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Lettre à un ami occidental

par Karim Jbeili

Publie le samedi 1er novembre 2014 par Karim Jbeili - Open-Publishing

Dynamitage d’une maison palestinienne sous le mandat anglais
Cette pratique, aujourd’hui industrielle, était déjà très courante du temps des anglais en Palestine.

Cher ami occidental,

J’ai hésité à t’écrire par crainte que mes arguments, un peu trop massifs, ne te bousculent. J’ai une opinion très dégradée de l’Occident et je crains que tu ne te sente touché par toute mon amertume.
Je m’aventure quand même.

Je crois que les Occidentaux savent très bien qu’ils se sont débarrassés des Juifs grâce à la terre des Palestiniens. Ils sont doublement redevables aux Arabes, d’abord d’avoir piqué leur terre pour la donner aux sionistes et ensuite de ce que ces mêmes Arabes subissent à leur place, la légitime colère des Juifs. Les Arabes ont non seulement perdu leur terre mais sont aussi devenus le bouclier humain des Occidentaux.

Alors, évidemment, les Occidentaux ne sont pas portés à comprendre le problème. Si jamais ils se mettaient à le faire ils reconnaitraient par là même leur dette à l’égard des Arabes. Ils s’en gardent bien.

L’Occident nous a coincé et nous manipule comme il veut. Il vit, grâce à nous, dans la quiétude. Je me demande ce qui se serait passé en Europe si l’Occident n’avait pas créé l’état d’Israël. Peut-être que les conséquences de la deuxième guerre en Europe ne seraient pas encore terminées ? La hargne que l’on voit aujourd’hui se déployer contre nous se serait alors adressée à ses véritables destinataires : les Européens. Au lieu de cela, c’est nous les Orientaux qui portons les conséquences des crises et des errances de l’Europe et subissons depuis soixante ans une haine qui ne nous est pas destinée.

Si au moins les Occidentaux reconnaissaient le vol et le viol qu’ils ont commis à notre égard, ça allègerait un peu de nos souffrances. Mais être violé, volé et tué sans que personne ne le reconnaisse, c’est intolérable. Les techniques de dialogue et les pourparlers de paix pour que les prétendus frères ennemis s’entendent sont bien-sûr inutiles. Comment veut-tu, cher ami occidental, qu’on dialogue avec son violeur, si le viol n’est même pas reconnu ?

Même les Juifs, quoique dans une moindre mesure, sont pris avec cette situation intolérable. Nous sommes tous les deux comme des gladiateurs dans un cirque, avec César qui s’impatiente dans sa tribune parce que le combat dure trop longtemps. Il pourrait interrompre le combat, mais il s’en garde bien. Il en profite trop. Comment pourrait-il se priver d’un tel spectacle qui noie, tous les jours un peu plus les protagonistes, et l’intronise seul arbitre de la situation ? Va-t-il lever ou baisser son pouce ? Sauver ou laisser mourir Gaza ?

Désolé, cher ami, de t’avoir infligé toute cette argumentation. J’espère que tu ne m’en voudras pas trop d’évoquer aussi la question de la démocratie. Quand tu m’en parles je sens combien tu en es fier, même si tu ne tiens pas à ce que ça paraisse. Pourtant la question de la démocratie est malheureusement prise dans une problématique tout aussi suspecte que la précédente. Elle a en quelque sorte perdu sa virginité.

Je pense qu’il y a un très sérieux problème quand on ne parvient plus à distinguer entre un état véritablement démocratique, c’est à dire qui se donne pour tâche de représenter sa société civile, et un état anti démocratique qui, au contraire, façonne sa société civile à son image et donc se fait représenter par sa société civile. Non seulement l’Occident ne parvient plus à faire cette distinction, concernant Israël en particulier, mais de plus, il s’attaque au monde arabe, sous prétexte qu’il n’est pas assez démocratique, et veut le forcer, le couteau sur la gorge, à le devenir. Comment veux-tu, cher ami, que les Arabes adhèrent à votre conception de la démocratie si le premier vote qu’il a connu de vous, après la guerre, a été celui qui l’a spolié de sa terre en 48 ? Et l’Occident est devenu le propagandiste de cette prétendue démocratie par les armes et le pillage que j’appelle le démocratisme.

Bref la démocratie est devenue le démocratisme, comme l’islam est devenu l’islamisme et le judaïsme est devenu le sionisme. Nous pédalons dans une bouillie d’idées qui n’ont plus aucun sens tellement elles ont été dévoyées. Il faut sauver la pureté de la démocratie, de l’islam et du judaïsme en sachant distinguer clairement entre ces illuminations historiques et leurs sous-produits haineux.

Voilà. Je crois que j’en ai beaucoup dit. J’espère que tu me pardonneras ces propos quelque peu virulents et que tu rebondiras dessus pour faire ton miel.
Toujours avec amitié

Karim Jbeili