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Mais faites donc, général Gantz (Liban-Palestine)

par Klaod - Lorient

Publie le jeudi 25 décembre 2014 par Klaod - Lorient - Open-Publishing
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Mais faites donc, général Gantz

L’Orient-Le Jour
Fifi Abou Dib
09/10/2014

« En cas de nouvelle guerre, a dit le chef d’état-major israélien Benny Gantz, nous ramènerons le Liban 70 ou 80 ans en arrière. » Une déclaration qui ne nous a pas démesurément impressionnés, nous autres Libanais, vu que nous sommes habitués à plus fleuri, en matière d’horticulture langagière. En revanche, il nous a presque fait rêver, le général Gantz.

« Tu te rends compte », m’a dit mon amie Maha, « soixante-dix ans en arrière ! C’est justement l’époque où il faisait bon vivre, dans ce pays ». Cela correspondrait à la période du milieu des années 30 au milieu des années 40 du siècle dernier. Le Liban serait encore sous mandat français, piaffant d’impatience à l’idée d’acquérir son indépendance et l’obtenant enfin. Les Libanais auraient un idéal de pays, un projet commun. Leurs leaders politiques auraient un sens aigu de l’honneur et de leur mission, ils ajouteraient à la Constitution un principe non écrit, parce qu’en ce temps-là, la parole donnée avait bien plus de valeur qu’un seing au bas d’une page. Chrétiens et musulmans seraient à la veille d’établir une démocratie sur le modèle du contrat de mariage, pour le meilleur et pour le pire, protection mutuelle, communauté des biens et tout ça. Mieux, l’État d’Israël n’existerait pas encore, les Palestiniens seraient ce peuple d’agriculteurs débonnaires, accueillants et généreux, inconscients des desseins sournois qui les menacent. Mes grands-parents feraient des cures au lac de Tibériade et des pèlerinages à Jérusalem. Les Arméniens, persécutés en leurs villes ancestrales de Turquie, continueraient d’arriver par vagues et par bateaux dans la seule capitale d’Orient où, pour des chrétiens, il ferait bon vivre : Beyrouth, et Beyrouth serait encore un jardin. Par la gare de Mar Mikhaël, on prendrait des trains faisant liaison avec toutes les grandes lignes d’Europe et d’Asie. Certains racontent qu’à cette époque, ils allaient par le rail faire la fête sur les bords de la Baltique.

Que reste-t-il de tout cela ? Une photo, bien sûr, des photos jaunies, des cartes postales que des collectionneurs passionnés rassemblent avec ferveur et partagent sur les réseaux sociaux avec un tel succès que d’autres les leur volent, s’attribuant à peu de frais le labeur et le mérite des précédents. Ces trésors, témoins dérisoires d’un avant où nous fûmes presque heureux et fiers, déploient des paysages d’une beauté à couper le souffle : de longues baies vierges où de petites habitations coiffées de tuile rouge s’alignent paisiblement, confiantes de la douceur du ressac ; quelques fiacres traversant une place ornée de palmiers, d’eucalyptus et de sycomores ; des souks débordants de primeurs, de minuscules échoppes ornées, sur la plinthe, d’un fouillis d’objets insolites, tirelires en terre cuite, grappes de loofa, tambourins et cerceaux ; des porteurs harnachés de paniers démesurés, suivant avec leurs courses les élégantes des beaux quartiers, la tête courbée sous le poids de leur fardeau mais anoblis par leur appartenance à une confrérie hors norme.

Mais faites donc, général Gantz, si vous en avez le pouvoir. Ramenez-nous à ces temps bénis où votre folie meurtrière n’avait pas encore réveillé les monstres de ce brave monde arabe. Décivilisez-nous et que votre barbarie triomphe. Parce que nous nous valons bien.

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