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Genèse de l’horreur

par Atilio Boron

Publie le jeudi 15 janvier 2015 par Atilio Boron - Open-Publishing

L’attentat terroriste dans les bureaux de Charlie Hebdo doit être condamné sans réserve. C’est un acte brutal, criminel qui n’a aucune justification. C’est l’expression contemporaine d’un fanatisme religieux qui -depuis des temps immémoriaux et dans presque toutes les religions connues- qui a été un fléau pour l’humanité causant des morts et des souffrances indicibles.

Les politiciens et les dirigeants européens et étasuniens n’ont pas tardé à exprimer leur condamnation de la barbarie perpétrée à Paris. Mais pour paraphraser un énorme intellectuel juif du XVIIe siècle, Baruch Spinoza, face à des tragédies comme celle-ci on ne devrait pas pleurer, mais comprendre. Comment rendre compte de ce qui s’est passé ? La réponse n’est pas simple car sont multiples les facteurs qui l’ont précipitée. Ce ne fut pas l’oeuvre d’un groupe de fanatiques qui, dans un inexplicable accès de folie religieuse, a décidé d’appliquer une leçon exemplaire à un hebdomadaire qui s’est permis de critiquer certaines manifestations de l’Islam (et d’avoir représenté son prophéte, NdT). Ce comportement doit être interprété dans un contexte plus large : l’impulsion que la Maison Blanche a donné au radicalisme islamique à partir du moment où, produite l’invasion soviétique en Afghanistan, la CIA a déterminé que la meilleure façon de repousser les Soviétiques était de stigmatiser les soviétiques pour leur athéisme et de promouvoir les valeurs religieuses de l’Islam.

L’Agence est à ce moment là dirigée par William Casey, un fondamentaliste catholique, et sous l’administration Reagan elle était responsable de la promotion, la formation et le financement d’Al-Qaïda, sous la direction d’Oussama ben Laden. Quand en 2011 l’échec de l’occupation étasuniène en Irak était évidente, Washington a intensifié ses efforts pour encourager les guerres sectaires dans le pays, afin d’affaiblir les chiites, alliés de l’Iran, et qui contrôlaient le gouvernement irakien. Le reste est une histoire connue : recrutés, armés et soutenus diplomatiquement et financièrement par les Etats-Unis et leurs alliés, les radicaux sunnites ont terminé par devenir indépendants de leurs promoteurs, comme l’avait fait avant eux Ben Laden, et ont donné naissance à l’État islamique et ses bandes criminels qui égorgent et assassinent des infidèles à tout-va. Dans leur effort pour désarticuler le Moyen-Orient, l’Occident avive les flammes du sectarisme religieux.

Donc, la genèse de ce crime est évidente, et ceux qui ont promu le radicalisme sectaire ne peuvent maintenant proclamer leur innocence devant la tragédie de Paris. Horrifiés par la monstruosité de génie qui s’est échappé de la bouteille le 11-Septembre, dans leur criminelle stupidité, ils ont déclaré une guerre silencieuse contre l’Islam dans son ensemble. Et leurs élèves répondent avec les armes et les arguments qui leur ont été donnés depuis les années Reagan. Ils ont appris plus tard avec les horreurs perpétrées à Abou Ghraib et les prisons secrètes de la CIA ; les massacres perpétrés en Libye et le lynchage de Kadhafi, reçu avec des éclats de rire par Hillary Clinton, et payent avec la même monnaie. Il est répugnant de vonter autant d’immoralité et d’hypocrisie. Surtout si on se rappelle de la complicité de ceux qui aujourd’hui s’arrachent les cheveux et n’ont absolument rien fait pour arrêter le génocide à Gaza il y a quelques mois. Bien sûr, deux mille palestiniens, dont des centaines d’enfants, ne sont rien par rapport à douze français.

Atilio A. Boron.
Centro Cultural de la Cooperación Floreal Gorini (Buenos Aires).
Pagina12, 8 janvier 2015.