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Nicolas Bedos : « Laissez-nous l’ouvrir et risquer notre peau »

par Sandrine Blanchard

Publie le jeudi 22 janvier 2015 par Sandrine Blanchard - Open-Publishing
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Parmi les humoristes, Nicolas Bedos est l’un des rares à accepter de livrer son sentiment sur les attentats qui ont secoué Paris et leurs conséquences sur la liberté de rire de tout. Polémiste et écrivain, le fils de Guy Bedos ne s’interdit aucun sujet et revendique le droit à l’insolence. Il avait provoqué une controverse lors de sa chronique virulente, en janvier 2014 sur France 2, contre Dieudonné. Et auparavant, en 2010, lorsqu’il s’était moqué de la politique israélienne. Il redoute aujourd’hui l’émergence d’une « censure préventive ».

Vous avez renoncé à faire une chronique ce samedi 10 janvier lors de l’émission de Laurent Ruquier, « On n’est pas couché » sur France 2. Pourquoi ?

Depuis le jour du drame, j’étais partagé entre l’envie de faire place au silence afin de laisser l’émotion nous envahir et celle d’honorer la mémoire de mes camarades Wolinski, Cabu et Tignous. Ils n’auraient pas aimé que l’on se censure, que l’on freine le combat de l’impertinence et que leur mort installe une atmosphère de solennité. Le recueillement national est salutaire, mais n’oublions pas que ces gens ne reposaient jamais la plume satirique, même dans des moments de très grande émotion. Souvenons-nous de la manière dont ils ont traité le 11 septembre ou le carnage de Mohamed Merah.

Jeudi, lors de l’enregistrement, je m’étais grimé en Houellebecq. Je m’apprêtais à faire une satire de sa posture d’artiste dispensé d’affect et d’opinion personnelle… Et puis le malaise, le sentiment d’indécence médiatique, se sont emparés de moi. Je me suis dit « ta gueule », je me suis levé et je suis parti. Je regrette ce réflexe car je reste convaincu que le plus bel hommage qu’on puisse rendre à Charlie, c’est de continuer le boulot. Parce que rire, se moquer, c’est résister, c’est vivre. Il ne faut pas étouffer le nez de clown sous un mouchoir blanc.

Quels étaient vos liens avec les gens de Charlie ?

Ils envoyaient fréquemment des signes de soutien et de sympathie – et c’était réciproque - dans les moments où l’on se sentait très seul face à la polémique. Je pouvais compter sur eux quand - et cela m’est arrivé souvent - je me retrouvais confronté à une cabale bien-pensante. Lorsqu’on s’attaquait soit à Israël, soit à la séduction exercée par Dieudonné sur les jeunes de banlieue ; quand la twittosphère s’emballait, que les associations commençaient à vous chercher des tares, que la censure pointait le bout de son nez, des gens comme Charb ou Wolinski n’étaient jamais très loin pour envoyer un texto et dire « continue, gars ».

Qu’est-ce que représente pour vous l’attentat du 7 janvier ?

Pour moi c’est le début d’une « guerre » extrêmement brouillonne, dangereuse, soumise au populisme de Le Pen et Zemmour. Avec le risque que les satiristes et les médias s’autocensurent par peur de se faire tirer une balle dans la tête ! Mais je retiens aussi la communion internationale en faveur de la liberté d’expression. Il va falloir être précis, tout dire, ne mentir ni aux Français effrayés par l’islam, ni aux musulmans qui pourraient se sentir exclus devant l’hagiographie qu’on fait actuellement de Charlie Hebdo.

Pleurer la bande Charlie n’empêche pas de rappeler son combat offensif, quasi hebdomadaire, à l’encontre des symboles islamiques. Non, Charlie n’était pas un repaire de déconneurs bon enfants. Et alors ? J’étais de tout cœur avec eux. Mais nier l’obsession satirique de Charb concernant l’Islam serait une provocation à l’égard des jeunes musulmans - ceux-là même qui, jamais, n’ont souhaité une telle barbarie. Charlie avait le droit - et le devoir - de concentrer son vitriol sur l’Islam radical mais on ne peut pas dire qu’il était un journal satirique classique. C’est faire de l’angélisme, du politiquement correct, et ça risque d’attiser le sentiment d’exclusion des jeunes musulmans. Qui pourraient se dire : « S’ils ne reconnaissent pas que certains dessins étaient extrêmement véhéments, alors j’emmerde Charlie et la France ».

Le 7 janvier, un journal courageux sur un combat dangereux a été flingué par la caricature de ce qu’ils dénonçaient. Voilà ce que c’est, cet attentat. Il n’y a pas de graduation dans la liberté d’expression. J’étais pour ces caricatures tout en remarquant - de par la répétition de leurs attaques - que Charlie prenait des risques considérables.

Pourquoi avoir choisi de vous grimer en Michel Houellebecq pour un projet de chronique post 7 janvier ?

La canonisation littéraire de Houellebecq commence à me faire sourire. Relisons Echenoz, Handke ou Roth pour relativiser la valeur formelle de Houellebecq. C’est un malin dépressif, dans la lignée de certains artistes contemporains : Il use, plus ou moins habilement, de la distance ironique pour mieux disséminer un certain nombre de ses névroses idéologiques. Comme pour Dieudonné, chez Houellebecq, l’art et l’humour ont bon dos.

De plus, pour les esprits primaires et binaires, le massacre de Charlie est une formidable consécration des thèses de Le Pen, Zemmour, Finkielkraut… et de Houellebecq, dans son dernier roman. Ces néoréacs, névrosés, paranos, inconscients et amers, ont volé la vedette du politiquement incorrect aux progressistes de gauche. Car la gauche s’est vautrée dans le mensonge par omission et dans le consensus. Elle s’est aveuglée sur l’inquiétude provoquée par l’islam, et elle a offert un boulevard aux réacs. Ceux-là osent s’emparer des sujets qui fâchent, ce qui les rend attractifs – voire télégéniques. La gauche doit reconnaître la désorientation des Français face au mariage gay ou au dogme religieux. On vient de flinguer une bande d’anarchistes de gauche car ils se moquaient de l’intolérance religieuse. Et qui est en train de bouffer le gâteau de la révolte ? Des petits-bourgeois xénophobes.

Vous en voulez beaucoup à la gauche…

Le problème de la gauche – qu’il s’agisse des politiques, des intellos ou des artistes - c’est qu’elle a tendance à ne s’adresser qu’à ceux qui sont déjà d’accord avec elle. Ce qui compte, aujourd’hui, ce sont tous les autres ! Par exemple, un récent sondage estime que 77 % des Français ont un problème avec l’Islam. Quand j’ai fait ma chronique sur Dieudonné dans laquelle je me moquais, outrancièrement, d’un jeune de banlieue, toute une partie de mes amis de gauche m’est tombée dessus en me disant « oh, tu n’aurais pas dû, ce n’est pas bien ». Ça veut dire quoi « ce n’est pas bien ? » On ne peut plus se moquer de certains jeunes de banlieue sous prétexte qu’on comprend le facteur social et psychologique de leur désarroi ? Donc on ne peut plus parodier certains gosses de riches sans mépriser l’argent ? Les pros israéliens sans être antisémites ?

Au contraire, il ne faut pas laisser le terrain de la critique du gouvernement israélien et de la culture dite « de banlieue » aux racistes patentés. Le fait que je milite contre les discriminations et prône les bienfaits de l’immigration ne me dispense pas d’être lucide sur certains monstres. Réveillons-nous. Ce n’est pas en niant un problème qu’on le règle. Il est urgent de faire de la pédagogie pour expliquer la différence entre un musulman et un islamiste radical.

Vous avez reçu à plusieurs reprises des menaces suite à vos chroniques. Vous est-il arrivé d’avoir peur ?

Bien sûr j’ai eu très peur. J’ai couru à la sortie d’un cinéma, j’ai été coursé trois fois en sortant de chez moi par des gars qui criaient « Vive Dieudo ! Je vais te tuer ! », je suis allé habiter ailleurs. Il y a des personnes qui ont posté sur Twitter : « j’espère que Nicolas Bedos sera le prochain sur la liste ». Qu’il s’agisse d’Allah ou de Dieudonné, on est face à des jeunes qui se sont passé le mot : faut leur faire la peau.

Serez-vous dimanche à la marche républicaine ?

Oui. Je crois beaucoup aux symboles. Ne serait-ce qu’à l’égard de nos gamins. Ils n’oublieront jamais ce jour-là. Cela marquera très sainement leur conscience. J’ai pleuré devant les images de rassemblement, ce monde entier qui a défendu l’humour, l’impertinence.

Avez-vous le sentiment que les événements actuels vont sonner le glas de l’impertinence et de la provocation, entraîner une autocensure ?

C’est exactement ce qui se passe. Le pire est annoncé. Avant, la censure était d’ordre opportuniste, elle intervenait pour protéger contre la charge des politiques et des associations, lorsqu’on craignait de perdre des lecteurs ou de l’audimat. Demain, ils vont nous censurer au nom de notre propre intégrité physique. Si la semaine prochaine, je me fous de la gueule des islamistes radicaux chez Ruquier, il est possible que je sois censuré par ma chaîne parce qu’elle craindra, à raison, que le plateau soit infiltré par trois tarés tirant à vue. La censure sera défensive. Au nom d’une forme de paix sociale, de plus en plus de médias vont avoir la trouille. Il y a trop d’interdits en France, disons la vérité. Pour que Charb, Cabu et les autres ne soient pas morts pour rien, laissez-nous l’ouvrir et risquer notre peau. Quitte à ce qu’on ne puisse plus aller pisser sans être accompagnés par trois agents de sécurité. Si l’on n’est pas suicidaire, il ne faut pas faire ce métier.

http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/01/10/nicolas-bedos-laissez-nous-l-ouvrir-et-risquer-notre-peau_4553347_3246.html

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