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Leïla Shahid :« Forcer Israël à respecter le droit international : c’est urgent »

par l’Humanité

Publie le jeudi 26 mars 2015 par l’Humanité - Open-Publishing
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Infatigable combattante palestinienne, diplomate hors pair, celle qui pendant longtemps a représenté le visage de la Palestine en France puis auprès de l’Union européenne, Leïla Shahid, cessera ses activités officielles à la fin du mois d’avril. L’occasion de retrouver cette amie de longue date de "l’Humanité", d’évoquer sa carrière et de tirer les leçons du passé pour arriver à construire l’avenir de la Palestine et des Palestiniens.

Après vingt-cinq ans de diplomatie, vous annoncez votre départ. J’imagine que c’est une retraite mais pas un retrait du combat qui a toujours été le vôtre ?

Leïla Shahid Il est évident que, après avoir consacré un demi-siècle à la Palestine, je ne vais pas l’oublier ou vivre loin de la cause palestinienne alors que j’ai maintenant soixante-cinq ans. Mais après vingt-cinq ans de travail de diplomate, j’ai envie de revenir à un engagement plus citoyen, qui me donnera plus de liberté de mouvement, que ce soit avec la société civile palestinienne, israélienne ou européenne, avec le monde de la culture, des arts, des femmes, des syndicats… J’ai le sentiment d’avoir fait le maximum de ce que je pouvais faire sur le plan diplomatique, que ce soit en Irlande, aux Pays-Bas, en France, en Belgique ou dans l’Union européenne. Je suis arrivée au bout d’un cycle de ma vie de diplomate que j’ai envie de renouveler en reprenant un travail citoyen. Je ne prends pas ma retraite parce que je me sens vieille. Au contraire, je me sens pleine de vitalité, plus que jamais, pour continuer le combat.


Quel regard portez-vous sur ces vingt-cinq années qui n’ont pas toujours été de tout repos et, en tout cas, loin d’avoir été linéaires  ?

Leïla Shahid Pour faire le bilan de ces années, vingt-cinq années qui ont englobé le processus d’Oslo, le retour du président Arafat et de l’OLP en Palestine, de l’espoir qui a germé après la reconnaissance mutuelle, il faut prendre du recul. Il faut reconnaître les réalités, bonnes et mauvaises.

Les bonnes, d’abord. Il y a une vraie conquête de l’opinion publique internationale et, plus précisément, européenne. Aujourd’hui, tout le monde connaît le peuple palestinien, reconnaît ses droits légitimes, connaît la solution du problème. Malgré ce que prétend Benyamin Netanyahou, tout le monde sait qu’il n’y a aucune tentative ni de délégitimer Israël ni de le détruire mais, au contraire, de trouver une solution qui sauve les deux peuples. C’est un vrai succès qui n’est pas seulement dû à la diplomatie palestinienne et à la lutte du peuple palestinien. Il est dû, pour beaucoup, à la lutte extraordinaire des amis de la Palestine à travers le monde  : les mouvements de solidarité, les collectivités locales et particulièrement européennes qui ont travaillé avec les collectivités palestiniennes, les parlements, les syndicats, les étudiants, les femmes… Des mouvements de solidarité de ce type, on n’en connaît que dans les moments vraiment historiques, comme la guerre du Viêt Nam, la décolonisation en Algérie, la lutte de libération en Afrique du Sud. Qu’on se rappelle de la campagne de boycott de l’apartheid d’Afrique du Sud, qui suscitait moins de controverses que la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), en France, où on veut pénaliser les militants courageux en prétendant que ce boycott relève de l’antisémitisme  ! C’est honteux  ! C’est un boycott qui montre qu’il y a des méthodes populaires et citoyennes, non violentes, pour condamner des violations évidentes des droits de l’homme. Les citoyens, dans ce cas, sont bien plus courageux que leur gouvernement. Il y a donc un succès réel qui se manifeste par la reconnaissance de la Palestine par 138 États membres de l’Assemblée générale des Nations unies.

Mais il y a les aspects négatifs, les déceptions, dont il faut aussi tenir compte  ?

Leïla Shahid Il ne faut pas les oublier car elles doivent nous permettre de repartir sur de meilleures bases. La première chose est d’avoir sous-estimé le fait que, dans un rapport qui est asymétrique entre nous et les Israéliens, des négociations bilatérales, comme c’était le cas pour Oslo, risquaient de devenir des négociations aux dépens de la partie la plus faible. C’est exactement ce qui s’est passé. Je rappelle que l’accord d’Oslo était un accord intérimaire, c’est-à-dire qu’il était spécifié dans le temps. En 1999, devait se terminer la mise en œuvre de la déclaration de principe et de la première phase d’Oslo. C’est une année où nous aurions pu déclarer un État de Palestine car c’est un droit inaliénable qui ne dépend de personne. Nous ne l’avons pas fait car nous avions vraiment cru que nous avions, avec la partie tiers, en l’occurrence les États-Unis, un partenaire sérieux, qui allait suivre la mise en œuvre d’Oslo. Mais en réalité, la mise en œuvre d’Oslo s’est arrêtée avec l’assassinat de Rabin en novembre 1995 parce que les premiers ministres qui lui ont succédé y étaient opposés. Vingt-deux ans après, nous réalisons qu’il faut à tout prix tourner la page d’Oslo parce que les Américains n’ont pas été les parrains objectifs qu’ils auraient dû être et que les Européens ne sont pas parvenus à s’affirmer même s’ils ont été très présents dans tout ce qui est coopération bilatérale avec nous et qu’ils ont contribué à créer les institutions de l’État.

Mais Israël est traité par tout le monde comme un État au-dessus du droit international et aucune sanction (ni politique, ni économique, ni diplomatique, ni commerciale) n’a été prise contre ce pays. Ce qui est scandaleux  ! Cette impunité totale a créé la frustration, la colère et même la rage qu’on voit aujourd’hui dans le monde entier de la part de ceux qui soutiennent les Palestiniens. Parce que c’est la preuve qu’il y a deux poids, deux mesures. Lorsqu’il y a une occupation qui dure depuis quarante-huit ans, le silence est une complicité. Israël en a profité pour développer sa politique de colonisation avec aujourd’hui 600 000 colons dans les territoires occupés, un mur construit en territoire palestinien, malgré l’avis de la Cour internationale de justice. Et surtout, en faisant en sorte que le territoire sur lequel cet État palestinien doit se construire n’existe plus dans une homogénéité géographique, démographique ou environnementale. En construisant le mur, ils ont séparé Jérusalem-Est de la Cisjordanie, séparé Gaza de la Cisjordanie et, avec les colonies tout autour, ils ont pratiquement annexé Jérusalem-Est.

Il y a bien sûr ce discours, ce leitmotiv si agaçant des diplomates européens et américains qui continuent à parler de deux États, de Jérusalem comme capitale. Mais dans la réalité, il n’y a plus d’espace homogène, ni pour construire l’État palestinien ni pour faire de Jérusalem une capitale de deux États puisqu’elle est pratiquement annexée par Israël. Il y a beaucoup de supercherie et de mauvaise foi dans le discours diplomatique international qui donne l’impression qu’on prend les Palestiniens pour des imbéciles, eux qui vivent dans la réalité des territoires occupés. Nous avons maintenant besoin d’un langage de vérité. Il faut regarder la réalité en face. C’est pourquoi je pense important de soutenir la résilience de la société civile, la capacité de renouvellement extraordinaire de la société palestinienne, face à la démission des États du monde vis-à-vis d’Israël.


La solution à deux États serait maintenant impossible  ?

Leïla Shahid Elle peut encore être possible. Tout dépend de la volonté politique de tous les partenaires. Si demain il y a un courage politique au niveau international. C’est-à-dire si les Américains, les Européens et les Arabes se mettent d’accord au Conseil de sécurité pour dire que trop c’est trop, que le gouvernement israélien doit assumer les mêmes obligations que toutes les puissances occupantes dans un conflit armé. De même, le mur peut être déplacé, le siège de Gaza levé et Jérusalem-Est rattachée de nouveau à la Cisjordanie. On peut négocier le transfert des colonies à l’Autorité palestinienne comme logement pour les réfugiés qui rentrent, comme cela avait été le cas à Taba en 2001. On peut arrêter la politique de nettoyage ethnique à Jérusalem… Mais tout cela exige une volonté politique. Ce n’est pas la victime de l’occupation qui peut rétablir un rapport de forces équilibré avec ce premier ministre qui va même avec chutzpah (l’arrogance en hébreu – NDLR) jusqu’à défier les États-Unis dans leur propre Congrès. La communauté internationale porte une grande responsabilité. Étant donné cette impunité totale accordée à Israël par tous les gouvernements en Europe ou aux États-Unis, il n’y a rien qui donne le sentiment au gouvernement israélien qu’il est obligé de respecter le droit, ou qu’il y a urgence. Il n’y a aucune pression, ni politique, ni économique, ni diplomatique, ni militaire. Il va continuer à aller de plus en plus loin, même à appeler à une guerre contre l’Iran. Ne rien faire c’est de la lâcheté, de la complicité, même  !

Surtout au vu de la situation régionale, voire mondiale  ?

Leïla Shahid À mon avis, on commet une erreur en ne voyant pas l’articulation entre le conflit israélo-palestinien et le reste des conflits dans la région. Nous voyons les forces les plus rétrogrades, les plus violentes, les plus barbares qui sont un peu la conséquence de la stupidité et de la criminalité de la politique américaine en Irak et en Afghanistan. Daesh (« l’État islamique » – NDLR) est sorti des prisons américaines en Irak. Bush a dû reconnaître qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive mais, entre-temps, il a détruit l’Irak et a semé les graines d’une guerre confessionnelle entre chiites, sunnites et Kurdes. Nous n’avons pas les moyens de voir le droit international foulé pas seulement par Daesh mais aussi par Israël. Nous payons le prix de la stupidité américaine mais aussi française en Libye avec une destruction du système politique – non pas que j’aie eu beaucoup d’admiration pour Kadhafi – mais, aujourd’hui, le peuple libyen en paie le prix, de même que les peuples tunisien et algérien. C’est des camps d’entraînement en Libye que viennent tous les terroristes comme ceux qui ont attaqué le musée du Bardo, à Tunis, et des camps d’entraînement du Yémen que viennent les auteurs des attentats de Paris. Malheureusement, je ne pense pas que ce soit les derniers attentats. Le monde a perdu ses repères. Après la guerre froide, les Américains ont pensé qu’ils avaient le droit de déclencher des guerres préventives, des guerres prétendument du bien contre le mal, accompagnées de discours religieux, Bush parlant même de croisades. Les discours que l’on entend maintenant sont les mêmes que ceux de Bush  : des guerres préventives des islamistes contre les soi-disant apostats et mécréants en adoptant les thèses néoconservatrices américaines. Nous devons être à la hauteur du défi. Pour les citoyens du monde, il est terrifiant de se demander où les prochains attentats auront lieu, où les prochains bombardements auront lieu. Or, pour combattre le terrorisme, il faut travailler avec les citoyens de ces sociétés, avec les Irakiens, les Syriens, les Libyens, les Yéménites. Ça ne peut pas être une nouvelle guerre coloniale. Avec leur coalition, ils pratiquent le néocolonialisme qui n’emploie que des méthodes militaires et qui, au lieu de combattre le terrorisme, le nourrit. Ils n’ont aucune vision politique de ce qu’ils doivent faire. Au lieu d’envoyer un message qui pourrait être salvateur dans cette région du monde si déchirée depuis un demi-siècle, ils mettent de côté le conflit israélo-palestinien comme si cela n’avait aucune incidence sur ce qui se passe. Or, s’il y a une question dans toute cette région qui peut avoir un effet positif si elle est résolue c’est la question israélo-palestinienne. Si le droit international est appliqué, si la justice règne, si la solution de la coexistence devient une réalité, la haine, la rage et la violence s’apaiseront. Il existe des instruments diplomatiques et politiques qui nous épargneraient les solutions militaires actuelles. Comment se fait-il qu’on ne les emploie pas  ? Pourquoi n’utilise-t-on pas le chapitre VII de la Charte de l’ONU pour que les décisions du Conseil de sécurité soient appliquées comme on l’a fait en 1991 pour la guerre du Golfe  ? Le peuple palestinien serait-il un peuple qui n’aurait pas droit, qui ne serait pas protégé par les Conventions de Genève, qui n’aurait pas le droit de revendiquer son appartenance à l’humanité  ? 194 pays pourraient reconnaître la Palestine, mais tant qu’il restera un soldat israélien en territoire occupé, la paix n’existera pas. Il est temps maintenant de mettre fin à l’occupation militaire et de lever le siège de la bande de Gaza.

Vous avez souvent été l’invitée de la Fête de l’Humanité. Quel souvenir en gardez-vous  ?

Leïla Shahid Le plus beau  ! Je suis venue presque chaque année depuis que, étudiante, je suis arrivée en France en 1974. Et je serai à la Fête de l’Humanité en septembre prochain

Une carrière de diplomate Un appel au courage politique
Née en 1949 à Beyrouth, Leïla Shahid a été déléguée générale de Palestine en Irlande, aux Pays-Bas et en France, 
puis est devenue ambassadrice de Palestine auprès de l’Union européenne, du Grand-Duché de Luxembourg 
et de la Belgique. Nommée par Yasser Arafat, elle avait été la première femme palestinienne à accéder à ce poste 
en 1989. En 1982, elle s’était rendue avec Jean Genet dans les camps martyrs de Sabra et Chatila au Liban, dont il avait tiré le Captif amoureux et Quatre heures à Chatila. Elle-même est mariée à l’écrivain marocain Mohammed Berrada.

MARDI, 24 MARS, 2015
L’HUMANITÉ

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Messages

  • Toute la semaine de campagne électorale les infos de France télévision ont énuméré les cartes d’invasion israélienne en territoire palestinien avec en conclusion désabusée : un état palestinien est il encore possible !!!
    Une façon de prévenir les consciences du caractère inéluctable de sa disparition.
    C’est du grain à moudre pour les apprentis djihadistes, et ces connards qui ne pensent qu’à leur pouvoir leur pognon, fantoches ridicules que sont nos politicards de tout poil se foutent complètement du risque de chaos total qui nous menacent mondialement.
    Je suis une femme comme Leïla, et j’espère qu’elle est bien entourée pour garder autant de sang froid et détermination.

    • un état palestinien est il encore possible !!!

      Il n’a même jamais été possible du simple fait qu’Israël n’a jamais eu l’intention d’accepter sa création. "Bibi", triomphalement réélu, l’a d’ailleurs confirmé.

      Il n’y a par ailleurs rien à attendre des gouvernements arabes dont le principal souci est de maintenir leurs peuples sous la botte.

      Le génocide de basse intensité se poursuivra donc tant que l’Etat racisto-sioniste, Afrique du Sud du XXI° siècle, en aura décidé ainsi.
      Pendant que les "humanistes", les porte-drapeaux des droits de l’homme, les Obama, les Hollande, Valls, Merkel et autres tartuffes "occidentaux" continueront de regarder ailleurs. Vers là où ils pourront déclencher leur prochaine guerre. Humanitaire, bien entendu !