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Erri De luca et le “sabotage” de la ligne Lyon-Turin : la prison contre le droit d’expression ?

par #IoStoConErri

Publie le mardi 27 janvier 2015 par #IoStoConErri - Open-Publishing

Après avoir appelé à “saboter” le projet de TGV Lyon-Turin, l’écrivain italien doit comparaître en justice. Erri De Luca s’explique sur le sens de ses propos.

L’écrivain italien Erri De Luca comparaît ce mercredi 28 janvier 2015 au tribunal de Turin pour « incitation au sabotage » du projet de construction ferroviaire de la ligne TGV Lyon-Turin. Pour avoir donné une interview, en septembre 2013, au site italien du Huffington Post et déclaré que la ligne à grande vitesse devait être « sabotée », il risque une peine de cinq ans de prison.

On vous accuse d’incitation à un délit, on répète le mot « sabotage » que vous avez exprimé, que répondez-vous aujourd’hui, à l’heure du verdict ?
Mais m’incriminer pour des mots que j’ai pu dire, c’est le « sabotage » même de mon droit constitutionnel à la liberté de parole. De « paroles contraires » en particulier. Saboter, dans le sens de vouloir empêcher, entraver, ne se réduit pas au seul sens de dégradation matérielle. C’est un mot qu’on utilise quand un gréviste veut « saboter » la production ou quand une opposition parlementaire veut « saboter » une loi, en faisant obstruction. Ce mot a un sens plus large.

C’est votre liberté de parole qu’on met en cause ?
C’est le fait que j’ai, à travers mes livres, un écho public. Et je l’emploie pour donner la parole à ceux qui sont réduits au silence : les sans voix, les détenus, les diffamés, les immigrants qui ne connaissent pas la langue, les communautés qui se battent pour garder leur région.

Comme au Val de Suse où l’on cherche à préserver la santé des habitants et des lieux en s’opposant un chantier inutile et nocif. C’est une lutte légitime pour se défendre contre une agression tragique – le percement d’un tunnel sous les Alpes dans une roche qui contient de l’amiante et un matériau radioactif. Il ne s’agit pas cette fois d’un pont que l’on construit ou que l’on ne construit pas mais d’une vallée qui risque de disparaître. Et il n’y aura pas de vallée de rechange.

Pourquoi cet emballement juridique autour de vous ?
Durant ces deux dernières années, le procureur de Turin a incriminé plus de mille personnes autour de la résistance contre la ligne à grande vitesse. Il y a eu accélération de la répression contre un mouvement de masse. Mes mots ont été pris pour cible pour empêcher ce mouvement d’avoir un écho public. Je ne suis pas un porte-parole mais quelqu’un qui écoute les autres et qui partage ensuite. Ce que je dis ici, ce n’est pas simplement une opinion mais une conviction.

“Je défends mon droit à la parole dans ce que j’écris, pas dans une salle de tribunal, où mes mots sont menottés.”

Vous risquez cinq ans de prison et vous dites que vous ne ferez pas appel après la sentence, pourquoi ?
Mon droit à la parole, je le défends dans ce que j’écris, pas dans une salle de tribunal, où mes mots sont menottés. Ma défense est à l’extérieur, dans mon pamphlet (La Parole contraire, éditions Gallimard). Je n’ai aucun autre moyen pour agir. J’accepterai la sentence, je n’irai pas dans un autre tribunal qui pourrait être plus favorable, plus juste.

Jamais, en France, je n’aurais été inculpé pour ça. Mais il se passe quelque chose en ce moment, dans toute l’Italie : des groupes s’organisent pour faire des lectures publiques de mon livre. Et c’est la meilleure défense que je puisse offrir. Il y a plus d’une centaine de manifestations de lecteurs. C’est inouï et unique, car jamais on n’a vu un écrivain passant en justice, défendu directement par ses lecteurs.

A côté de ça, ce qui se passera dans cette cour de justice est une formalité pour moi. Et au-delà, il y a les éditeurs étrangers qui traduisent mon livre et le diffusent pour rendre plus difficile le travail de désinformation. Ces mouvements de lecteurs, d’éditeurs qui s’engagent, sont un moment de confrontation entre la liberté de parole contraire et la négation de ce droit.

Avez-vous peur d’être condamné ?
Peur ? Non. Je suis assez ancien pour me foutre complètement de passer du temps en prison.

Mais être condamné pour des paroles, pour un délit d’opinion, tout de même !
L’Italie est un pays qui réserve bien des surprises. Un pays corrompu. Mais on va vivre un moment de vraie confrontation entre la liberté de « parole contraire » et la négation de ce droit. C’est, à travers ma condamnation, une manière de réduire la marge de la liberté d’expression. Je n’espère qu’une chose : que l’occupation militaire du Val de Suse soit levée et que l’on comprenne que cette ligne Turin-Lyon est inutile.

Outre le pamphlet intitulé La Parole contraire (chez Gallimard), Erri de Luca vient de publier un nouveau roman, Le Tort du soldat (également chez Gallimard).

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