peut jamais faire confiance aux terroristes du Hamas ». El-Husseini a écrit que « Ce qui en dit long, là où la plupart des acteurs de la communauté internationale commençaient à accepter la position palestinienne et à blâmer les positions catégoriques d’Israël, qui devenait un Etat quasi-solitaire, les roquettes tirées depuis Gaza les ont fait revenir dans le giron des Israéliens, en déclarant qu’Israël a le droit de se défendre, peu importe son usage excessif de la force et du nombre horrifiant de morts parmi les Palestiniens ». En effet, [Benjamin Netanyahou ne s’est pas privé de répéter à l’envi qu’il avait le soutien des pays occidentaux - notamment celui du Président français François Hollande, qui avait déclaré depuis l’Elysée : « Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population », sans évoquer les pertes civiles du côté palestinien - ndt]. Ayant effectivement fait face en avril à un gouvernement américain qui soutenait le gouvernement d’union nationale palestinien, une fois le massacre des Gazaouis (et des tirs de roquettes correspondants) en cours, le Sénat des Etats-Unis a voté unanimement le soutien à l’agression israélienne contre Gaza tout en condamnant « les tirs non provoqués de roquettes sur Israël » par le Hamas et appelant « le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à dissoudre l’accord de gouvernement d’union nationale passé avec le Hamas et à condamner les attaques contre Israël ».

Troisièmement, ce massacre fut une opportunité pour détruire autant d’infrastructures que possible qui fourniraient la base d’un Etat palestinien. Bien sûr, ainsi que les Israéliens l’ont ouvertement déclaré, cela inclut l’infrastructure de défense militaire, aussi primitive soit-elle, mais également toute l’infrastructure économique nécessaire à une société qui fonctionne. Donc, selon un récent rapport d’Oxfam, les pilonnages israéliens ont détruit la seule centrale électrique de Gaza, coupant l’électricité à 80% de ses habitants sur une population de 1,6 million, de même que des dizaines de puits, de réservoirs et d’aqueducs. Un résumé établi par leMiddle East Monitor note qu’Oxfam « estime que 15.000 tonnes de déchets solides pourrissent dans les rues, que les stations de pompage des eaux usées sont au bord de la rupture de carburant et que de nombreux quartiers ont manqué d’électricité pendant des jours, en raison du bombardement de la seule centrale électrique de Gaza ». Oxfam a déclaré travailler dans un environnement qui a complètement détruit les infrastructures d’alimentation en eau, empêchant les gens de cuisiner leurs aliments, de tirer la chasse d’eau ou de se laver les mains, mettant l’accent sur l’énorme risque de santé publique. « Il faudra des mois, voire des années, pour restaurer entièrement les infrastructures de Gaza », a rapporté de directeur d’Oxfam dans les Territoires palestiniens occupés et en Israël. La directrice du bureau local de l’UNICEF à Gaza, Pernille Ironside, a ajouté : « Il y a une très petite quantité d’eau disponible et elle est utilisée pour la consommation, ce qui signifie qu’il n’y a pas assez d’eau pour les besoins sanitaires. Nous voyons des enfants qui arrivent des abris infestés de gale, de poux et de toutes sortes de maladies infectieuses. La pire chose est que la plupart des gens à l’extérieur des abris n’ont pas reçu d’eau depuis plusieurs semaines. Il est horrible qu’ils n’aient pu recevoir d’eau potable non contaminée par les eaux usées, ce qui peut entraîner des diarrhées et accroître la mortalité infantile, en particulier chez les enfants de moins de cinq ans ».

En plus des attaques contre les infrastructures d’eau et d’électricité, l’économie privée a subi également des attaques. La plus grosse usine de Gaza, une fabrique de biscuits qui venait tout juste de remporter le contrat pour fournir l’ONU à Gaza, a été rayée de la carte par les pilonnages israéliens, et même le quotidien britannique conservateur The Daily Telegraph note que « les preuves confirmées de la destruction systématique de l’économie civile et des infrastructures de Gaza sont convaincantes ». Le rapport poursuit : « A l’extérieur de Gaza-ville, une série d’entreprises sans liens évidents avec des activités militantes sont en ruine après avoir été démolies par des missiles ou des obus. Parmi elles, une usine de plastique, une usine de fabrication d’éponges et même le siège du principal distributeur de fruits du territoire près de la ville septentrionale de Beit Hanoun, dont une grande partie a été rasée dans l’invasion terrestre israélienne ».

A quelques kilomètres au nord de l’usine d’Alawada, le siège d’El Majd Industrial & Trading Corporation - entreprise qui fabrique du carton, des emballages et des sacs en plastique – a été réduit en un tas de béton et de métal tordu.

Selon Hassan Jihad, 25 ans, le gardien de l’usine, qui a survécu fortuitement parce qu’il avait déménagé le siège administratif de l’entreprise à l’extérieur de l’usine principale pendant la durée du conflit, l’usine a reçu deux frappes directes de missiles tirés depuis un avion de guerre israélien le lundi matin à l’aube.

Lui aussi n’a pas de doutes quant à la raison derrière cette frappe. « Les Israéliens essayent de détruire l’économie et de paralyser Gaza », a-t-il dit. « C’est la seule usine de la Bande de Gaza qui produit des emballages cartonnés. Nous n’avons aucune roquette à cet endroit ».

Roward International, le plus gros importateur et distributeur de produits laitiers de Gaza, a connu un sort similaire jeudi après-midi. Son usine dans le quartier d’al-Karama a été totalement rasée par un missile après qu’un opérateur militaire israélien a téléphoné pour prévenir à temps d’évacuer les 60 ouvriers.

Majdi Abou Hamra, 35 ans, chef comptable dans l’entreprise familiale, a dit que l’entreprise achetait du lait aux producteurs de Cisjordanie, avant de l’importer à Gaza via Israël.

La principale centrale électrique du territoire – également située sur la Route de Saladin, non loin de l’usine d’Alawada – était en feu mardi dernier après avoir été frappée par des obus israéliens. Israël a nié avoir pris la centrale pour cible, mais les experts disent qu’elle est hors d’usage pour au moins un an, laissant Gaza pratiquement sans électricité, autre que celle fournie par les groupes électrogènes. La pénurie qui en résulte a déjà affecté les stations de pompage des eaux usées en raison du manque de puissance, désormais, pour acheminer l’eau vers les habitations situées au-dessus du niveau du sol.

De plus, une crise de santé publique pourrait survenir après que deux stations de pompage – l’une dans la zone très peuplée de Zeitoun, l’autre près de la route côtière de Gaza – ont été endommagées dans des frappes sur des cibles voisines, poussant immédiatement les responsables onusiens a alerter que des eaux usées non traitées pourraient inonder les rues dans les jours à venir.

Trond Husby, le chef du programme de développement des Nations unies à Gaza, a été évasif lorsqu’on lui a demandé s’il pensait que les forces israéliennes avaient délibérément visé les entreprises privées à Gaza. Mais sur les effets des dommages, il a été sans équivoque. « C’est un désastre humanitaire », a-t-il dit « J’étais en Somalie pendant deux ans, en Sierra Leone pendant cinq ans, et également au Sud Soudan et en Ouganda, et cela les dépasse tous quant au niveau de destruction. »

Finalement, ainsi que de nombreux commentateurs l’ont remarqué, même si Israël a atteint son objectif déclaré de détruire ou d’affaiblir le Hamas, cela n’aura comme résultat que de faire émerger encore plus de groupes militants, peut-être même des groupes de type al-Qaïda comme l’EIIL, gagnant le soutien d’une population traumatisée en promettant des attaques de vengeance et un Djihad armé sans concession. Tandis que beaucoup ont soutenu que ce serait contre les intérêts d’Israël, l’inverse est probablement vrai. Des groupes comme l’EIIL ont joué un rôle clé pour faciliter la politique étasunienne et britannique au Proche-Orient ces dernières années, en affaiblissant les puissances régionales indépendantes (ou les puissances régionales potentielles), comme la Libye, la Syrie et maintenant l’Irak. Ils auraient probablement le même effet sur la Palestine et feraient certainement reculer la perspective de l’émergence d’un Etat palestinien : ils n’admettraient jamais, par exemple, l’unité avec le Fatah, et serviraient plutôt de prétexte permanent à des attaques sauvages israéliennes que l’Europe et l’Amérique du Nord seraient obligées de soutenir. En outre, si Gaza devenait une zone de désastre non gouvernée et ingouvernable – ce qu’Israël est en train de créer – il ne serait évidemment pas question qu’elle puisse obtenir la souveraineté sur son territoire, et encore moins sur son espace maritime et ses réserves gazières. Israël resterait libre de bombarder à volonté, exactement comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne restent libres de bombarder à volonté les Etats en faillite qu’ils ont créés en Somalie, en Libye, au Yémen et en Irak.

Le désir de détruire tout Etat palestinien potentiel explique alors pourquoi Israël a lancé sa dernière série de massacres. Mais comprendre comment Israël a pu s’enhardir à ce point pour lancer son attaque la plus destructrice depuis des dizaines d’années demande une plus ample compréhension du contexte régional.

La lutte palestinienne pour l’indépendance a connu ascension et chute avec la lutte générale arabe pour l’indépendance. Tandis que de nombreux commentateurs se sont focalisés sur la chute du Président Morsi en Egypte pour expliquer la faiblesse du Hamas et son isolement relatif, en fait, les guerres financées par l’Occident en Libye, en Syrie et contre le Hezbollah sont d’une plus grande importance. Ces guerres ont respectivement détruit, affaibli et préoccupé trois des principales forces indépendantes et antisionistes de la région, et ainsi renforcé la capacité israélienne d’agir avec impunité. Ainsi que George Friedman [expert en sciences politique, fondateur et dirigeant de l’entreprise de renseignements privée SRATFOR] l’explique, « Actuellement, Israël est autant en sécurité qu’il ne pourra jamais l’être [.] l’économie israélienne toise celle de ses voisins [.] La Jordanie est enfermée dans une relation étroite avec Israël, l’Egypte a son traité de paix et le Hezbollah est enlisé en Syrie. A part Gaza, qui constitue une menace relativement mineure, la position d’Israël est difficile à améliorer. »

Manifestement, la transformation de la Libye en un Etat en faillite livré aux mains de milices sectaires financées par l’Occident, et la tentative de faire la même chose en Syrie, sert le but à long terme des Israéliens de diviser et d’affaiblir tous ses ennemis régionaux (réels ou potentiels). Reconnaissant l’évidence de ce fait, un article de presse incendiaire de 1982, écrit par l’universitaire israélien Oded Yinon (connu non pas tant pour son originalité mais pour sa franche honnêteté), appelait explicitement à la balkanisation de la région : « La dissolution complète du Liban en cinq provinces sert de précédent pour l’ensemble du monde arabe, y compris l’Egypte, la Syrie, l’Irak et la péninsule arabique, et c’est la voie qui est déjà suivie. Ensuite, la dissolution de la Syrie et de l’Irak en zones uniques sur le plan ethnique et religieux, comme au Liban, est la cible primordiale d’Israël sur le front oriental à long terme. [.] Cet état de choses sera la garantie à long terme pour la paix et la sécurité dans cette région [sic - il entend par là celle d’Israël], et cet objectif est déjà à notre portée aujourd’hui ». Il poursuit en décrivant avec une prescience remarquable l’éclatement à venir de l’Irak : « L’Irak, riche en pétrole, d’un côté, et déchiré à l’intérieur, de l’autre, est un candidat garanti comme cible d’Israël. Sa dissolution est encore plus importante pour nous que celle de la Syrie. L’Irak est plus fort que la Syrie. A court terme, c’est la puissance irakienne qui constitue la plus grande menace pour Israël. [.] Tous les types de confrontation inter-arabe nous aideront à court terme et raccourciront la voie vers l’objectif plus important de morceler l’Irak par confessions comme en Syrie et au Liban. En Irak, une division en provinces le long de lignes ethniques et religieuses, comme en Syrie durant la période ottomane, est possible. Donc, trois Etats (ou plus) existeront autour des trois villes principales : Bassora, Bagdad et Mossoul, et les régions chiites dans le Sud seront séparées du Nord sunnite et kurde ». Ainsi, l’offensive en Syrie soutenue par l’Ouest et ses retombées en Irak servent directement les buts israéliens en affaiblissant tous les contrepoids potentiels à la domination de la région – et faciliteront donc directement le massacre actuel perpétré par Israël.

A cet égard, le renversement du Président égyptien Mohammed Morsi par l’armée égyptienne a en fait renforcé la position arabe, en mettant fin à la politique créatrice de division qui provoquait d’énormes querelles religieuses en interne et à la perspective d’une Egypte se déchirant sans raison à travers une implication militaire directe dans la guerre civile syrienne. Effectivement, la politique de Morsi était proche de réaliser le rêve de Yinon d’une Egypte balkanisée. En 1982, il écrivait que « L’Egypte, dans sa configuration politique actuelle, est déjà cadavérique. D’autant plus si nous prenons en compte le désaccord croissant entre les Musulmans et les Chrétiens. Diviser territorialement l’Egypte en régions géographiques distinctes est l’objectif politique d’Israël dans les années quatre-vingt sur ce front occidental. »

En s’aliénant complètement les communautés chrétiennes du pays, Morsi pavait précisément la voie à un tel scénario. Sans tenir compte des relations entre le Hamas et l’organisation des Frères Musulmans de Morsi, le coup militaire contre Morsi, en mettant fin à la trajectoire de l’Egypte vers la division et la faillite de l’Etat, a renforcé la capacité de l’Egypte à agir comme contrepoids à la domination d’Israël dans la région – une condition préalable nécessaire pour toute avancée sur le front palestinien. Ainsi qu’Ali Jarbawi l’a dit après les élections présidentielles en Egypte d’avril dernier, « L’élection d’Abdel Fattah al-Sissi comme nouveau président égyptien a donné aux Palestiniens un petit espoir que leur cause revienne sur le devant de la scène des affaires arabes – ou que, du moins, il y aura un léger ajustement dans l’équilibre du pouvoir avec Israël. Cela n’a rien à voir avec tout jugement de valeur vis-à-vis de la révolution égyptienne. C’est une position purement pragmatique, basée sur le fait que l’élection d’al-Sissi influencera les affaires palestiniennes » de façon positive, en particulier en restaurant la stabilité nécessaire à l’Egypte pour agir comme contrepoids à la puissance israélienne, mais également en réalignant l’Egypte plus vers la Russie et donc vers une relation avec les Etats-Unis moins dépendante. Effectivement, le désir de la part d’Israël de détruire autant que possible Gaza avant que l’Egypte ne regagne complètement sa force et son indépendance pourrait bien avoir accru l’urgence de leur récente attaque.

En somme, malgré sa capacité actuelle de mettre en pièces des milliers de Palestiniens sur des prétextes les plus minces, tout ne va pas pour le mieux pour Israël. Même leurs objectifs à court terme n’ont pas été atteints dans cette dernière attaque. Malgré tout, le gouvernement d’union nationale ne s’est pas rompu, et le Fatah et le Hamas présentent actuellement un front uni dans les négociations de cessez-le-feu. De même, le Hamas n’a pas été vaincu, même militairement (et encore moins politiquement), par cette attaque, et il a pu continuer sa résistance militaire jusqu’au tout commencement des divers cessez-le-feu qui ont eu lieu. Si Kissinger a raison de dire que dans la guerre asymétrique, « L’armée conventionnelle perd si elle ne gagne pas [tandis que ] la guérilla gagne si elle ne perd pas », alors Israël n’a pas gagné cette guerre. Malgré toutes leurs manœuvres dilatoires, les Israéliens ne peuvent pas reporter éternellement la citoyenneté palestinienne sous une forme ou une autre – et si les Israéliens rendent impossible la création d’un Etat palestinien, alors ils ne devraient pas être surpris si les exigences se tournent à la place vers un Etat unique comprenant l’intégralité de la Palestine historique.

Article original en anglais :

palestinian child israeli soldierIsrael’s Real Target is Not Hamas

ou source originale : “Israel’s target is not Hamas, but Palestinian statehood”, Counterpunch, 15 août 2014

Traduction : JFG pour QuestionsCritiques

Dan Glazebrook est journaliste politique et l’auteur de Divide and Ruin : The West’s Imperial Strategy in an Age of Crisis [Ruine et division : la stratégie occidentale à une époque de crise]


Note :

[1] Jeff Halper est un anthropologue, auteur, conférencier et militant politique américain, vivant en Israël depuis 1973. Il a cofondé et dirige l’ICAHD (Israeli Committee Against House Demolitions - le comité israélien contre les démolitions des habitations palestiniennes).